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Ce genre de nouvelle est tellement banal que personne ne s’arrête dessus deux minutes pour tenter de comprendre exactement de quoi il s’agit. À la limite, c’est le type de chose qui réjouit profondément le travailleur pauvre harcelé et déconsidéré chaque jour dans son turbin ingrat, mal payé et inutile, sauf à lui pourrir la vie et la santé.

L’élu a ainsi signalé un premier individu — dont l’identité n’a pas été communiquée — au département, chargé de verser le RSA. L’intéressé vient de voir son allocation suspendue, pendant trois mois, de 80 %. Légalement, ce n’est pas l’alcoolisation qui est en cause, mais « le non-respect des obligations en matière d’insertion », comme le fait de chercher du travail. « S’alcooliser n’est pas une clause de sanction, appuie-t-on au conseil départemental de l’Oise. L’obligation d’insertion en est une. Elle est d’ailleurs stipulée par le contrat que le bénéficiaire du RSA signe. »
Source : Oise : un maire prive de RSA «les ivrognes» indésirables dans les rues – Le Parisien

Une fois de plus, on confond allègrement la solidarité avec la charité des dames patronnesses, celles qui s’arrogent le droit de choisir leurs bons pauvres, bien aplatis, bien reconnaissants et de punir le mauvais pauvre, celui qui l’a bien cherché.

Mais quel mépris dans cette histoire, quelle arrogance, quel manque total d’empathie et quelle condescendance de la part de ceux qui n’ont jamais failli, jamais manqué, jamais raté une marche! Puissent-ils finir leur jours dans leur ignorance cotonneuse et leur suffisance écrasante.

RÉPARER LES SOLVABLES

Casser du cassos 3

Bizarrement, cette histoire me refait penser au film Réparer les vivants, une grosse meringue compassionnelle saluée par tout le monde, mais dont la véritable qualité de film promotionnel pour le don d’organe par défaut est largement restée sous le boisseau. En tentant de comprendre ce qui avait pu m’énerver de la sorte dans cette gentille niaiserie pétrie de bons sentiments, j’ai fini par comprendre que la dimension sociale de la médecine de pointe était largement impensée, tant par les spectateurs que probablement par ceux qui étaient à l’origine du projet.

D’un côté, un jeune prolo de province, en pleine santé, mais avec un capital chance à peu près aussi peu consistant que le capital financier et culturel de ses parents et de l’autre, une bonne famille bourgeoise de centre-capitale, bien pourvue à tous points de vue, excepté d’une bonne santé, mais rien d’irréversible quand on est solvable.

Bien sûr que j’ai mauvais esprit. Bien sûr que chez nous la médecine est socialisée et hypothétiquement accessible à tous! Je dis bien hypothétiquement, parce que dans les faits, il y a les déserts médicaux, les fossés sociaux entre les soignants et les soignés et le fait que le facteur argent pèse de plus en plus sur les soins que l’on peut espérer avoir.

Mais il n’empêche qu’une très récente étude sur la greffe de reins souligne ce que l’intuition percevait sans pouvoir l’argumenter : à savoir que même dans un système anonyme comme le don d’organe, ce sont les malades socialement avantagés qui sont les mieux soignés, pendant que les gueux arrivent plus facilement en fin de liste.

Mais pourquoi cette brève sur un RSAste privé de ses subsides me fait-elle penser à un film promotionnel sur les greffes d’organes?

ACHEVER LES EXCLUS

Sanctionner un type au RSA qui picole comme un trou, ça revient un peu à punir un paraplégique parce qu’il ne marche pas assez vite. C’est l’expression de toute la violence sociale et le mépris de classe qui s’exercent sur ceux qui se sont vautrés sur le chemin de l’existence, qui n’ont pas su rester « dignes », « dynamiques » et « combattifs », les deux pieds dans la merde. C’est la vision condescendante du bon pauvre méritant. Celui qui est tellement plein de qualités qu’on ne peut penser qu’il n’est victime que d’une injustice qu’il convient de réparer, alors que les autres…

Les autres, les estropiés de la globalisation triomphante, les abimés de la vie, les au bout de tout, les cassés, les brisés, les souffrants, les vidés, les épuisés, les «bêtes moches et méchants», et bien tous ceux-là, ils l’ont bien cherchée leur merde et l’idéal pour se sentir bien au chaud entre nous, les méritants du premier rang, c’est quand même de bien leur enfoncer la gueule dedans.

