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Imaginez que pour préparer ce délicieux repas pascal que vous venez de déguster en bonne compagnie, vous vous soyez rendu chez le boucher, il y a à peine quelques jours, et que vous ayez tenu ce genre de propos :

Écoutez, nous adorons vraiment votre magnifique épaule d’agneau, c’est vraiment un morceau de choix et justement, pour Pâques, nous avons décidé de servir un beau festin à nos meilleurs amis, notre famille la plus proche, quelque chose de vraiment très sympa, très chaleureux et auquel nous tenons beaucoup. C’est là vraiment un évènement qui fait honneur à votre travail de boucher et à votre merveilleuse épaule, par contre, il va vous falloir faire un effort, parce que nous avons prévu un budget de 15 € pour cette épaule quand vous osez nous en demander 45 €. Franchement, vous ne voudriez pas gâcher notre fête par votre entêtement que nous ne comprenons vraiment pas. D’ailleurs, ni le pâtissier qui a travaillé sur les desserts ni le caviste n’ont demandé plus que ce que nous avions prévu de leur allouer. Donc, il va falloir être un peu raisonnable quand même et vous aligner sur nos moyens.

Avouez qu’il vous faudrait un sacré effort d’imagination pour rendre seulement plausible une tirade pareille.

Pourtant, il ne s’agit pas d’une mauvaise blague, mais bien de la transposition la plus réaliste possible de ma vie quotidienne d’artiste ou, tout au moins, de personne vivant d’une série d’activités qui sont généralement considérées par autrui plus comme d’aimables hobbys, voire de passions autosatisfaisantes, que comme de véritables activités professionnelles.

Culture de la gratuité vs gratuité de la culture

Artiste pauvre se chauffant les mains devant la toile d'une cheminée

Une œuvre du photographe néerlandais Teun Hocks

J’avais déjà tenté de sensibiliser sous une forme humoristique au côté profondément condescendant de cette culture de déconsidération économique des activités dites artistiques. Tenté de faire toucher du doigt que les métiers artistiques, numériques, intellectuels, etc. étaient justement des activités professionnelles qui demandent des formes d’investissement non moins intenses que celles nécessitées par des métiers considérés comme plus techniques, plus stratégiques, plus importants, plus pointus… et auxquels sont attachées des notions de prix du travail, de cout, de rémunérations bien plus conséquentes et surtout, qui n’ont pas à être justifiées sans cesse.

Je trouve particulièrement agaçant de toujours devoir légitimer le principe même de rémunération dans mon secteur d’activité. Je me souviens d’une époque où un devis pour un site internet était généralement accueilli par un petit sursaut d’indignation et une saillie assez peu délicate de cette teneur :

— Non, mais, franchement, mon petit neveu sait faire ça en un mercredi après-midi après le gouter, alors je ne vois pas pourquoi je devrais payer autant pour ça !

Ce à quoi, je rétorquais généralement quelque chose dans le genre :

— Vous avez tout à fait raison. Vous devriez d’ailleurs vous dépêcher de l’appeler sur son babyphone, entre le rot et la sieste !

C’est ainsi qu’est née toute une collection de sites web from Hell, garantis 100 % faits maison en mode cyberconsanguin. Heureusement, depuis quelque temps, j’ai l’impression que l’idée qu’internet est un archipel de métiers qui bien qu’ayant été inventés par des pionniers, nécessitent finalement des compétences plus au moins difficiles à acquérir et font donc l’objet d’un véritable professionnalisme, est finalement entrée dans les mœurs et je ne me retrouve plus à devoir justifier sans cesse de ma rémunération.

Cependant, force m’est de constater que les métiers comme la photographie, le dessin et l’écriture continuent de souffrir du même manque de considération non pas tant pour leurs qualités intrinsèques d’œuvres, leur impact socioéconomique, mais surtout pour le principe même de survie des créateurs.

Le tarif bohème

Thomasso Minardi, Autoportrait

Autoportrait au grenier de Tommaso Minardi (1807)

Je suis d’autant plus agacée par la déconsidération économique dont souffrent les activités artistiques que, généralement, ceux qui s’étonnent toujours de ce que nous, les artistes, ne fassions pas plus d’efforts en rognant sur nos émoluments pourtant déjà bien comprimés par la rationalité économique ambiante, sont généralement des gens qui sont plutôt à l’abri de tout ce que le travail peut avoir de précaire, insécurisant, violent et paupérisant. Et je ne comprends pas, personnellement, comment un salarié assuré de sa rente mensuelle peut se permettre de me demander de sacrifier la moitié ou les deux tiers de mon revenu, sous prétexte que le projet à venir serait particulièrement intéressant ou de nature à me mettre en valeur. Lui-même, consentirait-il à abandonner une part significative de son salaire pour soutenir une idée, un ami ou même un service communautaire ?

Bien sûr que non. Parce que le salarié, lui, il a des charges. Entendez la famille, les emprunts sur la maison, la voiture, la cagnotte pour les vacances, les études des gosses, la maison de retraite des parents, les factures, le nouveau canapé… et il a parfaitement raison. C’est juste qu’il a l’air de complètement lui échapper que l’artiste, en face de lui, a exactement les mêmes contraintes, les mêmes charges, les mêmes factures, qu’il ne bénéficie pas d’un hypothétique tarif bohème pour satisfaire EDF, le proprio, la cantine des gosses, la facture de l’épicier, mais qu’en plus, s’ajoutent à ces chaines communes de la société de la rareté, celles de la précarité, de la nécessité d’investir et d’entretenir ses outils de travail, de financer la protection sociale dont il bénéficie pourtant bien moins que le salarié, toutes les obligations légales et administratives de son métier… parce que oui, barbouiller des toiles, fixer la lumière via un capteur ou raconter des histoires sont aussi des métiers à part entière !

L’insoutenable précarité du créateur

Je pense que la représentation sociale mythique de l’artiste mendigot et bohème née au XIXe siècle — joyeuse période de l’explosion des inégalités sociales et de l’exploitation capitaliste des forces de travail ! — continue à pondre dans la tête de nos contemporains. Et que la soi-disant culture de la gratuité propulsée par la dématérialisation des supports n’a rien fait pour améliorer la condition artistique contemporaine, elle a juste, comme tous les modèles économiques actuels, enrichi monstrueusement les intermédiaires tout en précarisant à l’extrême les créateurs eux-mêmes. La chaine de l’édition, par exemple, réserve la portion congrue à celui qui aura pourtant le plus donné de lui-même et de son temps à l’œuvre : l’auteur !

Grilles des revenus des professions libérales

Ce n’est pas pour rien que ces dernières années, j’ai rejoint les rangs d’un syndicat artistes, le CAAP, tant il est nécessaire pour les artistes d’unir leurs forces pour ne plus être une des professions libérales les moins lucratives de France (juste avant les coiffeurs…). Et encore, il s’agit là d’une moyenne. La réalité artistique — en dehors des quelques champions de l’optimisation fiscale de la FIAC —, ce sont des revenus réels qui ouvrent droit au RSA. Est-ce à la solidarité nationale de financer la création ?

Ou alors, faisons-nous le choix d’une activité artistique de dilettantes qui serait l’apanage du temps libre des classes bourgeoises ?

Quoi qu’il en soit, et pendant que nous tâtonnons à trouver d’autres moyens de financer la création artistique, cessons de traiter les artistes comme des créatures fantasmatiques et éthérées et admettons que comme tous les professionnels, ils méritent aussi de recevoir les justes fruits de leur travail et d’en vivre décemment.

 

64 Commentaires

  1. C’est une blague ?

    Ok, je sors.(et j’ai honte)

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    • Ouais, tu peux!

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  2. On serait tenté d’attribuer cette tendance lourde de casse des métiers artistiques et artisanaux au lancement d’internet au cours des années 1990. Il est vrai qu’internet a détruit, avec l’approbation massive de l’idéologie dominante et la quasi-totalité des médias, un nombre incalculable de métiers (et ça continue).
    Mais je me souviens d’un changement qui a commencé plus tôt, vers les années 1960, avec la grande mode du « faites-le vous-même » (do it yourself, ou DIY, dans ma langue maternelle). On a proposé à M. et Mme Toutlemonde de s’improviser plombier, bricoleur, charpentier et même artisan du bâtiment. C’était tout bénéf pour les industriels qui voulaient fourguer des perceuses, scies et autres ponceuses à une clientèle de masse. Victimes collatérales : les vrais plombiers, menuisiers et autres artisans. Dans les domaines considérés comme ceux des femmes, les machines à coudre Singer étaient déjà passées par là.
    Aujourd’hui, presque tout le monde possède au moins une perceuse électrique, qui ne sert pratiquement jamais ; dans mon foyer on en a deux, sans oublier deux ou trois agrafeuses lourdes et une multiplicité de clés, marteaux, pinces, etc.
    Je ne sais pas quelle est la solution à tous ces problèmes, mais je pense que cela devrait passer à la fois par une réhabilitation de ce bon vieux dicton « tout travail mérite salaire », et par la fin de ce système qui ne cesse de monter les pauvres les uns contre les autres. Une forme de revenu universel serait également à étudier.
    Evidemment tout cela ne peut se faire sans un renversement du rapport de forces entre classes sociales…

