Petite balade au débotté, en rentrant de l’école.
Il fait tellement beau, l’air est tellement doux que je n’ai pas envie de retourner me claquemurer dans mon bureau. En ce moment, le Gers est jaune, jaune pétard, éclatant, à s’en rayer la rétine, le jaune vibrant du colza en fleur. Ça explose de verdure, ça embaume à plein poumon et dans deux jours, il va pleuvoir des hallebardes sous un ciel plombé et froid. Du coup, plutôt que d’aller chercher les denrées pour le goûter collectif de l’école au supermarket du coin, je trace ma route vers la plaine d’Adour, vitres grandes ouvertes et musique au taquet.
À l’approche de la sorte d’échangeur qui distribue la circulation pour l’Ouest gersois entre les Pyrénées et les plaines, je me réjouis assez profondément que mon autoradio à carte SD ait déjà beuglé le très entraînant Cayenne de Parabellum, parce que vu la barre de Schtroumpfs qui m’y attend, j’aime autant ne pas avoir à passer le barrage sur l’air de mort aux vaches, mort aux Condés !
. En fait, ce type d’aventure m’est déjà arrivé, il y a longtemps, quand j’étais étudiante à Toulouse. En vadrouille avec des potes, on se fait serrer à la sortie d’un boulevard pour un léger dépassement de vitesse, une bricole, l’histoire d’une prune qui strangule quelque peu un budget étudiant, mais rien de grave. Sauf qu’on écoutait justement Cayenne comme de gros sauvages anarchos-bourgeois et que le pote conducteur a trouvé très spirituel de baisser sa vitre à manivelle (eh oui! à l’époque, fallait pédaler pour l’ouvrir !) sans éteindre l’autoradio à K7 et avec un grand sourire narquois. Il aurait dû savoir que la maréchaussée a un sens de l’humour aussi développé que le sens diplomatique de notre princident. Nous sommes donc tous repartis à pied. Sauf lui. Outrage à agent.
D’habitude, je passe tranquillement à travers ce type de contrôle, avec ma tête de ménagère de moins de 50 ans et ma bagnole de vieux pedzouille : ça ne sent ni le dealer, ni le poivrot, ni l’exploseur de radars. Mais là, comme j’arrive pendant un creux de circulation, ils n’ont rien de mieux à faire que de m’inviter à me garer sur le bas-côté. Il y en a toute une guirlande, embusquée un peu partout sur l’échangeur de Riscle, certains ont un Famas qui leur bat négligemment la hanche. Personnellement, je ne m’y ferais jamais, à la vision d’hommes en armes dans un pays en paix. D’un autre côté, dans mon secteur, la chasse à l’indépendantiste basque replié sur sa base arrière est toujours un sport très prisé et un chouia musclé. Donc, on se range sagement, on s’empresse de couper le contact pour ne stresser personne et éteindre l’autoradio en passant, surtout que Marylin Manson n’a pas chanté que des berceuses et on croise les doigts pour ne pas avoir laissé les papelards dans l’autre veste, celle pour quand il fait un temps de chien crevé. La jeune nana inspecte mes papiers fort civilement pendant que la gamine beugle sur la banquette arrière : Pourquoi ils tous des fusils ? Ils vont s’en servir ?
J’embraye en sourire B, celui que j’affiche quand je suis en mauvaise posture, horriblement gênée ou au bord de la capitulation en rase campagne, un sourire écran large, dentition parfaitement déployée, l’œil limpide et l’air assuré de ceux qui ont l’esprit tranquille. La nana sourit en retour en glissant un regard à ma délicieuse progéniture, tout est OK, je ne finirai pas ce soir dans un quelconque Guantanamo du pauvre. Mais j’ai toujours cette désagréable impression d’avoir quelque chose à me reprocher, d’être passée à un orteil de la catastrophe. J’espère réussir à repartir sans faire hurler le moteur ou crisser mes pneus dans mon impatience de mettre les bouts et je me retiens de leur faire un petit signe poli de la main en reprenant la route avec la circonspection d’un examiné du permis de conduire.
