La plupart du temps, je l’ai un peu mauvaise de payer la redevance TV, moi qui ne capte aucune chaîne en hertzien et qui doit donc payer un abonnement au satellite pour avoir la télé. Un peu comme une double peine : tu ne captes rien, donc tu paies 2 fois!
Mais il arrive des fois où France 2 est à la hauteur de sa mission de service public et nous offre, comme un vrai cadeau, des programmes de qualité.
Cela fait des années que les médias caricaturent la société française et fantasment sur la violence urbaine sans jamais se pencher sérieusement sur le sujet.
Aussi, quand Stéphane Paoli, dans le cadre du magazine contre-courant, propose une série sur la violence, on va voir, un peu dubitatif, mais on va voir.
Aller à contre-courant, c’est ne pas aller dans le sens du poil ni dans celui du consensus. C’est passer au-delà des apparences. C’est dire et montrer des choses qui ne le sont pas ailleurs, donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. C’est enfin agiter des idées qui ne sont pas les idées dominantes, mais qui peuvent s’avérer intéressantes demain. Stéphane Paoli
France 2, vendredi 4 février 2005, 22h40
Pour la première fois, une caméra de télévision a eu l’autorisation de filmer un procès à huis clos dans un tribunal pour enfants. L’affaire est banale et terrible à la fois : un garçon de 15 ans est accusé d’agression sexuelle envers une fille de 13 ans!
Amateurs de clichés et de conclusions faciles et rapides, passez votre chemin : derrière la sobriété de " la mise en scène " et les propos ténus qui s’échangent de part et d’autre de la barre, c’est une certaine réalité des rapports entre filles et garçons de notre époque qui se dessine, crue, terrible.
Ils sont deux gamins ordinaires. Ils fréquentaient le même collège d’une petite ville de Picardie, loin des banlieues moroses. On se rend compte au fil des débats qu’il s’agit d’agressions répétées, puis d’un viol, mais la requalification du délit aggraverait notablement le cas du garçon et le changerait de juridiction.
Elle parle peu. Très peu. Elle répond juste aux questions de la juge, du bout des lèvres et raconte. Elle raconte le quotidien des filles au collège. La domination dans la cour de récré par une petite bande de garçons. Ils passent et touchent les filles aux fesses, au seins, comme ça, "pour rigoler", dira-t-il plus tard. Les filles subissent. En silence. Elle raconte le garçon qui descend au même arrêt de bus qu’elle, qui vit dans l’immeuble à côté.
Un jour, il l’attend dans son hall d’immeuble à elle. Il dit qu’il veut lui parler. Il la plaque ensuite contre le mur et commence à la tripoter. Elle tente de le repousser. En silence. Mais il est lourd. Il finit par laisser tomber. La fois suivante, presque sans rien dire, il l’attrape dans le hall, la pousse dans le local à vélo, la déshabille à moitié, mais il rate la pénétration. Il est frustré, mais il lui promet qu’il reviendra plus tard finir ce qu’il a commencé. Elle rentre chez elle, en silence. Enfin, un autre jour, il la traîne dans le fichu local à vélo. Elle le repousse comme elle peut, en silence. Il parvient à l’immobiliser, la viole rapidement et éjacule dehors, comme dans un mauvais film porno. Il part. La fille se rhabille en silence. Elle rentre chez elle où ses parents l’attendent pour manger, se lave et se tait. C’est aussi en silence qu’elle tentera de mettre fin à sa petite vie de gamine, c’est ce suicide raté qui déliera sa parole trop longtemps contenue, qui poussera les parents à porter plainte.
Elle a finit son histoire d’une petite voix presqu’inaudible et se tait. Les questions de la juge n’y feront plus rien. Il n’y a plus que ce plan fixe et obsédant de ses mains crispées qu’elle triture sous les manches trop longues de son coupe-vent marine.
Lui, il est devenu un grand gaillard, à la voix qui mue et à l’accent picard marqué. Il ne comprend manifestement pas ce qu’il fait là. Pour lui, ce n’est pas un viol, ni des agressions. Elle n’a pas refusé.