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    • Ce commentaire de D. Sharp, c’est vraiment du grand n’importe quoi!!!
      Le savoir-faire des classes populaires, qui créent, fabriquent, réparent etc… plutôt que d’aller chez IKEA ou la Halle aux vêtements est aussi vieux qu’elles, il se perd dans le consumérisme (Oups cassé, je jette et je rachète…) et la lobotomie réseau-sociale…
      Les « vrais plombiers, menuisiers et autres artisans » s’en sortent plutôt pas mal, merci pour eux.
      On nous emmerde déjà bien avec les voitures qu’on ne peut plus entretenir ou réparer tout seuls (moteurs boîtes noires + contrôles techniques faits pour t’empêcher de rouler et t’obliger à acheter du neuf), j’espère qu’on ne va pas non plus nous interdire les perceuses et de construire nos meubles quand ça nous chante!…
      Je conseille vivement la lecture du bouquin admirable « Eloge du carburateur », de M. B. Crawford, qui pourrait nous éviter ce genre de commentaire complétement à côté de la plaque…

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  3. Merci, Agnès, pour ce billet qui rappelle que la production artistique demande les mêmes considérations, gratifications que les autres.

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    • Je ne suis pas tout-à-fait d’accord. Je n’ai rien contre l’idée que les créateurs puissent être rémunérés, çà serait très bien : mais je ne vois pas le lien avec la création elle-même, c’est un argument fallacieux.
      Lorsque je crée (il m’arrive d’écrire), je me fiche d’être rémunéré. Si je n’ai rien à écrire je me tais, même contre rémunération, sinon je suis qui ? Et si j’ai quelque chose à exprimer, je le fais parce que çà vient de l’intérieur, pas d’une incitation financière.
      Dans cette perspective, la qualité de la création pourrait même être dégradée par l’institutionnalisation d’une contrepartie financière : les gens payés à écrire sont globalement médiocres, lisez la presse ou les romans de gare (a contrario, quasiment personne n’a jamais vécu de la poésie).
      Bref, je ne crois pas à Van Gogh ou Laforgue salariés : il est même probable qu’une partie de leur révolte, donc de leur art, ait tenu à leur condition.
      D’autres activités artistiques sortent partiellement de ce cadre, en ce qu’elles nécessitent un substrat technique : le spectacle vivant, par exemple, qui n’existerait pas sans les salles, des acteurs ou musiciens professionnels, les techniciens, les décors et le matériel. Ce ne sont pas tant les créateurs qui ont besoin d’être payés, que les interprètes (eux-mêmes artistes) et leurs assistants.
      Le compositeur écrira quand même la musique s’il tire le diable par la queue, ou se débrouillera avec une activité alimentaire (avant d’être professionnel, Dvorak était… boucher !). Pas l’orchestre…

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  4. Malheur à qui vous qui allez à quatre pattes et couvert de laine quand vient pâques et que les artistes réclament comme tant d’autres leur part de la bête!

    Depuis Gilbert Cesbron nous savons tous que Wolfgang Amadeus, assassiné, n’aurait pas été Mozart. Quant au « crâne de Voltaire enfant »? Chacun comprendra que l’infortuné encéphale contenu par ce crâne n’aurait pas eu la moindre chance de concourir à la production de l’oeuvre que l’on sait – tout François Marie Arouet qu’il soit, il a d’ailleurs dû se contenter de ne fournir qu’une brève contribution à une fantaisie littéraire d’Alphonse Allais.
    Dans de telles conditions, comment voulez-vous qu’un agneau de pâques, même moins ambitieux, parvienne ne serait-ce qu’à se faire un jour tondre la laine sur le dos, si après quelques semaines de sa vie, et au prétexte d’une conception très particulière de la chaleur et de la sympathie, l’on a livré ses épaules au savoir faire d’équarrisseurs et de bouchers?

    L’exemple pascal qui ouvre ce billet est donc plus que malheureux.

    Convenez que, du point de vue des ovins de tout âge, la viande ne sera jamais assez chère, les bouchers toujours trop nombreux, et leurs clients trop avides de « convivialité ».
    Ces mêmes ovins auraient donc quelques excellentes raisons de souhaiter voir cette engeance les rejoindre au plus vite sur la paille, tous unis enfin dans une égale considération pour leurs intérêts à vivre respectifs.

    Bref, je veux bien discuter ici de l’idéologie capitaliste, du sort particulier qu’elle réserve à la création, du fétiche qui y est connu sous le nom d’ « art, et, plus encore, des conditions matérielles bien concrètes qui en découlent pour des êtres bien réels.
    Mais je me refuse à le faire sur le dos de qui que ce soit, et surtout pas au prétexte ce que ce dos est couvert de poils, de plumes, de laine ou d’écailles.

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    • Personnellement, je n’ai pas mangé d’agneau.

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  5. Dans le genre purement inégalitaire, totalement soumis aux lois d’un marché purement dégénéré, l’art a une merveilleuse place.
    Pendant que 99 % des artistes donnent des cours ou ont une autre casquette afin de remplir leur frigo, les 1% restants se barrent avec la cagnotte gonflée irrationnellement par cette faculté qu’a l’être humain de s’agglutiner autour des phénomènes de mode, et ils t’expliquent que c’est parfaitement normal et que c’est ça le talent.

    A titre personnel, je suis payé en droits d’auteurs et j’observe avec effarement le principe de la répartition des droits depuis que je fais ce boulot. Pour exactement le même travail, selon que le produit que tu fais est diffusé une seule fois sur une obscure chaîne du câble, ou au cinoche avec les honneurs de la presse internationale, tu passes de quelques centimes à quelques dizaines de milliers d’euros.
    Et on t’explique que c’est une histoire de talent (toi, t’as rien demandé, c’est les boîtes – de doublage en l’occurrence, par rapport à mon travail – qui t’ont filé un boulot).
    Les biais induits par ce système (de répartition par rapport à la diffusion) sont énormes. Le premier est que ce qui est favorisé est le produit qui se vend. Pas le produit de recherche, pas le produit qui innove… Au contraire, l’originalité non séductrice ne rapporte rien, et progressivement, l’évolution artistique est orientée par cette redistribution consumériste qui ne fait que favoriser ceux qui sont déjà placés.

    Dans le domaine de la musique, c’est particulièrement vrai…
    Ce ne sont pas les plus grands virtuoses musiciens, chercheurs de leurs temps, avant-gardistes et autres travailleurs acharnés et excellents, qui récoltent quoi que ce soit, mais les agglutineurs de foules (genre Johnny), et leurs descendance 😉 .

    Lorsqu’à titre personnel, je passe un mois (période sans travail – ça m’arrive dans mon boulot) à 8 heures par jour à écrire un arrangement pour Big band, je le fais pour l’amour de mon art, et certainement pas en espérant en tirer un quelconque profit. C’est un choix que j’assume, puisque je peux me le permettre, mais certainement pas une valorisation du boulot à sa juste valeur. Il faudrait, pour en tirer quelque chose, que je me rencarde sur les milieux des musiques de fims, et que j’aille vendre mes idées musicales à la pub ou aux films pour en tirer quelque chose.
    Personnellement, n’en vivant pas (et ayant décidé de ne pas en vivre il y a longtemps) je ne m’en offusque pas, ça ne m’empêche pas de penser qu’avec la manne générée par les produits artistiques, en changeant sérieusement les règles de répartitions, on aurait largement de quoi rémunérer beaucoup mieux les artistes (au détriment des gros vampires – évidemment) 🙂 .

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    • Oui, comme d’habitude, c’est une question de répartition.

      L’autre jour, nous avons participé (avec ma fille), au vingtième anniversaire de la galerie d’art contemporain de son collège. Oui, le collège de ma fille est aussi une galerie d’art contemporain avec 3 résidences d’artiste par an. Bref, environ la moitié des artistes qui ont exposé pendant tout ce temps a pu venir. La plupart ont de véritables difficultés matérielles. Une peintre qui vit près de chez moi avait juste assez de bois pour tenir 15 jours de mauvais temps de plus. C’était il y a un mois 🙁 .

      Au syndicat, nous observons une masse énorme d’artistes qui vivotent avec les minima sociaux. Seuls ceux qui bossent plutôt pour les entreprises arrivent à tirer un peu leur épingle du jeu. Il y a, dans certaines villes ou départements, des commissions qui épluchent les résultats des artistes au RSA et qui tentent de les réactiver vers des métiers plus rémunérateurs, entendre : un artiste qui ne gagne pas sa vie n’est pas un artiste…

      Réponse
  6. Tiens j’ai fait un logo pour une entreprise mais finalement, considérant la valeur que lui accorde le patron, j’ai décidé de jeter mon travail plutôt que de le lui fournir.

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    • Ça se tient!