Je fonce dans la vaste plaine de l’Adour avec, dans la colonne vertébrale, cette même sensation de soulagement que l’on éprouve en s’éloignant enfin du bord d’une falaise. De toute manière, je ne risque plus de croiser un flic : tous ceux qui patrouillent à 30 kilomètres à la ronde sont restés derrière moi.
Le supermarché est étrangement vide à une heure où la sortie des classes remplit habituellement les parkings et les rayonnages. Je n’ai que trois bricoles à y prendre, et me voilà à la ligne de caisses, mieux garnie en caissières qu’en clients. Forcément, la caissière est détendue.
C’est souvent comme ça, à cette heure-ci ? J’ai rarement vu aussi peu de monde.
Ho, oui. Mais vous savez, c’est la fin du mois. Donc, les gens n’ont plus d’argent. Ils reviendront quand ils auront touché leur paye.
Nous sommes le 23. Comme fin du mois, je trouve ça quand même assez précoce.
Des fois, entre la police partout et le fric nulle part, faut avoir les tripes bien accrochées pour continuer à apprécier les petites choses de la vie sans se laisser envahir par une soudaine et irrépressible trouille qui tord l’estomac dans sa poigne immonde et donne envie de hurler à s’en éclater les cordes vocales. Mais bon, deux journées de printemps avant un week-end pourri, ça ne se gâche pas, ça se déguste, posément.
Envers et contre tout.
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Chère Agnès en te lisant j’ai du mal à te comparer à une "ménagère de moins de 50 ans"… Bien que je n’ai rien contre elles évidemment mais j’ai un seul regret c’est de ne pas t’avoir lue avant ! 😉
Et lorsque je constate que tu écris au moins depuis 2006, comment puis-je rattraper mon retard ?
J’ai bien aimé lire ta vision du problème basque. N’hésite pas à remettre en lien certains de tes billets d’avant, Cela est très utile pour tes nouveaux lecteurs. ou "trices" 😉
Très poétique évocation.
Pour revenir au bassement prosaïque, u on pourrait dire aussi que c’est une scène à l’image de la décennie qui vient de s’écouler.
116 modifications-durcissements du code pénal depuis 2002. Toujours moins d’impôts pour les plus riches, toujours plus de précarité pour les autres.
J’ai recemment installé internet chez une jeune grand-mère, avec un micro pour chaque mioche : tout d’occase bien entendu pour pas un balle of course.
La raison ? Avec internet, les gosses pensent moins à tout ce que les autres enfants ont (enfin, le croient-ils, grâce à l’école et la boite-à-images) et passent leur temps comme ça.
Pays de merde !
"Personnellement, je ne m’y ferais jamais, à la vision d’hommes en armes dans un pays en paix"
Moi non plus.
Plus nous serons pauvres plus ils auront peur de la rébellion et plus ils seront répressifs.
Plus ils seront répressifs et plus beaucoup courberont l’échine pour accepter d’être encore plus pauvres, encore plus humbles.
Beaucoup mais pas tous 🙂
C’est dingue ce qu’on peut faire faire aux gens, rien qu’avec un uniforme ! 😉
Ouais, galunto, j’avoue! Je me demandais si quelqu’un allait finir par relever ma monstruosité déclarée… Mais bon, j’ai aussi le générique des Cités d’or et Une chanson douce…
Sinon, merci John, comme d’hab!
L’avantage des uniformes, même dans un pays en paix, c’est qu’on peut les repérer de loin… Enfin, bon les radars, ils te repèrent de loin aussi…! 🙁
@ Monolecte, j’espère que tu ne lisais pas "L’insurrection qui vient", en conduisant, passque là, franchement, c’est pire que téléphoner en conduisant…! :-))
« la sortie des classes remplit habituellement les parkings et les linéaires. »
Linéaire est un adjectif.
Quand les marketteux en font un substantif, c’est pour dire rayons ou rayonnages dans leur novlangue, il croient que ça fait pro.
Vous vouliez dire « allées »
Méfiez-vous ! À force de parler comme eux, on finit par penser comme eux.