– Mais elle a dit qu’elle était d’accord?, demande la juge
– … non, mais elle n’a pas dit non… elle ne s’est pas débattue…, il a l’air renfrogné.
C’est là toute sa défense : elle n’a pas hurlé, elle ne s’est pas défendue, elle s’est juste tue. Il la voulait. Elle se taisait. C’était suffisant pour lui. Quand on lui parle de ses efforts silencieux à elle pour le repousser, il ne se souvient plus de rien. Elle ne disait pas non. Il lui a fait son affaire presque sans échanger un mot, sans lui demander quoi que ce soit. Et il trouve ça normal. Au collège, il touche les fesses et les seins des filles, comme ça, en passant, mais il trouve ça normal. Tout le monde le fait. Les filles se taisent. Si ça ne leur plaisait pas, elles diraient non. Manière, eux, ils font juste ça pour rigoler. Pour lui, l’affaire est claire, tant qu’une fille ne dit pas non explicitement, c’est qu’elle est d’accord. La peur qu’elle peut avoir, les sentiments qu’elle peut éprouver, il n’y pense pas.
La juge lui colle 5 ans, dont 4 avec sursis et une mise à l’épreuve. L’année restante ne sera pas ferme mais en aménagement de peine. Il n’ira pas en prison, mais il est reconnu coupable d’agression sexuelle. Il sort du tribunal libre mais avec le couperet de la justice en suspend au-dessus de sa tête. Manifestement, il n’a toujours pas compris. La fille se tait.
La juge commente le procès. Elle parle de jeunes frustres, peu socialisés, primaires. Mais mon oeil d’éthologue a vu tout autre chose dans ce récit de la violence ordinaire des garçons contre les filles.
Cela raconte au contraire une société bien structurée, bien hiérarchisée, bien codifiée. C’est une société de loups. Les jeunes mâles dominants se promènent au milieu de la horde et affirment leur suprématie sur les dominés, ici, surtout des filles, en leur touchant les organes sexuels. Les filles, en gardant le silence, intègrent implicitement le schéma hiérarchique imposé par les garçons. Comme les mâles dominants, les garçons utilisent les filles dominées pour marquer leur territoire et satisfaire leurs besoins. Rien de plus. Intégrée au fil des brimades dans la cour de récréation, la dominance des garçons de la bande principale n’est pas remise en question. Quand la fille est agressée par le garçon, elle ne peut se soustraire à sa domination, elle ne peut exprimer son refus, le système social qui s’est mis en place le lui interdit, implicitement. Tout la force de ce système de subordination extrêmement efficace tient dans les silences. Ceux de la fille qui subit. Ceux du garçon qui prend ce qui lui semble être légitime pour lui. Ceux de toute cette petite société qui se construit sous nos yeux et dont nous ignorons tout.
Nous voilà subitement bien loin des clichés cent fois rabattus des sauvageons sans foi ni loi. Il s’agit au contraire d’une mutation sociale plus profonde, plus marquée, une redéfinition des rapports hommes-femmes, la suprématie de la hiérarchie, de la force sur le dialogue, la concertation ou la coopération. La loi de la jungle. La loi de la meute. La vraie.
Il est peut-être temps d’en parler.
Ton analyse, Agnès, est juste, à l’évidence. Mais qui veut, hormis quelques-uns parler juste aujourd’hui ? Ce n’est évidemment pas l’intérêt de tout un système qui est basé sur le même principe, schématiquement, de la France d’en Haut vers la France d’en Bas.
Le plus fort se sert et écrase le plus petit ! C’est le sens le plus vrai de l’absurde esprit de compétition ! C’est bien cela la vérité de cette société, cette vérité non dite, non reconnue mais qui s’impose dans tous les milieux de la société. C’est le retour à la case "âge des cavernes".