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  7. Il n’y a pas que l’art qui se délite ainsi, les ouvriers avec des dizaines d’années d’exercice ne sont pas davantage rémunérés sur cette base, voire ils sont jetés aux caniveaux si leurs salaires acquis est trop conséquent, sans tenir compte de leur réel savoir-faire mis à disposition de l’entreprise et des clients.

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  8. Ca, ça me suffit , tellement (tristement ) juste !!  » L’insoutenable précarité du créateur… »
    Merci pour ce très bon article !
    La suite est aussi dans (en ce qui concerne en tout cas les artistes plasticiens ) le manque de sens collectif ,mais il semble que ça arrive.

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  9. Très spécieux – je doute que celui qui ramasse les crottes de chiens dans les rues , celle qui passe la serpillère dans les salles de classe , ceux qui croupissent au RMI dans les ZUP , qui n ‘ ont aucun accès à la culture , apprécient .
    Zoufris Maracas :
    https://www.youtube.com/watch?v=BpZfJ3XcMbc

    Réponse
    • Joli ramassis de clichés : à cause de la faiblesse de leurs revenus, un nombre conséquent d’artistes ramasse les crottes, passe la serpillère et surtout croupit au RSA, et certainement pas en centre-ville. Ils n’ont donc pas à être mis en opposition (et en concurrence) avec plus précaires qu’eux. Si quelques artistes vivent effectivement dans les mêmes quartiers que les bourgeois qui consomment de la culture essentiellement élitiste par nécessité de distinction, l’écrasante majorité vit plutôt aux côtés des classes populaires et y partage souvent une culture vivante et accessible.

      Moi qui vis au cul des vaches, dans un coin tellement prospère que le SMIC est un plafond de verre, je peux vous dire qu’il y travaille, expose, crée une foultitude d’artistes. Je connais un conteur qui a créé de bric et de broc un festival de contes et un théâtre rural, au départ, dans sa salle de bain et sa grange. Dans la palmeraie près de chez moi, dans les chais, sont exposés des sculptures, des tableaux. Il y a des concerts dans les églises et les salles des fêtes.

      Après, il est vrai que de maintenir un tissu associatif et des créations artistiques dans des villes dortoirs qui ne sont habitées que par des travailleurs exténués, je pense que c’est assez difficile. Mais la troupe théâtrale où répète ma fille est précisément dans un village-dortoir.

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      • ( je suis un peu extrémiste ) : tu te plains que les artistes ramassent les crottes – les professionnels de ce ramassage , est-ce un métier ? pourtant il faut bien le faire .. les artistes me font souvent penser aux yogis hindous qui distribuent leurs sages conseils en échange de se faire entretenir .. drôle de fraternité . L ‘ art est le luxe de la communauté humaine ( pas des riches ) et tout le monde doit en profiter .
        http://mondeindien.centerblog.net/

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        • Je me plains de ce que tout le monde semble considérer que notre travail est open bar. Rien d’autre.

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          • Chère Agnès,

            En te lisant il m’est venu une idée loufoque. Modifier le regard que l’on a sur telle corporation ou tel secteur d’activité. Et je songeais aux enseignants en leur appliquant des clichés qu’on entend usuellement pour d’autres professions.

            Mais pourquoi payer les enseignants ? Ils sont au chaud l’hiver, à l’abri de la pluie comme du soleil brûlant, on leur fournit une chaise pour s’assoir pendant le boulot, ils bénéficient de l’accès illimité à la médiathèque de leur école, ils ne font pas un travail de force comme les maçons ou les terrassiers, ils enseignent une matière qu’ils ont choisie parce qu’elle leur plaît, ils passent leur temps travaillé avec des gosses. Tout ça c’est quand même vachement cool ! Alors pourquoi diable payer les enseignants ?

            Ils pourraient se contenter de trois ou cinq euros par heure de présence devant des élèves. Comme des assistantes maternelles. En sus on leur accorderait une remise sur le prix des livres parce qu’on est bon prince.

            Un enseignant, quand il délivre du savoir, il le partage, il ne s’appauvrit pas comme s’il donnait des choses matérielles qui ne seraient plus sa propriété. Trois euros l’heure c’est quand même pas si mal pour du virtuel. On pourrait estimer que la virtualité doit être open bar, gratuite, non ?

          • L ‘ open bar est , hélas , loin d ‘ être gratuit –
            L ‘ amour est gratuit .

        • Eh alors, Monde Indien?

          Tout le monde doit en profiter… Oui, tout à fait.
          Déjà les musées à entrée libre ça existe.
          Nous quand on fait un concert, on fait 5€ l’entrée et gratuit pour les moins de 18 ans. (5€ histoire d’y être le moins possible de notre poche).
          Heureusement qu’on est amateurs, et qu’on peut se permettre de donner parce que sinon, y’aurait rien.
          Je suis pas élitiste pour un sou, mais quand il s’agit de pondre des trucs qui vont plus loin que tes sages conseils de yogis, bah ça demande un boulot phénoménal.

          D’autant plus que ceux qui précèdent ont déjà été des acharnés du boulot, et que pour continuer à proposer bah faut commencer par assimiler le boulot qu’ils ont fait.
          (à titre d’exemple à la con, moi qui suis saxophoniste, j’observe que n’importe quel sax qui se présente aujourd’hui doit avoir assimilé les techniques de jeu d’un virtuose comme Coltrane, Parker ou autre Breaker s’il veut faire avancer son art. – même si c’est pour s’en défaire. Et rien que pour ça, il y a des [dizaines d’] années de travail à 8h par jour).

          Je ne survalorise rien. Pour moi, le travail d’un artiste vaut autant que n’importe quel travail. Simplement, il n’est pas rémunéré. Il ne vaut pas pour le travail d’un ramasseur de crottes, il vaut pour moins. L’artiste est souvent/(toujours à quelques exceptions près) amené à avoir d’autres tafs à côté pour pouvoir travailler son art et proposer.

          Ah, oui aussi. « L’art est un luxe de la communauté humaine ».
          Conneries (sorry pour la grossièreté Agnès – là, c’est mon extrémisme à moi).
          L’art fait de nous des humains. Si on n’existait que pour bouffer, accumuler, se reproduire et crever, bah la communauté humaine vaudrait pas mieux que celle des écureuils… C’est précisément parce qu’on est capable de pondre des trucs qui n’ont trait que pour les émotions que notre humanité est marquée. (note, on n’est pas les seuls, les oiseaux et quelques autres mammifères font ça aussi).

          Les artistes font partie intégrante de la communauté humaine. Ils n’en sont pas un luxe superflu.

          Réponse
          • Merci , saxophone , pour ta réponse – elle me fait voir que je ne sais pas encore bien expliquer ce que je pense de tout ça – il faut que j ‘ y travaille – quand je parle de luxe , je ne parle pas de superflu –
            Luxe , calme et volupté ! ( Baudelaire , Matisse .. )
            Pourquoi seuls les artistes devraient y avoir 100 p.cent de leur temps ?
            En tous cas , vive le saxophone ! ( j ‘ en joue un tout petit peu ) –
            Pour moi , le plus beau morceau de sax alto :  » Teeth  » par Elton Dean –
            Amicalement ,
            http://mondeindien.centerblog.net/
            Amicalement à toi aussi , Agnès ,

          • Merci à toi monde Indien ;).
            J’étais limite véhément quand j’ai répondu (ce qui m’arrive rarement).
            J’avais entendu dans ta réponse un truc du genre, les artistes sont des doux rêveurs qui voudraient que leurs activités valent pour nécessité alors qu’elles ne sont que « luxueuses » (et je te confirme que pour moi, le luxe est superflu). Qui plus est dévolues aux « possédants », ce que je conteste :), l’art est en tous, à tous, et partout.

            a ta question « Pourquoi seuls les artistes devraient y avoir 100 p.cent de leur temps ? »
            Deux éléments de réponse.
            La « professionnalisation » de l’art a sa nécessité, du fait de la quantité de travail à fournir pour être ne serait-ce qu’ « à niveau minimal » (comme je l’expliquait pour le saxophone juste au dessus). Au même titre que la science. Tu ne peux aujourd’hui plus être astrophysicien et philosophe au même titre qu’on pouvait l’être il y a trois siècles. La spécialisation par branches et la somme astronomique des connaissances à acquérir aujourd’hui pour approfondir telle ou telle feuille de la branche est trop importante pour que nous puissions être spécialistes en tous domaine.
            Il existe des généralistes. Mais les chercheurs – et les artistes actuels – de pointe sont de spécialistes (même s’ils peuvent être généralistes par ailleurs). Pour avoir du répondant dans leur art, ils doivent y consacrer l’essentiel de leur vies.
            Du moins il me semble. Peut-être certains surdoués sont-ils capables d’être des spécialistes dans une multitude de branches, mais ceux ci sont peu nombreux.
            (attention, je n’idéalise pas les spécialiste, je dis simplement que c’est un statut nécessaire pour faire évoluer la spécialité, et que la recherche – entre autre artistique – est nécessaire).

            Deuxième élément de réponse.
            Ils sont loin d’être les seuls 😉 .