Vous êtes excusée par le choc d’avoir vu les mitraillettes.
Pour « la ligne de caisse, » aussi. Il faut au moins deux points pour définir une ligne, d’ailleurs il y a plus d’une caissière, non ?
diable, tu ecoutes Parabellum a bloc, avec ta fille assise derrière ???
On sait pas le pourquoi de cette nette tendance du pandore de base à toujours choisir pour proie du controle, la vieille voiture, le jeune, le bronzé…
Alors même que le fringuant quinquagénaire chevauchant sa Lamborghini de derriére ses Ray Ban n’a lui qu’une infime chance que le triste pandore l’interroge sur la validité de ses plaques RO ou RU…
"Personnellement, je ne m’y ferais jamais, à la vision d’hommes en armes dans un pays en paix"
Moi je pense qu’il faut creuser un plus la seconde partie de cette phrase.
Ceux qui mettent des hommes en armes dehors, ils sont en guerre. Eux !!
"Personnellement, je ne m’y ferais jamais, à la vision d’hommes en armes dans un pays en paix"
Ah bon ! Mais c’est qu’à Marseille qu’on a la version féminine du truc ?
Pas plus tard qu’hier, alors que je tentais dans un magasin de frusques de relancer un peu la croissance (c’est qu’il fait chaud, faut acheter les p’tites robes hu hu), deux superbes poulettes entrent dans ce même magasin et vl’à ti pas qu’on se met à gloser (que des meufs) sur ah ben oui on n’a plus rien à se mettre, ah ben vous avez pas chaud avec vos bottes, non ah avec du coton ça va ?
Matraques, pétards à la ceinture les minettes !
Je m’y ferais pas non plus.
Et peut-être encore moins comme ça.
Le féminisme a pas que du bon, tss.
Marylin Manson, est-ce bien raisonnable ? 😉
Si, si, ça maintient en forme, j’ai testé pour vous.
En ce moment, j’arrive à ramer 25 minutes tous les matins. Si j’écoute Jalan Jalan, je fais mon temps pépère, et je transpire un peu à la fin. Si c’est avec MGMT, je souffre un peu plus et je commence à goutter un peu. Mais avec Marylin Manson, je finis sur les rotules, déshydratée comme un sachet de purée Mousseline et j’échange du vieux gras contre des nouveaux biscotos. Donc, Marylin Manson est bon pour ma forme. CQFD! 😀
En plus, ça entretient ma hargne!
@11 , yenayer :
Tiens, c’est très pertinent…
Je me demandais ce qui m’avait gêné dans cette simple phrase d’Agnès. Maintenant je sais.
J’ai pu goûter aux joies de l’OTAN, et ce sentiment amer m’est revenu en lisant le billet. Ce n’est visiblement plus qu’une idéologie. Né il y a un peu plus de 20ans, j’assiste avec effarement à la montée du tout-policier… et je n’imagine même pas le ressenti des plus âgés que moi, si la nausée me vient déjà si vite.
Au moins j’aurai découvert Cayenne 😉
*addendum*
Quand je dis "montée du tout-policier", je suis gentil… on se noierait presque dedans…
Mais ça pourrait juste encore être pire. Et pas moyen…
"En plus, ça entretient ma hargne!"
Salut ma hargne ! Bonjour ma colère ! Et mon courroux, coucou 🙂
Sinon pour les fins de mois précoce, ce sont surtout les 30 derniers jours qui sont difficiles.
ti_cyrano pourrait citer ses sources :
« Salut ma hargne ! Bonjour ma colère ! Et mon courroux, coucou 🙂 »
Pierre Desproges
Étonnant, non ?
c’est vrai que lors d’un contrôle on se sent vulnérable…
Surtout que tout est fait pour encourager les comportements de cowboys, comme la quasi-impunité des forces de l’ordre en cas de dérapage, surtout quand on trimballe négligemment sous ton nez des armes de guerre. Je suis contente de voir que ma petite phrase a eu l’effet escompté. Depuis le premier Vigipirate, je vis très très mal l’intrusion des armes de guerre dans l’espace public et cela ne fait jamais qu’amplifier mon malaise quant à notre société de contrôle.
