Parfois, prendre le temps, hors du temps, juste quelques instants fugaces volés au flux du temps qui passe.
Ne plus se rappeler d’où l’on se connaît, juste le plaisir de se voir, de se retrouver, comme ça, au débotté, sans intentions particulières, entre deux trains, entre deux portes, deux inspirations, le temps d’un soupir. Ne même pas voir l’emprise du temps sur les visages connus et reconnus, plissés d’un grand sourire franc et sans arrières-pensées. Donner des nouvelles de la famille, du conjoint, des nains, des collègues, des amis communs. En prendre. S’en foutre un peu, aussi. Se jeter sur les plats avec un bel enthousiasme de morfales de retour d’une session Weight Watchers, engloutir, mastiquer, engouffrer sans fard, sans manières, un bel appétit rieur en bandoulière.
Parler de tout et de rien. Surtout de rien. Ne pas avoir besoin de parler. Savourer les silences comme une bouchée de nourriture supplémentaire. Être juste présent et rire aux éclats, le temps d’une vanne éculée sur la nouvelle stagiaire-nichons ou sur les bottes de l’autre.
Comment ça, tu ne sais pas ce que veut dire proposer la botte ?
Non, jamais entendu parler.
Dans l’ancien temps, la femme présentait son pied à l’homme pour qu’il l’aide à retirer sa botte. En gros, quand tu en arrives là, c’est gagné pour toi. Tu vois où on va chercher les vieilles expressions quand même.
Comme quoi, on peut être Gascon et piètre escrimeur. Ne manier prestement la rapière que bien tassée au fond d’un verre. Et resservir promptement une tournée de Boulaouane pour faire glisser.
Se souvenir de ne pas venir à une popote en bottes. Ni en jupe. D’un autre côté, se mettre en jupe une fois tous les cinq ans, c’est comme un gimmick, un aimable petit coup de coude dans les côtes, c’est tendre la perche à la raillerie facile et amicale, c’est alimenter la réserve à grosses vannes pour la prochaine fois.
Paf ! le jaja revient de son énième tour de table. Ne plus se lever brusquement pour ne pas risquer de s’étaler alors que la température monte dans l’alcôve protégée du fracas de monde par ses lourds rideaux et notre totale insouciance.
Ne t’inquiète pas : on ne peut pas aller plus haut que le bord du verre.
Oui, mais on peut toujours récidiver, façon serial verseur. Le tajine se vide, les voix forcissent, les rires se font plus ronds. On a retrouvé nos marques, nos vieux rôles d’antan, comme on enfile avec aisance et étonnement d’antiques pelures oubliées sur un dossier de chaise. On s’en fout aussi de la vie qui nous repasse comme de vieux torchons, qui nous râpe, nous ponce, nous polit, nous rabote aussi, des fois. Nous avons tous changé. Nous sommes toujours les mêmes. Exactement comme cette année-là où les hasards de l’existence nous avaient chahutés d’invraisemblables impasses à d’incroyables retournements, jusqu’à ce que nos destins s’emmêlent et que la mayonnaise prenne, que les liens se tricotent et que notre équipe improbable fonctionne à plein régime. Le temps qu’on reprenne notre route. Et que l’on se perde de vue. Ou pas.
Alors, on se retrouve pour un moment, juste le temps de créer cette petite bulle d’éternité, à l’abri du temps qui passe sans jamais se retourner. Le patron fait mousser le thé à la menthe dans les petits verres à dorures, les conversations se bousculent, se chevauchent, pressées par l’échéance qui se rapproche. Les joues rosies par le vin se croisent, les bises claquent, les mains s’étreignent, on se promet de se retrouver. Bientôt.
Et on reprend notre route, pressés et décidés, sans se retourner, mais un grand sourire radieux plaqué sur les lèvres.
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;-))
Le bonheur…
UN bonheur.
Il y a quelques jours, j’ai enfin fait la connaissance "en vrai" de ma première copine du Net : nous écumions ensemble les forums de Libération il y a déjà sept ans. Pour nous aussi, ce fut mémorable, tant beaucoup de choses se sont passée depuis. Elle ancienne baroudeuse pour la radio ou la télé. Pas journaliste, non : plus difficile, assistante. Quand l’écriveur arrive interviouver quelqu’un, déjà le terrain a été préparé, l’interlocuteur pertinent choisi, le lieu de rencontre balisé…. Quand ce genre d’évènement s’amorce dans un coin comme Mogadiscio sous les balles, le travail s’avère ardu, voire dangereux.
Cela ne nous a pas empêchés de bien rire, d’être tristes aussi à la pensée de certains autres intervenants qui déjà ne sont plus là. Le chinon rosé était parfait, le repas japonais également. Vivement qu’on se revoie !
rendez-vous dans 10 ans…..o:-)
Non, plus tôt et plus souvent, j’espère.
J’ai eu une période un peu sombre où j’avais à peu près coupé les ponts avec tout le monde, pour ne pas avoir à étaler ma misère intérieure. Mais en fait, c’est très con, c’est le serpent qui se mord la queue : tu déprimes, tu t’isoles, du coup, tu déprimes encore plus et tu te ratatines à l’intérieur de toi. La merde s’autoentretetient, comme les bonnes choses, paraît-il. J’ai réussi à maintenir la merde à un niveau acceptable en reprenant contact avec des amis. J’espère arriver un jour à embrayer sur la machine à réussir…
Agnès, je te vois !
