Le ciel est tellement bas sur les collines brunies par l’hiver et le manque de soleil qu’il se cogne en de longues larmes froides sur la vitre de mon bureau.
L’âme humaine n’aime rien tant que d’emprunter les improbables montagnes russes de l’humeur. La délicatesse d’une corolle qui affleure en une longue cicatrice de couleur sur la peau tendue d’un bourgeon gorgé de vie, le souffle tiède d’une brise de printemps qui peigne tendrement notre chevelure, la lumière orangée du soleil rasant de fin de journée qui embrase le paysage le plus désolé, et nous voilà le siège de transports incontrôlés, nous voilà capables d’enjamber les montagnes et de courir sur l’eau. Parfois, l’instant magique s’étire au-delà de toute raison, de toute contingence extérieure et nous rayonnons de notre seule joie d’être ici et maintenant, forts, vivants, en pleine santé, avides de ressentir ce monde qui est le nôtre. Combien est délicieuse cette manière que nous avons de léviter au-dessus des petits tracas et grandes déconvenues qui ravinent l’existence tout en lui donnant tout son relief, toute sa substance. Trois baffes pour un éclat de bonheur. Souvent plus, parfois moins.
Mais vient toujours le temps de la facture, le moment où le corps se fait lourd et où le regard s’éteint. Le moment où l’on traverse le miroir des lunettes à voir le monde plus beau qu’il ne l’est vraiment, ce moment-là est encore plus fugace et insaisissable que le premier voyage dans l’autre sens. La machine se grippe. Le soufflé retombe. La réalité, parfois tellement âpre qu’on dirait un remède de grand-mère, rattrape le rêveur de mondes et lui broie ses ailes de papier. Épinglé comme un sublime papillon sur son lit de liège, la bête se meurt tandis que ses couleurs ternissent déjà. Il ne reste plus que l’insupportable lourdeur de la condition humaine, cette effrayante pesanteur de l’être, engluée comme un golem des marais dans l’argile collante de nos peurs, de nos hésitations et de nos regrets. Les rires s’étranglent, les sourires se figent en d’immondes grimaces qui caricaturent nos propres traits. Chaque petit instant précieux arraché à la noirceur de ces temps qui s’écoulent comme un fleuve de goudron n’est plus une respiration, mais une gifle qui rend encore plus insupportable l’instant présent.
Éternels funambules, il nous suffit d’un rien pour basculer d’un côté comme de l’autre : un mot de trop, un autre ravalé, l’humeur assassine se nourrit d’elle-même et voit en chaque instant, en chaque événement, de quoi conforter son emprise mortifère, son étreinte froide et humide comme une petite pluie d’hiver qu’un vent glacial fouette sur nos visages engourdis. Ce n’est pas par hasard que les Romains avaient fait de février, avec son ciel bas et opaque, le mois le plus court de l’année. Et là, pendant que de sombres pensées rodent dans mon paysage intérieur, je me surprends à avoir la nostalgie de lendemains rieurs et baignés de lumière.
Powered by ScribeFire.
La nostalgie des lendemains : bel oxymore !
C’est beau. Vraiment beau.
Vivement le 21 mars, voire le 22, qu’on en revienne à des humeurs moins contrastées. Un peu de distance dans ce noir / blanc, et toute la palette des gris nous sera rendue, modulée, fugace et changeante, surprenante dans sa banalité humaine… Puisse ma tendresse d’anonyme vous rasséréner un peu, chère blogueuse influente.
C’est beau, merci!
"Les rires s’étranglent, les sourires se figent en d’immondes grimaces qui caricaturent nos propres traits. "
Merci infiniment Agnès !
Tu me fous le cafard Agnès…
On sait bien qu’un jour , la nostalgie des lendemains rieurs ne sera plus qu’une nostalgie de la nostalgie.
Pfffttt…envolée sur les chemins du rêve fugueur pour toujours .
Claudia
Ça doit être ça : pas assez de neige dans le bled.
Chez moi, im Deutschland, c’est blanc de neige depuis 2 mois ! Ca éclaire.
Très beau texte …
pour en rajouter une couche : février chez les Romains, c’était le mois des morts…
mais ton texte dit bien la réversibilité de nos humeurs
souhaitons que le plaisir l’emporte
Social comments and analytics for this post
This post was mentioned on Twitter by monolecte: "Que ma joie demeure – Le Monolecte" ( http://bit.ly/9g1UiH )…
Petit commentaire pour relevé l’émotion de cette photo.
Très belle photo. Vivement le printemps. Marre du froid!