J’ai raconté mon voyage en TGV sur Paris, mais pas mes premières minutes dans la capitale. À peine arrivée dans les couloirs de la termitière, je tombe nez à nez avec un troupeau de gardes privés RATP qui sont massés autour d’un pauvre type, tenu par des poignes de fer en position de contrôle (une drôle de prise où on te tient en te retournant le poignet). Le gars était noir, bien sûr, et les autres avaient l’air de se la jouer Robocop. La foule passait tout autour de la scène, mais l’hostilité était presque palpable, tout autant que la méfiance agressive des vigiles. Les passants qui ralentissaient un peu trop se faisaient flinguer du regard. J’ai dépassé le groupe en faisant mine de ne rien voir, avalé une volée de marche et je me suis embusquée à un coude de tunnel pour sortir mon réflex de mon sac. À ce moment, un jeune gars avait commencé à interpeller le groupe de vigiles pour leur demander ce qui se passait et la tension est montée d’un cran. Le vigile en chef lui a demandé assez sèchement de dégager. J’allais prendre la scène quand le même vigile m’a aperçue du coin de l’œil et m’a balancé un regard mauvais. Pas eu envie de me faire alpaguée, j’ai remballé et j’ai poursuivie mon chemin, imprégnée de la sale ambiance du truc.
Au retour, c’était des soldats, Famas sous le bras, qui sillonnaient la gare Montparnasse comme des bandes de requins en maraude. Je ne supporte pas l’idée que des soldats en arme se trimballent dans des espaces publics
Bah des matamores, du bleu-bite qui aux premiers coup de feux réels jetteront le Famas au sol pour prendre les jambes à leur coup, les oreilles dans le dos comme qui disait Arnaud Georges le tropical tramp…
Au Mexique le dernier controle auquel j’ai assisté se passait sur le parking d’un hotel , les suspects se sont dégagés à la grenade à fragmentation…trés efficace comme carte d’identité et coté poulets, y avait plus de cow-boys mais plus que des indiens.
En france, je suppose donc que l’on assiste à une campagne de …prévention.
Y’en a qui ont moins de bol : http://www.liberation.fr/societe/01…
Bon, pour une fois que je laisse un commentaire autant le dire : Agnès tes textes sont des friandises à déguster longuement.
Voilà c’est dit.
<<Il fait tellement beau, l’air est tellement doux que je n’ai pas envie de retourner me claquemurer dans mon bureau. En ce moment, le Gers est jaune, jaune pétard, éclatant, à s’en rayer la rétine, le jaune vibrant du colza en fleur. Ça explose de verdure, ça embaume à plein poumon et dans deux jours, il va pleuvoir des hallebardes sous un ciel plombé et froid>>
Ah non !
Tu nous fais du Zolà , là .
A moi , tu ne vas pas la faire !
Je m’insurge .
Je veux lire du Monolecte , que du Monolecte .
Le morceau "Cayenne" du groupe "Parabellum", c’est un peu mou ça… 😉
En parlant de musique…
Qu’est-ce que tu pense du groupe "Offlaga Disco Pax" ?
Moi, j’adore le morceau "Robespierre".
Un lien (au hasard) :
http://www.youtube.com/watch?v=j0hB…
Bon… c’est un rythme assez soutenu…
C’est peut-être pas fait pour le rameur 😉
En fait, j’aime bien le rock ou le métal un peu rapeux, tendance gratte saturée et vocalises rauques…
@chris en 21
par Indiens je suppose que tu veux dire lâches. laisse donc hors de nos médiocres et insipides sociétés ces indiens, mes héros, ceux qui ont pensé le monde et la vie sans avoir eu besoin d’être bon en maths, sans avoir eu à supporter des Hollande-Coppé et consorts…
appréciant souvent tes commentaires j’imagine qu’il s’agissait là d’une bavure, hum !
