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Dans les règles de l’art

Par Agnès Maillard
Rapport Racine
13 septembre 2021

Le 5 septembre dernier, la sémillante ministre de la Culture lâchait au cours d’une (longue) émission consacrée à sa politique culturelle sur la radio homonyme cette toute petite phrase insignifiante que personne (ou presque) n’a relevée :

les syndicats pour les artistes ça ne compte pas !

La politique culturelle de Roselyne Bachelot, ministre de la Culture et de la Communication, France Culture, le 5 septembre 2021

Je me méfie toujours de ceux qui prétendent savoir mieux que les principaux intéressés ce qui leur conviendrait le mieux. Et encore plus quand ils parlent de ce dont d’autres n’auraient pas besoin.

Dans la petite saillie de Bachelot, il y a tous les clichés possibles et imaginables sur la condition éternelle de l’artiste, cet être frugal et solitaire, vivant son art comme un sacerdoce, dans l’isolement et le dénuement. Une vision des plus charmante quand on est précisément en charge des cordons de la bourse. Un jugement de classe. Et d’exploiteur.

Les travailleurs de Starbucks s'organisent pour former le premier syndicat américain

La chaîne américaine soutient que les conditions de travail dont bénéficient ses employés rendent inutile un syndicat.

Le parallèle entre Starbucks qui fait mine de ne pas voir les intérêts antagonistes de ses salariés et Bachelot qui met les syndicats sur la touche depuis qu’elle est arrivée à son ministère m’a littéralement sauté aux yeux. Et ce déni de démocratie n’a pas échappé à la plus affutée des artistes de combat que je connaisse :

Que les syndicats d’artistes ne comptent pas aux yeux du ministère n’est pas pour nous une grosse surprise. En revanche, n’en déplaise à la ministre, les syndicats comptent bien évidemment pour tout professionnel, notamment pour les artistes-auteurs comme pour les artistes-interprètes.
Et puisque madame la ministre a rendu hommage hier à Jean-Paul Belmondo, voilà une réponse d’outre-tombe de Belmondo :

La CGT « est un syndicat comme les autres. Je sais que vous allez penser aux vedettes, aux gros cachets… Nous sommes quoi, une dizaine peut-être ? N’en parlons pas, car là il ne s’agit plus à proprement parler de notre métier d’acteur. Nous sommes traités à ce niveau non pas comme des comédiens, mais comme des marques de pâte dentifrice. Ce n’est pas ça le spectacle. Le spectacle, ce sont les quelque vingt-mille comédiens, acteurs de cinéma, de théâtre, de télé, qui travaillent quand on veut bien leur en donner l’occasion et dont beaucoup ont bien du mal à vivre de leur métier, ce métier qu’ils ont choisi et qu’ils aiment. Et ceux-là, je vous assure, ils ont besoin d’être syndiqués et de se battre pour la vie. ».1

Il en est de même pour les AA. Comme chacun sait la précarité et les trappes de pauvreté sont pires encore pour les AA que pour les artistes-interprètes.
Qui dit syndicats dit capacité pour les créateurs et créatrices de pouvoir défendre leurs intérêts professionnels, comme peuvent le faire toutes les autres professions en France. Pour mémoire la question du financement des syndicats d’AA n’est toujours pas résolue, ni même abordée. La question du versement d’IPG aux AA qui prennent du temps sur leur travail de création pour défendre les intérêts professionnels collectifs des AA est elle aussi soigneusement repoussée aux calendes grecques.
Je souhaiterais savoir si le Cabinet2 à un commentaire à faire sur la déclaration antisyndicale de la ministre. »
Katerine Louineau, syndicat du CAAP

Bien sûr, derrière la petite phrase de Bachelot, tombée comme par inadvertance, il y a un enjeu bien plus important : celui de continuer à nier à plus de 200 000 artistes-auteurs professionnels le droit de désigner démocratiquement leurs représentants, l’une des propositions les plus importantes du rapport Racine, commandé pour trouver des réponses concrètes à la très grande précarité de la profession.