Ça a l’air d’étonner tout le monde que dans les terres lointaines et effrayantes la pauvreté et de l’exclusion, il y a beaucoup, beaucoup de gens qui sont pauvres parce qu’ils cumulent les casseroles dans la vie et qu’ils ne sont juste plus en état de se prendre en charge tous seuls. Des gens qui ont besoin de réapprendre à se tenir debout avant de pouvoir courir. Des gens pour qui l’insertion, ça va commencer par réapprendre peut-être à parler, à se nourrir, prendre soin d’eux, à avoir un endroit à soi pour dormir. Des gens qui ont juste besoin qu’on prenne un peu soin d’eux. Qu’on les répare, eux aussi.

Il y a des millions de chômeurs dans ce pays. Chacun de nous a pu expérimenter ce que ça fait d’être en concurrence avec 30 ou 300 gus aussi qualifiés, en pleine possession de leurs moyens que nous et d’être écarté tout en correspondant parfaitement à l’ensemble des critères, juste à cause de la loi du nombre.

Et on voudrait nous faire croire que forcer à chercher un travail pourri, c’est la seule réponse possible pour insérer les gens dans une société qui les a brutalisés?

Et que plonger un pauvre dans la misère et la faim, c’est la meilleure façon de l’aider?

Notre société de l’ultracompétition ne peut que fabriquer de plus en plus de perdants.Et en plus, ils offensent notre vue! Et la seule réponse, ce serait de les faire disparaitre… mais jusqu’à quel point?

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12 Commentaires

  1. Bonjour à tous et désolée pour cette (dernière?) panne du Monolecte.
    Nous avons dû restaurer la sauvegarde de la base de données de cette nuit, ce qui fait que tous vos commentaires pertinents ont hélas disparu.

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  2. argggg….

    Il est étonnant que chasse aux cassos et score du fn semblent correspondre. 28,90% à Pont Sainte Maxcence, petite commune bourgeoise de l’oise ou le maire dénonce ses administrés parce qu’il est celui de ceusses qui se lèvent tôt. Ah, qu’il ne serait celui qui crée des emplois, plutôt que de faire la chasse à ceux qui n’en trouvent pas (parce qu’il n’y en a pas).

    Il y a une recrudescence de la chasse au bénéficiaire du rsa dans les hauts de france. Région bien connue pour sa bonne gestion financière avec bertrand xavier qui s’augmente dès son arrivée au pouvoir (en faisant barrage au fn, quelle chance, à moins que nous soyons simplement des jambons) et pour compenser ces dépenses, il va rogner les quelques euros des déclassés. Nous serions en guerre, je pense qu’il serait tondu (ou fusillé) à la libération.

    Réponse
    • Merci d’avoir recommenter.

      Réponse
  3. Je vous conseille la lecture de l’excellent livre « Repenser la pauvreté » de Banerjee et Duflo qui parle du piège de la pauvreté.

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  4. Ai regardé article le parisien, oise.
    A ma connaissance, les signalements au département ne peuvent être anonymes. C’est pas vrai.
    Ensuite l’article fait croire qu’un maire peut faire du comportemental, c’est bidon.
    C’est grave de manquer de sérieux à ce point.

    Réponse
    • Le prinicipe du GLTD est bien de la chasse aux pauvres et non la recherche d’une solution pour atténuer la pauvreté :

      « Le GLTD constitue un lieu d’échange privilégié sur la vie du quartier.

      Il est instauré dans un but premier d’action publique, afin de parvenir à une meilleure visibilité et une meilleure coordination de l’action des services de justice et de police sur le terrain : le procureur de la République définit les priorités d’action publique concernant les faits commis dans le quartier ; il est amené à expliquer les choix opérés aux partenaires du groupe.

      Le GLTD se voit assigner des missions variables suivant la situation concernée. Les conclusions auxquelles il aboutit doivent connaître des prolongements dans les actions administratives et judiciaires conduites par chacun des participants.