pour le reste, en effet, tu as raison, mais ici la grenade ? Hein…
Simple métaphore qui insinuait le statut sociétal, "l’indien étant habituellement le pourchasssé, celui qu’on voudrait exterminer comme étant nuisible.Nous avons nos indiens, les Roumains, les nomades, la banlieue, pas encore les chomeurs parce qu’ils refusent de s’exclure et s’accrochent encore désépérement au wagon du STO…
Ce n’est pas pour rien (même s’il ne faut tous les amalgamer) que certains policiers des BAC en particulier se baptisent cow boy pourchassant les indiens…subliminalement ils ont l’impresssion d’étre du bon coté sociétal.
Jetons un oeil à ce qui est prétendument dénommé littérature populaire aujourd’hui , le coté subversif des années 70 et surtout d’aprés guerre y a complétement disparu sous le joug des éditeurs ( pourtant des posts soixante-huitards pour la plupart des maisons d’éditions ) et tout doucement , on nous a ré-introduit la notion binaire du Cow-boy et des indiens , les gentils et les méchants …
Il y a beaucoup de choses cachées derriére ce concept à mon sens, les lobbystes des armes, du sécuritaire, du religieux, de la réaction, du conformisme,etc …
Ben il y a des phrases qui font causer comme on dit!les armes elles m’ont toujours donné la gerbe surtout que ceux qui les portent on ces derniers temps une fâcheuse tendance à s’en servir à tort et à travers!
Les cow boy et les indiens,les bons et les méchants?je crois que les méchants c’était les cow boy?j’ai faux?
Et c’est la fin du mois le 23,ben oui et je trouve que c’est tard ce qui prouve que les gens font attention(sic)
Mais comme le disait Coluche:"les fins de mois sont difficiles surtout les 30 derniers jours!".
Mon courroux, coucou ! Argh, toute ma jeunesse !
Un peu de douceur dans ce monde de brutes (btw : merci pour Cayenne)
– l’original (délicieusement kitsch) :
http://www.youtube.com/watch?v=fHq1…
– version sérénade (ah, les moustaches !)
http://www.youtube.com/watch?v=fHq1…
– le mélo moderne
http://www.youtube.com/watch?v=AN8R…
Indémodable !
Indiens, indiens… Abel Paz est décédé, il était le plus doux des Indiens de Barcelone, je me souviens des chouros et du chocolat à Barcelonnette sur le coup des cinq heures du mat, après avoir joué aux coboyes et aux indiens avec de vrais sauvages… Salut Diego, tu as retrouvé Durutti, Ascaso, Ferrer et tant d’autres indiens. Ah ! merde ce qu’on se fait triste quand on apprend ça…
"""Abel Paz est décédé""
J’ai vu ça aussi et je me demande combien faudra-t-il de temps pour qu’une génèration comme fut la leur, se léve de nouveau…
@Chére Agnés
En guise de brin de muguet, je te dédie cette petite nouvelle, à toi qui n’aime point les armes…
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Mexico Juarez
Une douce mélopée sous forme de Jazz, trompette en sourdine et sax qui vibre, baigne la pénombre entre les dossiers des sièges et le bas plafonnier et s’il n’y avait la sourde vibration des réacteurs et ces soudains changements de paliers annonciateurs de la descente ; l’on aurait pu se croire encore en plein ciel dans l’infini du vol de nuit. Ci et là, l’ombre des hôtesses qui remontent les travées, sérieuses et affairées, mais rien ne bouge si ce n’est ce jazz qui monte. Facétie d’un commandant mélomane, seul maître à bord du 747 siglé du serpent vert et or.
Aquí es México ; los mejores pilotos del mundo…
Seul celui dont c’est le premier voyage ignore encore que la piste est courte, la descente brutale et que les pilotes Mexicains aiment approcher au plus prés et que des immeubles, des avenues, vont surgir dans les hublots encore glacés par l’altitude.
Vámonos a aparcar , Cabrón !