  10. Votre billet  » je suis une légende  » est admirablement écrit et quasiment hilarant si ce n’était pas si dramatique.

    Un dessin de l’excellent Matt Wuerker résume assez bien le torrent de changement qu’a provoqué l’aspirateur à contenu qu’est internet : http://www.cartoonistgroup.com/store/add.php?iid=102105
    (il y aurait un formidable travail de traduction de ses meilleurs dessins à proposer à un éditeur)

    Exemple pour la musique :  » l’ADAMI via une infographie, témoigne du « partage inéquitable » des revenus issus du streaming musical. Sur les 9€99 d’abonnement mensuel payé par un internaute sur Deezer ou Spotify par exemple, les artistes ne touchent que 0,46€ contre 6,54€ pour les « intermédiaires » (producteurs et plateforme). »
    Journalistes mis au musée :
    http://www.cartoonistgroup.com/store/add.php?iid=54881

    On a ainsi sur internet quasiment la fnac à domicile où quasiment tout est piraté et mis à dispsoition gratuitement : films, documentaires, musiques, ebooks, manuels, formations, podcasts de radio, journaux, jeux, logiciels, applis, photos, peintures, etc… Le vieilles archives tout comme ce qui vient d’être créé.
    C’est intéressant de voir la réaction de David Pooyard qui, après s’être fait dépouiller de son travail  » la Révélation des pyramides  » par une fuite sur internet, prend moultes précautions désormais en organisant une tournée permanent de projections de son prochain film (plus sérieux celui-là, sans Grimault) dans toute la France, à 15 euros la place… Ses collaborateurs ont accepté d’être d’ailleurs payés plus tard.
    https://www.youtube.com/watch?v=8I3EcxslmKc
    Je vais en ce qui me concerne dans les fest-noz du pays nantais. 2 fois sur 3, personne n’est payé et les artistes sont dédommagés avec la cagnotte annuelle amassée par l’association (souvent de danse avec animateurs bénévoles) grâce aux cotisations des adhérents.
    Spectacle d’arts vivants de cirque ce dernier samedi à Nantes avec des artistes de qualité (évoquant ici ou là chômage et pauvreté dans leur numéro) : tarif 5 euros, plein de monde (cad environ 120 personnes).
    Personne n’est payé au final.
    Les subventions, il faut aller les chercher, personne ne s’y colle et elle vont plutôt au touristique Royal de Luxe ou au clientéliste festival Tissé Métisse.
    Il y a aussi la spécialité française du détournement d’argent dans l’art au profit d’une pseudo-élite, très bien expliqué par Aude De Kerros :
    https://www.youtube.com/watch?v=dlNMcE_GZHQ
    Une véritable catastrophe.
    Nous payons tout cela avec en enlaidissement général et continu de notre environnement.
    Il faudrait faire des AMAP culturelles mais les gens sont de plus en plus fauchés.
    Je n’ose imaginer comment c’est en Grèce.

    Il y a bien sûr des solutions, mais encore faut-il que les manifs aboutissent à de vrais bras de force et que les votes soient respectés avec la proportionnelle (comme en Italie) afin que quelque chose aboutisse enfin, de notre point de vue populaire.
    Amicalement.

    Réponse
  11. Excellent billet. Version courte : « On se moque des travailleurs. »

    Il manque peut-être un aspect à cet inventaire : le détestable syndrome « DWYL » pour « Do What You Like ».

    Et cette fameuse phrase affligeante, supposée être de Confucius :
    « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie »

    Sous-entendu : « Vous faites un truc qui vous plait, vous n’allez quand même pas en plus exiger d’être payé, non-mais-sans-blague-quoi-à-la-fin ! » « Quand on aime, on ne compte pas. » Etc etc.

    J’ai retrouvé cet article dans mes archives, pour les anglophones : http://www.slate.com/articles/technology/technology/2014/01/do_what_you_love_love_what_you_do_an_omnipresent_mantra_that_s_bad_for_work.html

    « DWYL is a secret handshake of the privileged and a worldview that disguises its elitism as noble self-betterment. According to this way of thinking, labor is not something one does for compensation but is an act of love. If profit doesn’t happen to follow, presumably it is because the worker’s passion and determination were insufficient. Its real achievement is making workers believe their labor serves the self and not the marketplace. »

    Réponse
    • Juste un truc PKB,
      En quoi la phrase supposée de Confucius est-elle affligeante.
      Je ne l’entends pas comme toi.
      « Choisis toi un travail que tu aimes, et tu n’éprouveras plus de souffrances (étymologie du mot travail) dans le cours ta vie.  »
      En non pas – « et tu ne seras pas rémunéré ». C’est une drôle d’interprétation que tu fais là.

      Réponse
      • Même si on l’aime son travail, un travail reste un travail. It’s just a job, comme on dit maintenant, mais c’est quand même un job. Avec contraintes, prescriptions, subordination, etc. Enfin il me semble.

        Même si on l’aime — ce qui, soit dit en passant, est rare : j’ai enfin trouvé une statistique sur ce sujet, elle vaut ce qu’elle vaut, mais elle existe :
         » Entre 2011 et 2012, l’institut de sondage Gallup a réalisé l’étude la plus détaillée jamais entreprise de comment les gens ressentent ce à quoi nous passons la majeure partie de notre temps éveillé — notre travail payé. Ils ont découvert que 13% des gens disent qu’ils sont « impliqués » (« engaged ») dans leur travail — qu’ils lui trouvent un sens, et qu’ils ont envie d’y aller. Environ 63% disent qu’ils sont « non-impliqués », ce qui est défini comme « traverser leurs journées de travail en somnambules ». Et 24% sont « activement désimpliqués » : ils haïssent leur travail.  »
        Cf https://prototypekblog.wordpress.com/2018/01/27/si-vous-etes-depressif-et-anxieux-vous-netes-pas-une-machine-avec-des-pieces-defectueuses-vous-etes-un-etre-humain-avec-des-besoins-insatisfaits/

        Après, tu as peut-être raison, j’ai peut-être un vieux reste d’emprisonnement par l’étymologie travail / trépalium, ou par un encore plus vieux fond judéo-chrétien, Genèse 3:19 :
         » Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front.  »

        Après quelques siècles de gains de productivités colossaux, on devrait plus en être là, mais, dans les têtes et pas que, on en est encore là, je le crains.

        Réponse
  12. Si tu arrives à te faire payer un peu pour un site internet, tu as de la chance, peut être que dans ton trou du cul des vaches les compétences sont tellement basses que tu en trouves, par chez nous, ce n’est plus le cousin qui réalise la merde c’est un wordpress hébergé à 5 euros chez ovh pour les plus dispendieux et une page fessbouque pour les moins.

    Bien entendu c’est normal parce que le créateur mérite puisqu’il crée alors que le technicien n’est qu’un technicien. Oui je comprends. C’est énervant n’est-ce pas ?

    Imagines lorsque ton job c’est de faire du site et de l’hébergement. À ce moment là les ‘précaires’ ‘artistes’ ben tu vis la même chose qu’eux. Mais toi tout le monde s’en fout. Alors lorsqu’un artiste se plaint tu peux dire, ok et alors ?

    Parce que c’est aberrant qu’un logo ne vaille que 50 euros, par contre 1 mois d’hébergement avec un serveur web, une base de donnée, un OS à jour, un moteur de script, un CMS lui ça vaut pas plus que 5 euros. N’est-ce pas ?

    Réponse
    • Pour faire payer un site, j’ai quand même des compétences longues comme le bras, c’est à dire aussi techniques. Et de toute manière, tout client sait qu’il peut se faire son site tout seul dans son coin pour pas un kopeck. Je vends mes 20 ans d’internet, toutes les années passées à faire des sites directement avec un éditeur de texte, puis à apprendre comment construire une base de données avec méthode Merise, puis les divers CMS, savoir taper dans le code pour arriver à obtenir ce que l’on veut, comprendre les normes du web, celles de la typographie, celles de l’écriture, celles du référencement naturel (suivre les évolutions des algorithmes de Google et ses potes), celles de la communication en ligne, sur les réseaux sociaux, rédiger en fonction des cibles choisies, des médias, des stratégies de l’entreprise, se tenir au courant des nouvelles technos, des nouvelles manières de communiquer, comprendre le langage iconographique, faire des photos, les retoucher efficacement, connaître la chaine graphique, les métiers de l’impression, la chaine éditoriale, les techniques journalistiques, les méthodos en sciences sociales, maîtriser les outils numériques, connaitre le libre, Linux, mais aussi cette saleté de Windows et un peu les Mac…

      En fait, pour tout te dire, je vends assez peu dans mon coin… 😉

      Réponse
      • De notre coté, il est plus facile de ‘vendre’ une charte graphique qu’une expertise sur tout le reste.