Sans blague, tu nous décris ces retrouvailles avec des mots que ton talent transforme en images. Tu nous donne à "voir" et à revoir un moment de bonheur simple que nous avons tous vécu un jour ou l’autre. J’y entends aussi de la musique.
C’est vrai que ça fait du bien de se retrouver hors de nos présents figés dans nos rôles de composition. On se sent d’un coup plus "jeune", tel qu’en nous-mêmes, avant que les obstacles de la vie nous aient appris à mentir.
Merci de nous rappeler que ces cures de jouvence sont à notre portée.
Tu vois, Agnès, de mon bord de Gironde je touche à tir de fronde un Lot et Garonne en Château de Duras, et, à te lire depuis 2 années au moins, à te relire et à m’échapper en tapis volant de certitudes pour ne pas me noyer… je commence à me souvenir de choses que je n’ai pas connues ou encore vécues.
C’est con!
Adichatz
Le bonheur n’est-il pas fait de petits instants?
La "réussite", chacun la porte en soi, le plus difficile est d’en trouver la clé et ni l’école, ni la société dans laquelle nous vivons ne nous aident dans cette quête.
A chaque coin de rue, à chaque étape de notre vie les miroirs aux alouettes scintillent et nous dupent.
Dans les moments les plus durs de ma vie, les autres m’ont aidée à m’aider moi même.
L’amitié est un bien précieux, qu’elle dure un instant ou une vie entière, qu’elle soit linéaire ou en pointillés…
Un proverbe africain, entendu ou lu je ne sais où:
"L’homme riche est celui qui n’est pas seul à table"
Bonne fin d’année, Agnès 🙂
Bonjour Agnès,
J’ai découvert votre blog grâce à votre papa, Roger.
J’y fait une visite de temps en temps, pas assez souvent à mon gré, mais le temps me manque pour être un visiteur assidu.
J’ai des responsabilités locales qui m’occupent tout mon temps. Je suis maire de Coucy-le-Château (voilà qui explique mon amitié avec Roger) et conseiller général du canton.
Ma maman a travaillé 17 ans chez les parents de Roger donc chez vos grand-parents.
Félicitations pour votre blog qui est un vrai lieu d’échange et de partage.
Cordialement.
Jean-Claude Dumont
@ Agnès :
"j’avais à peu près coupé les ponts avec tout le monde", etc.
Oui, je connais cette situation 🙂
"Mais en fait, c’est très con"
Ça dépend…
Moi, malheureusement, j’ai l’air d’être entouré par des gens qui ont l’air d’avoir adhéré au "travailler plus pour gagner plus"… alors si je dois trouver des gens pour me dire que si je n’y arrive pas, c’est "tout simplement" parce que je ne le "veux" pas, je sais à qui m’adresser. C’est le genre de personne qui ne t’aide pas à te sortir de la merde, et qui ont même tendance à t’y enfoncer encore un peu plus (avec des conseils à la noix, souvent… ah, les conseils !).
Ou sinon, ils y a les impuissants… qui voudrait bien t’aider (sincèrement), mais qui ne peuvent pas. Même souvent, ils culpabilisent, et finissent par t’éviter !
Remarque, c’est dans des périodes comme ça qu’on reconnait les vrais amis. Mais, en même temps, on hésite à les mettre à l’épreuve de peur de les perdre…
"J’espère arriver un jour à embrayer sur la machine à réussir"
Rassure-toi… la "panne d’embrayage" ne viens pas de toi, je crois 😉
En cette période, je crois que la seule façon d’avancer, c’est d’y aller par des chemins détournés, par des chemins de traverse…
Mais c’est un peu le Loto, quand même… Je ne sais pas s’il faut espérer avoir de la chance un jour. Moi, ce qui ne plait pas, ce sont plutôt les règles de "jeu"… où on est souvent perdants, je trouve…
Continuer à jouer au "petit jeu", ou faire changer les "règles du jeu"… vaste programme !
la machine à réussir… les crêpes ?
ça serait intéressant de savoir à quelle époque cette expression est apparue…
Selon mes critères, savoir faire vivre un blog comme le Monolecte est déjà une belle réussite … que j’envie plus qu’un peu.
Bravo aussi pour le bouquin (mais je me répète), que je lis quand je n’ai plus la patience d’attendre le prochain billet.
Ah les expressions… et leur évolution ! Car si jeune ma buse, maintenant, c’est l’homme qui propose la botte !
Des « liens qui se tricotent », le pays de montagne où sont partis vivre mes enfants en est plutôt riche. Une anecdote entre dix : des « ratraits » comme eux (chez nous on dit « hors-venus) venant juste d’emménager en plein hiver et n’ayant pour cause de cartons à vider pas mis le nez dehors de trois jours, des voisins arrivent inquiets pour demander si ça va. Ce n’est pas dans ce genre de pays qu’on pourrait être mort depuis des mois sans que les voisins ne mouftent.
J’en reviens, avec cette phrase tirée d’une leçon de morale donnée en 1910 dans une école publique, que j’ai incluse dans ma carte de vœux :
"Je serai digne et je ne m’humilierai devant personne"