Quelques tressautements et le frémissement d’une aile ne suffisent pas encore à secouer la torpeur de la cargaison des voyageurs du monde, entassés, serrés, endormis dans des positions acrobatiques pour ceux qui l’ont pu. Sur le bord de l’allée 2B, au dernier rang, un passager tente doucement de descendre ses jambes relevées en travers du dossier supérieur. Son siège au mécanisme cassé l’a maintenu horizontalement malgré les efforts insensés de l’hôtesse. Son voisin, un Galicien, ouvre un œil d’ibère lorsqu’il sait qu’un petit déjeuner de Jamon y queso l’attend. Ils ne sont pas encore adressés la parole et il ne sait pas encore si son voisin de nuitée parle espagnol. Il a l’air d’un américain, d’un russe peut-être vu l’accent zozotant dont il a accablé l’hôtesse- une bonne Catalane – au départ de Madrid. Une fois encore, c’est un simple sourire qui vient marquer leur éphémère relation tandis que la voix sérieuse du co-pilote annonce la température extérieure, le jour qu’on est et qu’il fait beau sur Mexico.
Que hoy sera un buen dia ; Guéy !
Les hôtesses courent dans le bruit des chariots. Elles inspirent l’affection avec leur rimmel éclaté, les cernes de l’age qui rendent si belle parfois la maturité chez une femme. L’homme du bout du rang n’a pratiquement rien mangé du repas de la veille et son voisin qui lui, a férocement dévoré son plateau sous cellophane tout en l’arrosant copieusement du mauvais vin en capsule, se dit que décidément c’est un étranger. D’ailleurs avec le même sourire, il prend juste un peu de café avec un morceau de brioche sèche, arrosé d’un jus d’orange, dédaignant le jambon et le fromage tandis que le galicien en fait une provision en bon Galliego.
Damas y Caballero…
Les hôtesses s’activent de plus belle, l’avion vibre tel un cheval Appaloosa cambré sur ses paturons, tandis qu’un jet de lumière intense perce le hublot. L’homme du dernier rang jette un regard au flux des toilettes, la ronde des sphincters semble tirer à sa fin et il se saisit de son sac à dos, coupant avec souplesse la file du retour. « « Con muchas velocidad » fait-il avec un sourire de pirate à l’hôtesse un peu stressée. Il claque la porte d’un pied, soulève son Tshirt noir d’une main tout en écartant de l’autre la fermeture éclair du sac de sport. Il s’ébroue, mouille ses cheveux courts et son visage à la barbe naissante, puis en sort une mini brosse à dents, frotte et crache sèchement. Il enfile un nouveau Tshirt noir aussi, étire des bras tatoués et s’extrait de la cabine tandis que la sortie du train d’atterrissage secoue l’appareil. Lorsqu’il revient, une lumière différente a envahi les hublots, celle des lumières du District fédéral : Mexico City – el DF…
Ceintures verrouillées sous l’œil fatigué des hôtesses pressées de rejoindre les sièges de bout ; prés des emergency gates. La lumière des plafonniers s‘éteint tandis que le jazz revient et que sur le grand écran central, la piste apparaît, magique, dans les spots de la city qui l’entoure – le commandant est un poète. Le silence se fait comme toujours lorsque certains ressentent le besoin de recommander leurs âmes à Dieu. Entre le ciel et la terre, là où l’incompétence de la main de l’homme peut laisser basculer dans l’infini ouaté de l’incertitude, la tension est palpable tandis que les deux passagers du bout du rang se font un dernier sourire. D’ailleurs l’étranger ne l’est plus tout à fait ; il a décliné le formulaire de la « Migracion » avec toujours le même sourire. L’hôtesse a cru a un malentendu linguistique, mais non, il semble avoir bien compris et lui a exhibé rapidement un passeport orné de l’aigle doré.
Un sifflement de réacteurs qui s’inversent, une dernière et ultime impression que la structure s’immobilise dans l’espace, puis un choc sourd mais tranquille, suivi des secousses du roulement – bienvenue sur la terre ferme.