Les mesures concrètes – vingt-trois au total, dont beaucoup sont très techniques – s’articulent autour de trois grands axes, le premier étant l’établissement d’un statut professionnel des artistes-auteurs, clairement défini par des textes. Car il n’existe toujours pas, à ce jour, de définition de l’auteur, ce dernier étant reconnu comme tel uniquement si un contrat est établi avec un diffuseur. Ce statut, basé sur la pratique créative, construirait donc un corps professionnel, ouvrant potentiellement des droits aux créateurs auto-diffusés. En somme, on reconnaîtrait la « carrière artistique comme métier et pas seulement comme vocation » et, si cela semble symbolique, c’est en fait une avancée capitale qui leur permettrait notamment de peser plus face aux « acteurs de l’aval » (éditeurs, producteurs, diffuseurs…), plus puissants et mieux organisés.

Rapport Racine : pour les artistes et auteurs, 23 mesures prometteuses… qu’il faut concrétiser , par Sophie Rahal, Télérama du 24 janvier 2020

En niant notre droit fondamental à défendre précisément nos droits, en nous souhaitant divisés, éparpillés façon puzzle, Roselyne Bachelot est dans la droite lignée du gouvernement, un gouvernement qui pour se renforcer n’a de cesse que de diviser, opposer, mettre en compétition et surtout piétiner les droits fondamentaux de ceux qu’il prétend gouverner.

Donc, l’origine de l’expression éparpillés façon puzzle, pour finir et peut-être donner aux plus jeunes l’envie de découvrir ce film d’anthologie.

  1. La vie ouvrière, Jean-Paul Belmondo, décembre 1964
  2. Il s’agissait de la première intervention de Katerine Louineau lors de la réunion plénière des Artistes-Auteurs au Cabinet de la Ministre, le 10 septembre 2021.

13 Commentaires

  1. Pourquoi un syndicat ?
    Pourquoi pas une Union des Artistes et employés/ouvriers dans laquelle circulerait les informations sur les revendications à appliquer d’urgence ?

    Comme le signale Bebel, ce ne sont pas les personnalités qui vont changer les choses mais la totalité des personnes incriminées.

    Un syndicat ne fait que partager un gâteau, changer la recette de celui-ci vient des plus corvéables.

    Réponse
    • Il faut se renseigner avant de parler : j’ai adhéré au CAAP parce qu’il est indépendant et qu’il défend pied à pied nos intérêts d’artistes-auteurs, parce qu’il est aussi centre de ressources documentaires sur la complexité de notre statut, y compris pour les administrations et ministères, parce qu’il joue collectif, défend toujours les oubliés, les exploités et n’a pas peur de mettre les pieds dans le plat. Régulièrement, nous attaquons des organismes qui piétinent la gueule des AA.

      Réponse
    • Monolecte :
      « Il faut se renseigner avant de parler »
      🙂

      OK c’est fait pour l’asso que tu signales. 🙂

      À mon sens, c’est un regroupement individuel, pas un syndicat comme la cgt par exemple.

      Ça ressemble grandement à ce que je propose, le regroupement des personnes, ici dans une asso d’auteurs, d’autres formules similaires sont possibles, mais certainement pas un syndicat.

      Pour le cinéma façon Bebel, on se trouverait pareillement avec une asso des artistes, façon Chaplin en son temps avec les Artistes Associés, sans les employés et donc pas de syndicat non plus.

      Quand je parle de syndicat, je parle de ceux qui se pratiquent actuellement, CGT et autres… C’est à dire combinant pêle-mêle la chaîne de production de tous les employés d’une industrie à de multiples niveaux.

      C’est pas pareil qu’une asso, pour le moins… 😉

      D’où ma critique au vu des réalisations syndicalistes pour le moins bancales à plusieurs niveaux.

      Par ailleurs, l’idée de rassembler les ouvriers de secteurs différents dans des assos autonomes différentes, chacune pouvant circonstanciellement se modeler avec une autre au gré des situations et plus ou moins temporellement (façon de ce qui constitue les GJ par exemple) me semble un bon équilibre entre ce que je souhaite dans la lutte sociale d’aujourd’hui et ce qu’il est possible d’obtenir à s’t’heure.