      Exemples :

      – protection des lieux à haut risque, notamment par une présence policière plus soutenue, ou par la réalisation de travaux de sécurité appropriés par les bailleurs ;

      – actions de sensibilisation de la population sur différents enjeux (sur le port d’arme par exemple) ;

      – appréhension des phénomènes de bandes rivales urbaines (possibilité de GLTD commun à deux parquets) ;

      – traitement de l’absentéisme scolaire ou des phénomènes de violences scolaires. »

      Réponse
  5. merci pour cet article 🙂

    Réponse
  6. Très bien dit (comme d’hab’)
    En effet, il semblerait que des consignes aient été données pour faire du nettoyage. A l’ANPE (Avec Nous Pas d’Emploi) aussi…Les jolies petites nouvelles à l’accueil et parmi les conseillers sont là pour nous endormir en nous servant de beaux discours de leurs voix fluettes remplis de mots tels que « bienveillance » « aide », « pour VOUS », etc, et quand on leur répond en les renvoyant à la réalité économique, elle nous répondent comme le fait une instit’ à un gamin. Bref, si on ne dit pas « oui, Madame, bien Madame », rapidement, une espèce de médiateur arrive dans notre dos et demande l’air de rien si « ça se passe bien? ». Puis s’immisce pour nous rappeler que nous sommes là car NOUS maintenons notre inscription et qu’il n’y a aucun rapport de subordination dans notre relation, nous sommes totalement « libres »! Et la commerciale, pardon, la conseillère, de proposer alors la prestation « regards croisés ». Une entrevue avec une autre personne qui confrontera son avis sur nous au sien (elle ne précise pas qu’elle n’assistera pas à l’entretien). Mais elle se garde bien de dire que cette personne est un psy…(Elle avoue qu’elle n’aime pas prononcer ce mot car cela génère des réactions chez ses interlocuteurs…) De l’embrouille, de l’enfumage, voila ce que font les collabos du patronat, pardon, les pauvres petits employés de l’ANPE aujourd’hui! Si vous ne rentrez pas dans le moule allez voir ailleurs! la petite commerciale va même jusqu’à dire qu’au RSA on peu toucher plus qu’en ASS! Sacré argument! Comme s’il n’y avait que l’argent dans la vie! Elle ne sait pas que ce statut ne garantie pas du tout les mêmes choses.
    Déjà avant de devenir Pole Emploi, un directeur d’agence disait: »l’ANPE n’est pas là pour trouver du boulot aux gens, elle est là pour faire baisser le nombre des inscrits » (mais la petite nouvelle ne veut pas entendre ça!) Les choses ne s’arrangent pas pour les « clients » et tous les coups sont permis, surtout en utilisant des connaissances en psychologie! Tiens, ça me rappelle Edwards Berneys (le fameux neveu de Freund) et les énormes dégâts que certains ont fait après l’avoir lu.
    Bientôt le retour du STO et de la catégorie « des réfractaires au travail », ces « vagabonds » victimes de la crise de 29 qu’Hitler envoya construire les camps)…pour le plus grand plaisir des patrons!
    Allez, je m’arête là, faut que je prépare ma bombe!

    Réponse
  7. … toute la violence sur ceux  » qui n’ont pas su rester « dignes »  » …
    Je ne crois pas qu ‘ il s ‘ agisse tant de capacité + ou moins grande à survivre dans le panier de crabes que de l ‘ existence du système  » panier de crabes  » lui-m^me .
    Ce système n ‘ est pas une fatalité et l ‘ hommes n ‘ est pas  » un loup pour l ‘ homme  » .
    Certain.e.s humain.e.s fonctionnent ainsi , pas tou.te.s –
    Il n ‘ y a pas à chercher à composer ou bricoler avec ce système inique – Il faut le neutraliser , m^me si y arriver n ‘ est pas évident – Ne pas se décourager – Nous y arriverons – tant de mouvements actuels vont dans notre sens –
    ( cf ce post sur mon mini-blog :
    http://mondeindien.centerblog.net/934- )
    Amicalement –

    Réponse
  8. Vous pouvez aussi lire « Punir les pauvres » de Loïc Wacquant.

    Réponse
      • Avec plaisir. C’est un sociologue intéressant dont les analyses me semblent très pertinentes.

        Réponse

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