J’ai la télé, mais elle n’est pas branchée. Je ne la regarde jamais. Elle est utilisée seulement pour les vidéos et DVD de mon gamin. Je paye la redevance, parce qu’"ils" ont fini par me repérer, relancé deux ou trois ans, avant de me proposer de payer sans amende rétroactive, alors…
J’avais acheté, neuve, cette petite télé (un premier prix Sony, dont les écrans sont très bons), à la FNAC, et déclarée au nom de mon patron d’alors, conseiller maître à la Cour des Comptes. Il devait en avoir trois ou quatre, et donc cela ne pouvait augmenter sa taxe, et encore moins le ruiner. Mais comme il était très méchant, pingre (alignant 3 ou 4 bâtons par mois, mais faisant payer ses agendas et recharges de stylo par la maison mère, notre Princesse à toussétoutes), et maire RPR, j’y voyait une belle vengeance : chacun sa mesquinerie.
Jesuisd’accordavec ton analyse, j’y ajouterais simplement ceci : la prétendue « inconscience » des agresseurs est un mensonge. Que la justice fasse semblant de croire à ce mensonge, c’est de la complicité institutionnelle.
Le jour où les instance judicaires cesseront de sous-qualifier et de faire semblant de punir les violences machistes, la machine à broyer de la femme aura moins de facilité à fonctionner.
Réponse à Agnèes Maillard,
Ton commentaire est fort intéressant et met à l’évidence la place de l’homme et la femme dans une socièté évoluan,t de plus en plus vers l’individualisme et qui pousse chacun de nous a être le plus performant à tout les niveaux… Une sorte de compétition dangereuse et qui traite une part de mensonge inéluctable dans notre construction psychique amenant l’autre à détruire l’autre….Etant éducateur, j’observe dans mon parcours professionnel une injustice à l’égard de tous ceux qui n’ont pas les moyens intellectuels, a se protéger d’une société vulnérable et impitoyable. Je crois aussi que toutes les classes sont touchées par une instrumentalisation des médias, d’un monde politique ou chacun essaie de défendre un intéret particulier…( Financiers, productions, l’image la plus attirante, le show des politiciens, etc….) .Pour comprendre notre société, il est important que nous aidions et accompagnons tous ceux qui sont fragile psychiquement, intelectuellment etc….Je sais que se sont de grands mots mais !!!!!!…………….
Lorsque j’étais en 4ème, une bande de garçons, qui faisait la loi dans la classe, s’amusait à toucher les filles. Elles, elles protestaient, mais se laissaient un peu faire (car en même temps, c’était la preuve qu’elles plaisaient), quand même, tout en disant après que c’était des cons. N’étant pas considérée comme "plaisante", ça ne m’est arrivé qu’une seule fois, et j’ai gueulé. Le mec s’est excusé.
J’ai été la seule à être révoltée et ma mère avait même pris rdv avec mon prof principal pour en parler, parce que ça pourrissait l’ambiance de classe. L’info a mis presque un trimestre entier à remonter jusqu’au proviseur, qui s’est mise un jour à convoquer les gars de façon totalement aléatoire pour leur faire la leçon. Eux avaient déjà oublié. Et jusqu’à la rentrée suivante, j’ai été mise à l’écart par l’intégralité de ma classe parce que j’étais "une balance".
Donc oui, les filles doivent protester. Mais comment faire quand l’information met autant de temps à arriver jusqu’à "l’autorité compétente" ? Comment faire quand on *sait* qu’ouvrir sa gueule va nous isoler et nous rendre encore plus vulnérable qu’avant ? J’ai eu de la chance, à l’époque j’habitais à l’étranger et allais dans un lycée français, et nous vivions dans une espèce de bulle, à l’abri d’une bonne partie de la violence ordinaire qui semble être le lot commun des collèges. Mais si j’avais fait en étant en France ? J’aurais certainement eu de gros problèmes après avoir protesté, d’autant que je n’étais pas ce qu’on peut appeler une fille populaire.
Contre la violence sexiste à l’école, il faut que les adultes protègent plus activement les filles, que les gars sachent que s’ils font une connerie, ils s’en prendront plein la gueule (et les filles aussi, d’ailleurs)