L’hôtesse de l‘allée 2B soupire comme elle le fait depuis tant d’années, à la fin de tant de traversées de l’Atlantique. Le malaise est toujours là, malgré les milliers de décollages et d’atterrissages qui se finissent invariablement par ce soupir salvateur lorsque qu’on déverrouille les portes ; Hasta luego y muchas gracias.
6 heures du matin, l’aéroport dort encore.
Les passagers du vol 7011 hésitent d’un pas maladroit, au hasard des halls vides, sous le regard d’un policier blasé, seul indicateur d’un chemin ouvert. Quelques uns sont déjà agglutinés autour du seul tapis roulant qui s’est ébranlé et fixent hagards les premiers bagages. L’homme du dernier rang remonte en sifflant, lunettes de soleil remontées sur les cheveux, pantalon battledress kaki qui se saisit d’une grosse valise étiquetée d’un superbe drapeau Anglais. Le galicien se frotte le menton devant la vision de la malle flambante neuve et manque d’en oublier la sienne. De toute façon, tout le monde va dans la même direction, là ou un Y se forme entre la file des nationaux et les autres : les étrangers.
– A Donde vas, amigo ?
– Leone, Guanajuato.
L’employé n’a cillé que deux secondes, dubitatif, puis a tranché d’un coup de tampon.
Le galicien cherche un taxi. A cette heure, le grand aéroport est sinistre à souhait, tout est blafard, même l’uniforme verdâtre des quelques flics en faction. Un soldat casqué, un M16 en bandoulière lui indique qu’il vaut mieux couper par le parking ; plus sûr. La flotte des voitures stationnées y est impressionnante, sauf qu’il n’y a pas âme qui vive. Le galicien marche entre les allées, se dirigeant vers ce qui lui semble être la rue. Un autre militaire lui demande s’il est touriste et cela le ferait sourire dans un autre moment, les galiciens ont une longue histoire avec cette terre. L’autre enchaîne que c’est dangereux, il faut rejoindre un car en partance ou un taxi avant que la cité ne soit véritablement réveillée. Le cessez-le-feu ne durera pas lorsque l’étrange lumière entre chien et loup se sera dissipée. Des phares au xénon l’éblouissent, tandis que le bruit sourd d’un moteur de bateau résonne maintenant à sa hauteur. Le blanc immaculé de la Mercedes S 600 qui contraste avec les vitres noires et opaques le laisse un peu idiot, désemparé. La vitre descend dans un chuintement électrique sur le sourire goguenard de l’homme du dernier rang.
– A donde te vas ?
– No sé, bus,taxi ,no importa !
– Poco mas léro, no !
Se disant, il est descendu avec un regard circulaire aiguisé et s’est dirigé vers le coffre qui s’est ouvert automatiquement tandis que le galicien finit d’halluciner sur les plaques numérotées 666. Son hôte lui ouvre la porte arrière où un homme lui fait un sourire. Il s’assoit en saluant ; l’oeil fixé sur l’énorme pistolet mitrailleur court posé en travers des genoux de son nouveau voisin. Il ne sait plus s‘il doit continuer de remercier ou s’inquiéter. S’il s’agit d’un enlèvement ; il devrait bientôt figurer dans les annales du touriste enlevé sans avoir pu poser un pied sur la ville. La limousine file dans un souffle, contourne tout en souplesse un rond-point d’où l’on aperçoit déjà la zone, puis s‘immobilise. La vitre est descendue de nouveau et la discussion s’est engagée rapide et saccadée :
Claro, claro, muy bien …
L’homme du dernier rang est descendu, a rouvert la portière et avec toujours ce même sourire, a fait soudain sérieux et grave :
– Es un taxista muy séguro, no problem ! Que te vaya muy bien, Galliego…
Au même moment, un soleil rougeoyant inonde la ville tandis que Mexico se lève enfin.
Novi
Nouvelle inédite, le 29 04 2009
******************
je ne l’ai pas encore entendu aux nouvelles, mais, dans la lignée des violences policières, je signale celels qui sont parait-il en train de se produire (ou se sont déjà produites) sur la place de l’Hotel de Ville à Paris afin de réprimer la Ronde des Obstinés….