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La cagne

Par Agnès Maillard
10 avril 2005

Expression répandue dans ma région, dire "j’ai la cagne" signifie à coup sûr que je n’ai pas la pêche.
Mais l’usage d’un dictionnaire étymologique nous en apprend bien plus.

Je n’écris plus, j’ai le visage aussi long qu’un jour sans pain et le brouhaha perpétuel des agitateurs du vide ne m’amuse plus du tout. Autrement dit, j’ai la cagne, et ce d’autant plus que le cagnard s’est fait la malle.

Quand on réfléchit deux minutes, on a l’impression que les 2 mots ont quelque chose à voir, viennent de la même racine. D’où l’intérêt de s’équiper d’un dictionnaire étymologique, un peu comme si connaître l’origine des mots permettait de remonter à la source des maux.
Ici, le cagnard, c’est le soleil, de préférence celui, brûlant, qui tanne le cuir de l’aoûtien imprudent. Mais en fait, cela vient du mot caigniart qui désignait un abri, un réduit misérable. Puis on parle d’un petit abri ensoleillé à l’abri du vent, qui devient faire cagnard, se reposer au soleil! J’admire l’élasticité de notre langue qui passe du taudis à la canicule au fil des siècles.

La cagne n’a rien à voir avec tout ça. Elle vient à l’origine de la racine latine Canis, qui signifie chien. La cagne, c’est le sale clébard, le chien de mauvaise race. Par extension, c’est devenu une sale femme, paresseuse et méprisable, voire une femme de mauvaise vie. Faire laide caigne revient à dire au XVIIIème siècle qu’on a une sale tête, que l’on fait grise mine.

On comprend mieux ainsi comment cette chienne de vie nous donne parfois la cagne, particulièrement lorsqu’on a perdu ce petit abri ensoleillé et à l’abri du vent où l’on était si bien!

Ainsi donc, le chômeur (puisque c’est là l’épicentre de cette dépression qui stagne au-dessus de mon coin de Gascogne) serait quelqu’un de cagneux. Mais non, cagneux ne signifie pas avoir la cagne (on admire la complexité magnifique de notre langue!).
Est cagneux celui ou celle qui a les genoux tournés en dedans. Outre l’aspect inesthétique de la chose, on sent bien le handicap qui en découle. Et cela ne parle pas des qualités morales de la chienne ou de la femme, mais bien de la difficulté d’avoir les pieds en coin.

Si on se penche sur le chômeur, on découvre que bizarrement, il n’est pas sans rapport avec le cagnard. Tout vient de cauma, mot latin signifiant grosse chaleur et dont on sent immédiatement qu’il n’a rien à voir avec son homophone moderne coma, même si on peut admettre que le chômage est une forme assez élaborée de coma social. On passe ensuite à caumare : se reposer pendant la chaleur. Puis, progressivement, le sens ne pas travailler prend le pas sur l’idée de se reposer. Au final, le chômeur devient celui qui ne travaille pas pour cause de congés, de fêtes ou de panne quelconque. On parle d’ailleurs encore de jour chômé pour un jour férié. Par extension, on pourrait s’amuser à dire que tout salarié par le jeu des dimanches, des RTT et des jours fériés est un intermittent du chômage.

Mais voilà, le mot chômeur, lui, a été alourdi de représentations sociales extrêmement négatives. Cette mauvaise image du chômeur, collectivement élaborée depuis les années 30 a une fonction sociale et économique précise (voir le lien ci-dessus, terriblement instructif!). Elle a surtout pour conséquence de stigmatiser toute une population dont le crime principal a été de ne pas avoir la chance de tomber sur une boîte ou un contrat pérenne.

Alors, forcément, le chômeur, désigné comme cagneux, finit par avoir la cagne!

9 Commentaires

  1. Allez, tu vas pas te laisser abattre par l’éthymologie ?

    Tu devras toujours assez tôt interrompre ta sieste pendant la grosse chaleur pour retourner la joie au coeur te faire torturer sur le tripalium.

    Réponse
  2. Un seul mot Courage!!!

    Réponse
  3. Ben chez nous, un cagnard c’est un zonard, un petit voyou, un branleur, bref un ado ou post-ado en déserrance. Marrant, non ? (oui, enfin je sais, c’est pas marrant du tout, mais on fait ce qu’on peut…)

    Bisous ma biche. Tu verras, bientôt tout cela va s’arranger, je l’ai lu dans mes feuilles de salade défraîchies.

    Réponse
  4. Mince, Nath, ici pour lire l’avenir, on se sert de marc de café… Et toi, tu fais quoi, après, de tes feuilles de salades défraîchies ? Tu les mets au cagnard pendant que tu as la cagne ?

    Allons, Agnès ! T’es trop bonne pour rester à ne rien faire ! Allez zou, un m… et ça repart !

    Réponse
  5. Si vous aussi, vous vous intéressez aux mots et à leurs sens, une seule adresse sur le web, celle où j’ai trouvé toutes ces informations :
    http://atilf.atilf.fr/
    A lire aussi : ce post fort instructif

    Réponse
  6. Je suis ravi de trouver votre blog (merci pour le commentaire que vous avez laissé chez moi qui m’a permis de remonter la piste, et de l’info capitale que vous m’avez donné sur le changement de politique pour les liens du TLFI). Je ne connaissais pas ce mot « cagne » : très intéressant ! Mais j’ai une petite question : quel est le dictionnaire que vous avez utilisé ? J’ai farfouillé de mon côté et j’ai trouvé une référence à « cagne » dans le ‘Dictionnaire des régionalismes de France‘ (Rézeau), un bien bel ouvrage, que je recommande vivement ! Il nous dit qu’il y a deux sens pour « avoir la cagne » : 1) être paresseux, indolent (du Rhône aux Pyrénnées) et 2) « avoir le cafard, bouder » (Isère). Par contre, pour l’étymologie le Rézeau est plus prudent, et laisse les deux possibiltés ouvertes « Le terme est peut-être un dérivé régressif de cagnard (au sens I) ou à mettre en rapport avec cagne « chienne » (avec connotation de paresse ».

    En tous cas, merci, joli blog. Je reviendrai ! Quant au chaumage, c’est une autre histoire…

    Réponse
  7. Snif… j’ai eu une fausse joie. Les liens vers le TLFI ne marche que si l’on a au prélable ouvert une session interactive à travers l’interface normale… Ce matin, ils disent « Session expirée ». Jausse joie !!!

    Réponse
  8. Arg! Au temps pour moi! Effectivement, c’est terriblement dommage. Nous n’avons plus qu’à signaler ce petit soucis au TLFI.
    Je vous remercie pour votre appréciation sur mon blog, même si je n’ai sûrement pas la même rigueur que vous vis à vis du langage.
    Pour ce qui est de la cagne, c’est un peu des deux : j’ai vécu en Savoie et Haute-Savoie et je suis installée depuis en Gascogne. Du coup, pour moi, la cagne, c’est plutôt un mélange des deux : une profonde indolence issue d’un intense cafard😉

    Réponse
  9. Cagnard signifie chaleur étouffante. De ce fait cagnard signifie aussi paresseux, sûrement un rapport avec la fatigue soleil.
    Cagne vient de cagna « chienne » provenant du latin canis « chien ». (cf wikitionnaire).
    Donc je suis d´accord. Aucun rapport entre les deux expressions!

    Réponse

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