      Jojo 🙂

      Réponse
      • Une association sans permanents ni structure interprofessionnelle n’aura pas forcément assez de poids en elle-même, et c’est pour cela que le syndicalisme est né. Evidemment, je comprends les déçus du syndicalisme classique, vu la faible réussite qu’il engrange depuis x années dans la défense des intérêts des salariés. Je vois l’espoir se dégrader depuis la chute de l’URSS… lequel pays rendait nettement plus crédible, pour reprendre des termes surannés, le rapport de forces entre capital et prolétariat dans la lutte des classes ; car aussi bancal qu’ait été le communisme réel, il faisait peur aux patrons, alors un peu plus enclins à négocier ! Mais la peur a changé de camp.
        Quant au mouvement GJ, il n’a malheureusement pas prouvé son efficacité non plus, ni sur le RIC ni sur un progrès d’égalité entre tous les citoyens, même s’il a offert à certains invisibles / isolés un créneau de dynamique collective pendant des mois… et « justifié » un niveau de répression bien éloigné de notre devise républicaine.
        Depuis votre message, le prix du gazole s’est de nouveau envolé, et quoi ?

        Réponse
  2. Le copain qui m’a formé à mon boulot (auteur/adaptateur de doublage) a gagné un procès contre le fisc gràce au SNAC (syndicat national des auteurs/compositeurs). Pour faire court, Le fisc lui réclamait la taxe professionnelle (à laquelle il n’était pas soumis) et il a attaqué le fisc en justice et remporté son procès (ça fait plus de 25 ans). Autant dire que sans syndicat, jamais il n’aurait attaqué, ni pu remporter de procès face au fisc.
    Alors, la petite phrase de Bachelot me semble quelque peu grotesque.

    Après, on pense ce qu’on veut du syndicalisme… Mais c’est une autre histoire. Tous mes voeux, au passage, à Agnès (la très discrète ces derniers temps 😉 ) et aux différents lecteurs et lectrice qui liront ces quelques lignes.

    Réponse
  3. Salut Agnès, je sais bien que ce n’est pas le lieu, on devrait parler ici des syndicats d’auteurs, mais voilà, depuis ce billet (ton dernier), c’est pas l’actualité et le vide à agiter autour, qui manque. (pèle-mêle, le passe vaccinal, l’élection présidentielle, la guerre en Ukraine pour les gros morceaux et des millions d’autres grands vides…).

    L’année dernière lorsque j’avais fait la remarque que tu n’agitais plus beaucoup ton blog, tu avais répondu que tu ne voulais pas ajouter de la merde à de la merde…
    Là, ça fait 6 mois que nous laisses orphelin de nouvelles… Serais-tu en train de jeter l’éponge?

    Réponse
    • T’as vu le niveau de merde ?

      Réponse
      • Ouaip. J’ai vu.

        La bise!

        Réponse
  4. Et ça s’améliore pas…

    Réponse
  5. En même temps, il ne me semble pas que le « niveau de merde », comme tu dis, ne t’aie jamais empêché d’écrire 🙂 . Bien au contraire, ça a, depuis 2007, année ou j’ai découvert ton blog, toujours plus ou moins alimenté ta rage et ton écriture…

    Après, hein, si t’as plus la gouache pour donner du grain à moudre aux agitateurs du vide, on t’en voudra pas, t’as déjà bien contribué ;). Merci, au passage.

    Réponse
  6. Déjà deux ans et demie qu’on ne te lit plus.
    Je suis revenu à tout hasard sur ton site, et je constate avec satisfaction qu’il n’a toujours pas disparu.
    Alors, puisque je passe par là, j’en profite pour faire un petit coucou. 🙂

    Réponse
  7. Coucou aussi pour moi, trois ans de début de fin du monde, ça se fête !
    Je vous laisse, je prends la fusée de Musk pour Mars, on va être bien là-bas ! Zéro gauchiste, pas d’écolo, le pied !

    Réponse
  8. Coucou Agnès,
    j’aurais été curieux de te lire sur le délire actuel Israélo-palestinien, toi qui a écris « comprendre l’antisémitisme ».
    C’est pas vraiment dans le sujet du billet, mais pour le coup ça m’interpelle.
    L’absence quasi-totale politico-médiatique de condamnation de la politique d’Israël, la compassion à sens unique… Ca laisse sans voix.
    La condamnation quasi unanime de quiconque s’émeut du sort de Gaza, directement soupçonné d’antisémitisme frise la caricature de l’autocensure sociétale généralisée.

    Même si ç’aurait sûrement tourné au pugilat, vu la sensibilité du sujet, c’est dans des moments comme celui-ci que tes billets et les discussions qui s’ensuivent me manquent. Précisément parce que c’est (était) un lieu ou les diverses sensibilités peuvent s’exprimer sans que ça tourne au vinaigre.

    Réponse

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