        L’impression que le travail de l’artiste ne vaut rien n’est que le pendant à l’art de TOUTES les compétences individuelles. On cherche à transférer la compétence dans l’outil et recruter des gens qui arrivent à faire tomber en marche les bouzins. Nous avons vu des boites sous-traiter le moins cher possible ou réaliser en interne de la gestion de site à des personnes qui ne comprennent même pas le mécanisme DNS (avec des mails pro en @wanadoo ou @free), nous avons vu en formation des formateurs appointés à temps plein qui ne maîtrisent même pas bien les tutos qu’ils trouvent sur le net, des infographistes même pas capable dans un catalogue d’avoir tous les tableaux avec les même épaisseurs et couleurs dans les cadres (sans que ce soit un effet pour se repérer suivant le contexte). Des gens qui gèrent l’impression de catalogues qui ne connaissent même pas les notions de bases du façonnage, les différents brochages, qui ne maîtrisent pas les grammages et tenus du papier (aïe aïe aïe pour le routage). Lorsque c’est le plus répandu (hormis quelques exceptions) imagine le regard porté sur un créateur de logo alors que tu as freepick pour gratos.

        Moi aussi j’ai 20 ans de web et 10 ans de formation. (20 ans de libre et linux)

        Réponse
  13. Je suis assez d’accord sur ton constat, mais je pense que d’autres causes sont à l’œuvre, que la perte de la solidarité est bien plus globale.

    J’ai toujours travaillé en entreprise privée, j’ai toujours été reconnue pour mes compétences (en résumé, parce me faire douter de moi via des méthodes de management que je trouve sottes, cruelles et destructrices, j’ai vécu!).

    Je donne du sens à mon travail, non pas pour le bénéfice de la cupidité de mon employeur mais pour mon bien être psychologique… et c’est là le hic ! Tant que les deux convergent tout va bien pour moi… mais dès que mon refus de me soumettre à la banalisation de la cupidité avant tout, avant le service au client, avant la prévention de malaises, voire de risques, avant la solidarité entre collègues qui sont pourtant dans le même bateau, bref… cette insoumission me relègue en mouton noir.

    J’ai quarante ans, des années d’expériences mais jamais la moindre évolution de carrière, un paquet de licenciements pour faute grave et je suis majoritairement jugée sur ce que ça laisse entendre de moi, même en dehors du cadre du travail. Et pourtant me connaissant je sais que je m’en sors mieux comme ça que si je jouais docilement le jeu.

    Et ce ne sont pas les patrons qui exercent cette pression mais justement les collègues, et c’est trop simple d’y voire la jalousie, la haine etc. , c’est plus complexe ! J’ai constaté que pour s’en sortir en bossant dans le privé il fallait s’imposer une sorte de suicide moral, et que l’idée seule qu’il soit possible de survivre sans cette automutilation est tellement douloureuse, surtout pour ceux à qui ça a coûté, que ce sont ceux qui résistent qui leur apparaissent comme la plus grande menace, bien loin devant ceux qui leur imposent ce choix.

    Et nos politiques s’y prennent très bien pour influencer la psychologie de groupe dans ce sens, c’en est devenu le principe même de l’ordre social : obéir sans réfléchir… mais en gardant tes capacités de raisonnement intactes et dévouées à la cupidité du patron ! Et là c’est ironique, entre la population et son président qui est mandaté par qui au service de qui ?

    Mais revenons à votre problématique (ou du moins à ce que j’en comprends), qui représente le mieux cette résistance au suicide moral imposé par la cupidité des uns ?

    Pour reprendre l’image d’un autre artiste, dans un monde qui rogne nos libertés pour nous modeler tels que ça lui facilite le travail (ben oui, gouverner 100 000 000 clones c’est plus simple que gouverner 1 000 personnes différentes), qui passe sa population dans des calibres et mutile violemment et impitoyablement tout ce qui dépasse… just bricks in the wall ! L’artiste est celle (celui) qui revendique, qui met en valeur ce qui dépasse… la brique contrastée… le mouton noir…

    L’artiste n’est pas à l’abri d’un suicide moral, mais on s’imagine qu’il a plus de libertés quand à la forme de ce suicide. Pas à l’abri de la cupidité non plus, il y a une forme d’art de la cupidité, et la cupidité artistique s’en sort pas mal, au détriment des autres formes d’art…

    Là dessus, les amalgames toxiques du genre : tous des fainéants ces chômeurs, tous des fraudeurs ces allocataires (la liste est longue mais en ce qui concerne les artistes ce sont les plus nocives je pense), la méconnaissance du système d’assurance chômage spectacle, de ses raisons d’être (ou de celles d’autres collectifs et syndicats d’artistes) ne peut qu’attiser l’expression malavisée et mal à propos d’une réelle misère.

    La note d’espoir, c’est que ce suicide moral est réversible, pour certains il suffit d’être trahis par ce pour quoi ils se sont trahis pour se libérer de l’illusion qu’il n’y a pas de salut sans soumission totale, pour d’autres c’est moins évident… Mais avec le nombre de trahisons en cours, le fait que si un patron te demande de bien vouloir être volontaire pour te faire virer parce que sa position trouve de la pénibilité dans le fait d’assumer qu’il licencie en masse, ben obéis ! Sois donc volontaire puisqu’on te le demande (gentiment?!)… bref on marche tellement sur la tête que ça finira bien par se casser la gueule !

    Espérons qu’il restera assez de bon sens, d’ouvertures et de sens artistique pour rebondir solidairement et intelligement

    Réponse
  14. Être artiste n’est pas un métier mais un statut social issu d’une reconnaissance d’un groupe à l’égard d’un individu. Ce n’est pas un métier, si on va par là tout fout le camp et le moindre crétin qui à sa chaine youtube est le nouveau Picasso.
    Et donc tout ça c’est du blabla d’un ego insatisfait, incapable de jouir et effrayé par la mort.

    Réponse
    • Artiste est un statut juridique et fiscal. Perso, ce n’était pas mon choix initial, mais il se trouve que choses que je fais pour gagner ma vie me font arriver dans ce statut, avec tous les fantasmes qu’il véhicule.

      Mon préféré, c’est que seuls les artistes avec talents ont le droit d’exister ou de bouffer. Genre, à partir de maintenant, on ne va plus filer de salaire qu’aux gens qu’on trouve « doués » dans l’entreprise… mouhahahah

      Réponse
  15. De tous les clichtons collants sur les artistes, mon préféré, c’est celui du don. En gros, un artiste nait avec un don, un talent, comme le saint-esprit du pinceau et du burin et hop, il mérite d’être reconnu et payé…

    Je pense qu’il existe encore des gens pour penser que la précocité de Mozart est tombée du ciel (ou génétique, on a les fantasmes de son époque!) et n’avait absolument rien a voir avec le fait que son père était un musicien et qu’il a fait cravacher son gosse h24, comme tant d’autres gosses surexploités et abîmés par l’ambition dévorante de leurs parents.

    En vrai, le talent, c’est du boulot, du boulot et encore du boulot. Se faire une rétrospective intégrale de n’importe quel type d’artiste au talent reconnu est assez éclairant. Au début… il débute et fait des croutes, des trucs pas terribles, des machins un peu ordinaires avec peut-être un certain point de vue intéressant. Le point de vue fait la différence, celui-là, c’est ta vie qui te le donne. La technique pour exprimer ce point de vue unique, il n’y a pas de secret, il faut l’acquérir et ça demande beaucoup, beaucoup de temps, d’efforts, de travail. Chaque jour, se mettre à l’ouvrage… voilà le secret du talent, du don et de l’inspiration.

    Forcément, si tu passes l’essentiel de ton temps à tenter de survivre un jour de plus, ça va être plus compliqué pour toi de développer ton talent.

    Donc oui, artiste, c’est du travail, du travail et encore du travail… c’est donc un métier.

    Réponse
    • Agnès
      « artiste, c’est du travail, du travail et encore du travail… »
      Tu dis ce que je disais à Monde Indien au dessus…

      J’y mettrai un bémol.
      Plutôt que de dire qu’il existe des « artistes-né », j’ai eu à constater que le contraire était vrai. Il existe des personnes insensibles à l’art (et donc incapable de développer une oeuvre elles-mêmes quelle que soient la quantité de boulot qu’elles fournissent).
      Tout comme, d’ailleurs, chacun n’a pas la même rapidité d’apprentissage. Avec le même boulot quotidien, il est des gens qui deviendront de piètres amateurs au bout d’une vie, là où d’autres seront devenus pros en un an.
      Ou encore des handicaps partiels très infirmants pour certains arts. En musique il est des gamins qui frappent la musique en rythme à 2 ans et des adultes qui n’y arrivent toujours pas au bout d’une vie (même si ils sont par ailleurs sensibles à la musique). Pour les deuxièmes, je déconseille d’essayer de faire de la musique autrement qu’en amateur ;).

      Réponse
      • Pas franchement d’accord : il existe des personnes qui ont été rendue hermétiques à l’art tout comme il existe beaucoup de personnes qui sont devenues incompétentes en maths parce qu’on leur a bien expliqué étant gosses que c’était très difficile ou qu’ils n’avaient pas « la bosse des maths ».

        On a tous des récits de potes qui te racontent comment un mauvais prof ou une mauvaise parole les a rendu inapte à telle ou telle tâche.

        Le talent, c’est la variable explicative de tous ceux qui font l’impasse sur les conditions de vie, particulièrement dans l’enfance.

        Réponse
      • Bien sûr Agnès,
        mon propos ne vise pas à décourager.

        Mais j’ai été (et suis toujours un peu) prof (d’instruments) de musique. Et je peux t’affirmer que malgré toute la bonne volonté que peuvent avoir les élèves (et la foi en eux que je peux avoir – je n’ai jamais laissé tomber un seul de mes élèves), il en est que je n’arrive pas à faire taper en rythme dans leurs mains au bout de 5 – 6 ans de cours, là où d’autres, sur la même période, sont devenus des confirmés de l’instrument.
        Et c’est vrai pour tous les âges.

        Le « particulièrement dans l’enfance » est très vrai (j’expliquais dans un autre post sur l’éducation sur ton blog que l’oreille absolue se choppait entre 5 et 7 ans – cf une émission de France culture sur les neurosciences), il n’empêche, pour avoir été intervenant musical dans les écoles, je peux te dire que si la différenciation (entre ceux qui chantent juste, ceux qui intègrent les notions de base de rythme) est du domaine de l’acquis et non de l’inné, bah elle a lieu extrêmement tôt dans la vie.
        Après, je suis aussi pédagogue, et, à celles et ceux qui n’entendent pas (ou qui entendent mal) je connais tout un tas d’exercices pour faire avancer les choses et mettre en confiance, il n’empêche, avec certains ça va très vite avec d’autres, il faut se doter de beaucoup d’abnégation.
        Dernière remarque sur ce sujet.
        L’ amusicalité existe. Il est des gens (de l’ordre de 3% de la population si je me rappelle bien l’article que j’avais lu sur le sujet) qui considèrent toute musique comme du bruit, chez qui les vibrations musicales ne déclenchent aucune émotion autre que de l’agacement. On en trouve dans tous les milieux, même dans des familles de musiciens. Ceux là, je te mets au défi d’en faire des musiciens.
        Et si c’est vrai en musique, ça doit exister pour tous les arts (y’a pas de raison 😉 ).

        Réponse
  16. « Faire de l’Art c’est 10% de talent et 90% de travail. »
    Picasso

    Réponse
    • Picasso était prétentieux.
      10 % de talent? moi je dirais 1 à 2 (le « point de vue » cité par Agnès).

      Réponse
      • Je ne suis pas d’accord, ou alors il faut s’entendre sur le terme.

        Qu’est-ce le talent ?
        Est-ce quelque chose de génétique (présent dès la première cellule de vie après fécondation)
        Est-ce que c’est un ensemble de prédispositions acquises que ce soit in-utéro ou dans les premières années de vie ?
        Est-ce juste rien ?

        Il est de bon ton, actuellement de gommer le talent pour y substituer le travail avec une faible part à la prédisposition (pour faire plaisir et tenter d’obtenir un consensus mou se bornant à pinailler sur le % 1 ou 2 ou 10. Pourquoi pas 3,457 %

        Ce gommage des prédispositions porte 2 objectifs :

        – le premier et non des moindres est la volonté libérale de gommer les différenciation. Cette absence de différence permet le remplacement d’une personne par une autre.C’est la négation de l’individualité : en tant que personne TU peux apporter des choses que d’autres ne peuvent pas. En niant cet état de fait, l’ouvrier est un remplaçable comme une pièce mécanique (la volonté de transférer la compétence dans l’outil fait partie de ce mouvement).

        – le deuxième est de tenter de promouvoir dans cette société marchande la rémunération contre un travail. En effet comment concilier que l’on doit travailler pour avoir une rémunération (ce que l’on fait – et de productif- et non ce que l’on est) alors que certains gagnent des millions juste en chantant ? Ainsi même si le créateur prend 30 sec à dessiner sur un coin de table le logo qui va déchirer, ce logo vaut des centaines/milliers d’euro parce que c’est le résultat d’un travail antérieur. On ne paie pas tant le temps à dessiner le logo (comme le temps qu’une secrétaire met à tapper une lettre) que les dizaines/centaines/milliers d’heures de travail ayant permis d’arriver à cette capacité. Pourtant la traduction d’un texte en langue étrangère est facturé à l’heure passée (à moins que l’heure passé, puisque en payant au nombre de mots) alors même que cette capacité est également le fruit d’un travail passé peut être aussi long que le cheminement artistique. En quoi le logo dessiné en 5 minutes vaut plus que le texte traduit en 5 minutes, je n’ai pas la moindre idée et je suis preneur d’une explication pas trop bancale.

        Cette différenciation porte d’ailleurs une exception qui est le droit d’auteur qui était censé protégé l’auteur du producteur et qui sert maintenant à protéger le producteur rapace contre le spectateur en spoliant l’artiste.

        Ainsi, on ne m’enlèvera pas de l’idée qu’il y a un ‘talent’ ou des prédispositions. De la même manière qu’il y a plusieurs formes d’intelligence, plusieurs capacité à apprendre, il y a des talents. Il est évident que pour certain, il est bien plus facile de savoir croquer une situation (on peut y supputer des capacités à percevoir la 3D, l’environnement, les couleurs, les expressions….) que d’autres, même si avec du travail un grand nombre de personnes est capable d’arriver à quelque chose d’acceptable.

        Cela ne veut pas dire que les artistes ne travaillent pas ou n’ont pas besoin de travailler, mais ils ne partent pas sur la ligne de départ de la réalisation artistique au même point que tout le monde. De la même manière que face aux études tout le monde n’a pas la même égalité des chances (hormis les considérations de classes sociales).

        Et je ne pense pas que ce soit juste 1, 2 ou 10%.

        Ou alors, il faut s’entendre ce qu’être artiste. Est-ce que le sosie de Claude françois qui fait la tournée des baloches en est un ?

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      • J’entends ton objection, Hervé.
        Relis mon post, cinq ou six posts au dessus en réponse à Agnès ( » j’y mettrai un bémol …  » ), et tu verras que je dis quelque chose qui se rapproche de ce que tu dis. Pour moi, 1 ou 2 %, c’est énorme (c’est ce qui fait que nous sommes différents bien que très semblables, si on se compare à un grain de sable).
        J’aurais néanmoins une remarque. Ce n’est pas parce qu’un argument est utilisé par les libéraux qu’il est nécessairement fallacieux. Tu te mets d’entrée un biais politique qui t’empêche de raisonner sans à priori. 😉 .
        la bise!

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        • Non, 1% ce n’est pas énorme. Ou alors il faut tomber d’accord sur ce qui l’est.

          Il y a peu de différence entre notre génome et celui des chimpanzés (genre moins de 1%). Si on regarde entre deux hommes et un chimpanzé (ou deux femmes une chimpanzé, n’excitons pas les féministe) la différence est énorme. Si on regarde un homme, un chimpanzé et une amibe, cette différence ne l’est plus.

          Dans le cas de l’artiste, il reste toujours cette question : doit-on payer « cher » une oeuvre afin de sustanter tout le mois l’artiste alors que pour un non artiste il faut qu’il se démerde à trouver du travail pour tout le mois, payé clopinettes chaque ‘oeuvre’. Pourquoi accepter que l’artiste ait un statut différent ?

          Pour l’argument ad poltis 😉 je suis moins confiant que toi. Soit c’est un argument périphérique et effectivement peut importe, soit c’est un argument majeur qui va irradier la société, qui va être le socle à un mode de pensé, va déplacer les repères de la société et là, il faut être très très très vigilant.

          Par exemple, cette ‘égalité’ qui suinte par tous les pores des discussions n’est pas une question sur l’égalité des droits car celle-ci est écrite dans TOUS les documents juridique. C’est une question sur l’égalité des personnes, pas une question sur le traitement équitaire qui fonde toute communauté bienveillante (qui trouverait anormal de s’occuper d’une personne handicapé qui ne fournit aucun travail ? qui penserait que les enfants ont moins de droits parce que dépendants ? ) mais un fondement égalitaire rabotant.

          Ainsi pour revenir au sujet. Bien entendu que dessiner un plan de jardin inclus de l’immatériel et cela vaudrait alors bien plus que les 3 fois 10 euros (3 heures de travail). Mais en quoi traduire un article de 1 page ne serait pas jaugé de la même manière ? Pourquoi lorsqu’un maçon monte un mur, on ne le paie pas pour cet immatériel ?

          Tu remarqueras que le prisme qui permet de décider qui a le droit à une part d’immatérialité est celui qui est dans le x% de ‘dominant’. Ainsi l’artiste FIAC peut vendre un crochet brico-dépot 50 000 euros, un decaïdeur peut gagner 30 millions à l’année, pour ce qu’ils sont (argument qu’il n’est pas l’égal de l’autre) alors que la piétaille peut être piétinée pour ce qu’ils sont (ils sont tous égaux entre eux)

          Oui je chausse souvent mes lunettes politiques, parce que sinon tu est eu à chaque coup.

          Réponse
        • « Bien entendu que dessiner un plan de jardin inclus de l’immatériel et cela vaudrait alors bien plus que les 3 fois 10 euros (3 heures de travail). Mais en quoi traduire un article de 1 page ne serait pas jaugé de la même manière ? Pourquoi lorsqu’un maçon monte un mur, on ne le paie pas pour cet immatériel ? »

          Exactement, la blessure sociale se fait par l’utilisation de la monnaie en tant que vecteur de dissociation entre les individus.
          Cette dissociation des personnes est le principe fondateur d’une société de conquête.

          Il ne sert donc à rien de légitimer telle ou telle corporation sur la base du salaire due, c’est sur la base du partage du droit à une vie équitable pour tous que le débat doit se tenir.

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  17. Sur la reprise de ce billet sur Agoravox (c’est un accord de longue date entre le fondateur et moi), il y a UN commentateur qui a parfaitement compris le sens de ce que j’écris :

    Ne fantasmez pas trop sur le mot « artiste ». Rien ne sert de se monter la tête comme vous le faites. C’est comme pour ’Dieu’, dites ’principe transcendant’. Pour ’artiste’ pensez ’créatif indépendant’. Il sont partout : du dessin des paysages (paysagistes) à celui de vos routes, rues et quartiers (urbanistes), ponts, maisons et immeubles (architectes) , bagnoles et objets de consommation courantes (designers), coupes de vos vêtements, dessins de vos papiers peints et tissus, illustrations des livres de vos enfants, musiciens, peintres, sculpteurs, danseurs, acteurs, circassiens etc. Pour ma part j’y rajoute, tous les créatifs qui n’appartiennent pas directement au monde des arts traditionnels. Pour moi quelqu’un qui crée avec passion et indépendance une production de légumes de qualité, un mécanisme intelligent, c’est un artiste, comme un producteur de vin ou un restaurateur qui travaille la saveur de ses plats…

    Ce dont l’article parle, ce n’est pas une plainte concernant le statut de l’artiste en tant que tel, comme semble le percevoir bon nombre de commentateurs, ce qui serait sans grand intérêt, mais la façon dont son travail, ce statut particulier, sont considérés dés lors qu’il s’agit de le rémunérer ; du marchandage, souvent affectif en plus, auquel il est régulièrement soumis alors que l’on réclame pourtant son intervention ou sa production. A mes clients je dis qu’ils ne sont ni obligés de me choisir ni de travailler avec moi, qu’ils peuvent aller voir ailleurs… mais que s’il décident malgré tout de travailler avec moi ils doivent respecter les accords convenus. Ce n’est pas moi qui vais les chercher, mais eux qui viennent me demander de travailler pour eux. Si personne ne vient me chercher je ne vais pas me plaindre, je ne peux m’en prendre qu’à moi même.

    Il est bien évident que lorsqu’une entreprise de travaux publics débarque sur un chantier avec ses bulldozers, personne ne conteste qu’il y a là travail… Par contre, lorsque l’on considère les plans et plus encore les esquisses, les idées qui sont à l’origine de ces travaux, il en va tout autrement. Il n’est pas du tout évident de défendre la création d’idées, de concepts, de formes, de dessins, de sons etc. C’est à la base, principalement immatériel. Ca n’existe pas et une personne ’l’artiste’ la fait apparaître. Ce processus là est régulièrement déconsidéré, et régulièrement perçu par un certain public comme suspect, voir carrément comme un non travail. Bien souvent ce public mal informé pense que cela peut se faire le matin entre le premier café et la tartine grillée.. et que pour cela ça ne vaudrait pas grand-chose de plus que quelques miettes… Pas grand-chose de plus en tout cas que quelques minutes de réflexions. Un peu comme si vous payiez votre médecin uniquement les deux minutes au cours desquelles il pose son diagnostique ou rédige son ordonnance. La différence avec le médecin, que l’on accepte de payer sans trop rechigner, c’est que c’est principalement une assurance collective qui le rémunère, alors que pour un créatif indépendant, il est clair que vous payez entièrement de votre poche non seulement les deux minutes de génie (pour les génies) ou les nuits blanches des créatifs plus communs, mais également l’entièreté de leurs subsistances, comme pour n’importe quel autre travailleur. Sinon, l’existence même de personnes dont le rôle est de réfléchir, de créer serait tout simplement impossible. Lorsqu’un créatif est rémunéré c’est sa subsistance qui est en jeu. Lorsque l’on tente de retenir une partie de sa rémunération d’une façon ou d’une autre en profitant de la fragilité de son statut, du regard que la société pose sur lui, c’est une façon de lui dire qu’il ne mérite pas de vivre de son travail… ce qui est d’une grande violence. Violence pourtant commune que dénonce, justement, Monolecte.

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    • bah voilà.
      entièrement d’accord avec ton commentateur 🙂

      Réponse
    • ça devrait pourtant être évident : oui ton travail mérite salaire, non rien ne justifie que tes clients se permettent de te demander de « bien vouloir travailler gratuitement », et si honte il doit y avoir (et il y a de fait) c’est inverser les rôles que de te la refourguer, c’est pervers !

      Et ça doit vraiment être usant moralement que chaque client représente à la fois une opportunité positive, à la fois une potentialité de vivre et revivre ça !

      Et certains commentaires qui défendent ouvertement ou insidieusement cette perversion, c’est glauque !

      Ta métaphore du banquet m’a rappelé une anecdote : en entrant dans la boucherie de ses parents, une amie et moi avons vu sa mère se faire agonir d’injure par une cliente qui n’avait comme seul argument que sa fortune était de notoriété publique. Lorsqu’elle est partie, sa mère nous a dit qu’elle préférait les clients modestes aux fortunés qui réclamaient une ardoise et s’offusquaient à chaque demande de l’effacer, les deux sous le même argument : leur fortune ! (avec parfois aussi la menace de leurs contacts hauts placés, ah, non désolée c’était pas une menace, juste une info en passant !)

      Et je me suis dit : super ! on n’a pas réparti les richesses, mais la haine et le mépris d’autrui, eux se sont bien démocratisés… ce qui est un peu naïf parce que le statut d’artiste a toujours souffert d’une imagerie populaire très naïve, elle : si les artistes étaient des purs esprits sans besoin, il faudrait les sanctifier !

      Bref, courage Agnès, tes arguments sont légitimes, tes revendications saines

      Mais le salariat n’est pas pour la majorité des personnes concernées un emploi sécurisé et confortable : c’est pas la même pression mais la dévalorisation du travail fourni, l’inversion de la honte, l’incertitude du lendemain, les heures sup non considérées comme du travail on est vraiment très très nombreux à connaître, même en CDI, il suffit d’être presta !

      Et je suis peut être une imbécile naïve, mais je pense que le clivage entre catégories socio-professionnelles est LE rouage le plus important de cette pression, celui qui permet à ceux qui bénéficient de la pression sociale de ne plus se salir les mains et laisser les victimes de cette pression foutre elles même la pression aux autres victimes.

      C’est super, exponentiel, gratuit, non salissant ! Je ne saurais qualifier ça d’intelligent tant je trouve ça abject, mais le fait est que ça marche très bien !

      Et ça m’empêche pas de te préférer vivante avec des moyens que métaphoriquement sanctifiée dans l’indifférence générale 😉

      Réponse
      • Et merci pour ton coup de gueule, les idées reçues, j’ai beau m’en méfier ça déteint quand même.
        Un peu de « pédagogie » venant des personnes concernées c’est revigorant, pour changer 😉

        Réponse
  18. J’en reviens à ma première réaction.
    Il existe des caisses de redistribution des droits pour les ouevres de créateurs. (SACEM, SPEDIDAM, etc…)
    Avec une politique volontariste, il y aurait largement moyen de rémunérer les créatifs en changeant la règle qu’ils appliquent (ie, répartition au pro rata de la diffusion – à rééquilibrer en temps de travail et conserver pour une partie minoritaire le pro rata de la diffusion). Parce que la création génère une grosse manne.
    Une telle révolution n’est pas à l’ordre du jour (elle spolierait ceux qui vendent le plus et qui défendent leur droit à s’enrichir au détriment des autres créatifs), mais pourrait largement répondre au financement de la création.

    Réponse
  19. Merci pour cet article. Je suis écrivaine spécialisée. J’en vis. Rien que ça c’est pas mal par rapport à nombre de mes pairs. On m’a déjà demandé si j’acceptais de n’être payée que si mon texte était utilisé, on m’a déjà dit quand on reprenait mes textes sans autorisation (du plagiat quoi) qu’on avait mis mon nom en bas et que du coup ça me faisait de la pub. Ahahahah. (Il y a un sketch de Desproges assez drôle sur ce sujet.)
    Au regard de ma formation et de mes compétences, ça ne me choquerait pas d’être payée un tout petit peu plus qu’un coiffeur, j’avoue.

    Réponse
    • Au regard de ma formation et de mes compétences, ça ne me choquerait pas d’être payée un tout petit peu plus qu’une écrivaine, j’avoue.

      C’est triste. de penser en terme de moins/plus que. Il y a une ‘étude’ /expérience sociologique (donc relativisions le terme étude) qui demande aux ‘gens’/sujets/cobayes d’un groupe : vous préférez gagner 2000 euros et que les autres gagnent 2500 ou que vous gagniez 1000 et que les autres gagnent 500. Les gens répondent majoritairement les 1000. En clair ils préfèrent gagner moins du moment que l’on gagne plus que les autres.

      C’est marrant de penser que sa ‘formation’ et ses compétences sont supérieures à celles d’un autre et que l’on doit gagner (un tout petit peu) plus. Alors que la bonne réflexion serait de gagner assez pour vivre une vie décente. Donc l’écrivaine ‘spécialisé’ gagne un petit peu plus qu’un coiffeur, et de ‘petit peu plus’ en ‘petit peu plus’ on arrive à carlos gosch qui gagne quelques (petits) millions. Donc l’écrivaine peut gagner un petit peu plus (5 euros?) qu’un apprenti coiffeur ? c’est bon ?

      On pourrait penser en terme d’utilité, en terme de travail, en terme de progression collective, en terme d’humanisme…. pourquoi la formation et les compétences seraient des critères. Et même quels critères pour ‘classer’ les compétences ou les formations ? La durée ? 7 ans pour comprendre les rites funéraires de vikings isolés dans un village de laponie vaudrait plus que 2 ans pour accompagner les vieux à mourir sereinement ? La difficulté/sélection ? 12 ans de médecine pour prescrire du médiator et de la dépakyne aux femmes enceintes seraient mieux que 3 ans d’infirmière en soin palliatif ?

      Alors bien entendu les ‘éduqués’, les cultureux ont plein de bonnes raisons pour expliquer que EUX ils méritent plus que les autres. On les entend plus parce qu’ils savent construire un discours. Mais qu’y a-t-il derrière ce discours ? Pendant les études de ma vie passée, on m’apprenait à soutenir un thèse avec conviction et immédiatement après soutenir le contraire avec la même conviction. Je dois gagner plus que celui qui n’en défend qu’une ?

      Un informaticien, il gagne un peu plus que l’écrivaine spécialisé ? moins que le coiffeur ? comment juger ? à l’aune de ce que l’on sait/connaît ? Assez compliqué. Est-ce que l’éboueur qui se lève à 4 heures du mat pour travailler à soulever des poubelles qui sentent pas forcément bon doit gagner plus ou moins qu’un écrivain qui raconter l’histoire d’amour impossible entre (soyons sexiste rétrograde) une fille et un garçon que tout sépare et qui se détestent et que miraculeusement à la fin ils s’aiment pour la vie ?

      J’ai pas de réponse. L’offre et la demande ? est-ce que l’on peut construire une société sur cela ? vaste question.

      Réponse
      • Eh oui, c’est triste de (dé) raisonner en termes de formation, compétences et autre nombre d’années d’études, mais cela a des conséquences désastreuses. Au bout du bout (lire Todd à ce sujet, c’est éclairant), le mépris de classe et les images surréalistes de Macron face à des gens ordinaires, qui n’ont ni sa formation,ni ses compétences,j’avoue.

        Réponse
  20. (le cadre est le tour; son décor) le support limite l’art,
    l’art est limité par son support,

    je paie, si je veux,
    n’est-ce pas vous aussi votre bon plaisir

    Réponse
    • « je paie, si je veux,
      n’est-ce pas vous aussi votre bon plaisir »

      Payer ou être payé est-il un plaisir ou l’abandon du sens réel de notre humanité pour le profit imaginaire de n’avoir pas à être soi ?

      Réponse
  21. Personne dans le grand public n’a les moyens de se payer de l’art. Le modèle économique le plus approchant de celui de l’art est celui du luxe – c’est là-dessus qu’il faudrait baser la comparaison, et pas sur la boucherie ou sur les métiers de l’artisanat, qui ont un débouché auprès du grand public. Le marché de l’art s’adresse à une toute petite élite. Et encore, à la différence du monde du luxe (où l’offre est très restreinte), l’art est un marché où il y a beaucoup, énormément d’offre, et au fond très peu de demande. Fatalement ça tire la valeur du produit vers zéro, d’où les difficultés économiques rencontrées par la plupart des artistes. Tirent leur épingle du jeu ceux dont le marché a consacré la valeur, qui sont rentrés dans le monde spéculatif où les gens s’arrachent leurs oeuvres en espérant une plus-value. Gare au crash, mais c’est une autre histoire.

    Oui il y a quelque chose d’étrange à ce que les artistes soient entretenus par l’Etat (RSA, résidences subventionnées, etc.) alors que leur débouché est un marché spéculatif essentiellement soutenu par le privé. La critique de « l’artiste-parasite » émanant du grand public est fondée sur le plan éthique même si elle est rarement formulée de façon juste – la plupart des artistes ne cherchent pas du tout à concevoir un modèle économique dans lequel leur travail pourrait trouver des débouchés, un modèle économique plus juste pour tou.te.s, non ; ils vivotent en attendant de « gagner à la loterie » (à savoir, rentrer sur le marché international), bref, ce sont des purs agents du système qu’ils prétendent critiquer par un discours du type « ouin mon travail n’est pas rémunéré à sa juste valeur. »

    Le réel je viens de l’écrire : la valeur d’un travail artistique, dans l’absolu, c’est peanuts, rien, nada, zéro. Pas de demande = valeur nulle. Simple loi économique. Si on veut gagner sa vie avec son art il faut soit rentrer dans le jeu du marché de l’art, soit imaginer d’autres débouchés à son travail.

    (Je précise que je suis artiste plasticien moi-même… et en galère comme la plupart d’entre nous.)

    Réponse
    • mt18,
      Tu parles de quoi exactement?
      De quelques peintres, sculpteurs et autres photographes ayant une si grande idée de leur art et d’eux-même, qu’il ne leur vient même pas à l’esprit que ce qu’ils font est universel ?

      Dans le monde de l’art, il existe un immense snobisme, et un élitisme indécent. Vrai. Mais ce n’est pas une généralité. Le moindre dessin d’enfant accroché à un mur est une forme d’expression artistique et il y en a chez tout le monde (le très peu de demande est très relatif). Sans parler de la musique, de la littérature, ou il existe une demande abondante.
      Lest artistes atteints du syndrome que tu décris (qui espèrent gagner le gros lot sur le marché de l’art spéculatif) ne représentent pas le monde de l’art, mais uniquement eux-mêmes.

      Réponse
    • « la valeur d’un travail artistique, dans l’absolu, c’est peanuts, rien, nada, zéro. Pas de demande = valeur nulle. »
      Je ne le crois pas une seconde, l’art c’est l’expression des sens qui nourri l’humain à être toujours meilleur en lui-même, exactement comme une bonne potée le fait pour sa survie.

      Il n’est pas dit non plus que les autres espèces ne s’en servent pas pour évoluer elles-même.

      Réponse
      • oui certes, mais cela ne veut en AUCUN cas dire que ce travail mérite rémunération.

        Il y a des foultitudes de « travails/réalisations » qui ne sont pas rémunérées. En quoi l’Art passerait automatiquement sous les fourches caudines de la valeur marchande ?

        Si demain on ‘invente’ un logiciel qui peint -qui fait des images que l’on peut imprimer- (j’y réfléchissait à un moment) ou un logiciel qui écrit des chansons -au moins le thème musical- devrait-il obtenir per se une rémunération ?

        Réponse
      • « Il y a des foultitudes de « travails/réalisations » qui ne sont pas rémunérées. »

        Ben oui, pourquoi tout cela ne mérite pas notre attention commune ?
        Rémunérer, c’est d’abord porter de l’attention, non ?

        Réponse
      • « cela ne veut en AUCUN cas dire que ce travail mérite rémunération. »

        C’est un fonctionnement au mérite, c’est à dire le plus injustifiable possible.

        Réponse
  22. l’histoire de l’art c’est l’Histoire du Beau,
    dans ‘beau’ il y a: « je t’aime, et je tiens à toi » (etc.)
    ni je suis archéologue,

    Réponse
    • ¶ « Beau » est déjà le résultat totalement réducteur de projections, rarement maîtrisées.

      ¶ Si on « veut » faire du « beau », alors on fait du… Décoratif. Il ne peut être beau.

      Ce fil ne parle jamais…
      ¶ Intentionnalité, non-intentionnalité ;
      ¶ Stratégie / Spontanéité, etc.

      ¶ Les prétendus droits n’en sont pas et n’on rien à voir avec l’art, mais tout avec le commerce et le marketing.

      ¶ Le statut d’artiste est un statut et ne fait pas un artiste.

      Etc.

      ¶ Gare aux corporatisme, au dogmatisme, aux projections, au amalgammes, aux pensées réductrices…

      Réponse
  23. (« je t’aime, et ce que tu représentes ») ..avec tout ce Soleil je m’y perds,

    Réponse

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