Hier, ballade au bled-en-chef… ou comment ma misanthropie naturelle revient au galop.
Une fois par mois, environ, nous allons au bled-en-chef pour permettre à la naine de voir sa grand-mère. La plupart du temps, nous restons chez la grand-mère, surveillant du coin de l’œil la naine qui explore le jardin. Mais l’état délabrée de ma garde-robe, dont une grande partie date d’avant[1] M’a poussé à me rendre au centre du bled-en-chef pour tenter de trouver de quoi draper mes formes pour le moins callipyges.
Nos voisins les hommes
Chaque fois que je me tente une sortie en ville, je me sens dans la peau du Dernier trappeur, ce gars qui vit dans le fin fond du Yukkon, à 5 jours de traineau du bled le plus proche. J’ai toujours la sensation d’être comme un extra-terrestre plongé dans une civilisation dont il ne comprend pas du tout le fonctionnement et les codes. A chaque fois, je ressent toujours plus le décalage entre mon mode de vie et le mode de vie dominant.
Rien qu’au parking principal de la basse-ville, celui qui est proche des rues commerçantes, c’est un ballet incessant de 4×4 rutilants et dantesques, sorte de tanks de luxe, qui se disputent les meilleures places avec des monospaces familiaux vrombissant de la clim’ lancée à fond. Je remarque que la plupart des monospaces sont occupés par des personnes seules ou des couples dont une partie impressionnantes de "vieux". En gros, il s’agit de véhicules surdimensionnés par rapport aux besoins réels. Des gouffres à carburants, des usines à effet de serre. Et encore, je ne parle même pas des 4×4, dont la principale fonction est d’écraser autrui du haut de sa supériorité et de sa supposée réussite sociale, sur le ton de : j’en ai une plus grosse que la tienne
.
Ceci dit, au bled, ce n’est pas mieux : la dernière mode, c’est le pick up 4×4 comme dans les séries américaines, le tank à red neck[2]. Alors que le prix du baril explose, que les réserves de pétrole tirent vers leur fin, que le réchauffement climatique est une réalité concrète et non plus une supputation de professeurs Tournesol bigleux, tout le monde agit comme s’il fallait vite en profiter pendant que c’est possible et après eux, la fin du monde.
J’entre dans le premier magasin, plus réfrigéré que climatisé. Là aussi, je note le gaspillage comme mode de fonctionnement normal. Le bâtiment a été monté à l’économie, comme presque tous les magasins actuels, fabriqué en tôle, ce qui est parfait pour un four solaire, mais assez médiocre pour un lieu de vie : donc clim’ à fond les manettes et éclairage artificiel à longueur de temps.
Nous ne sommes plus à la période de lancement des soldes, où la foule hystérique envahit les magasins comme une marabunta guerrière et monstrueuse. Les meilleurs morceaux ont déjà été arrachés. Restent les fins de séries en troisième démarque, ce qui convient parfaitement aux désargentés de mon espèce. Bien sûr, il manque toujours les tailles les plus courantes. Et il se trouve que la plus rare, c’est la mienne. Moi qui pensais que j’étais plus grosse que la moyenne… Finalement, les 36 et 38 restent sur les cintres : il serait temps que l’on passe aux nouvelles tailles!
Dans les rayons, règne un désordre indescriptible. Il y a des frusques jetées en vrac dans les coins, des tas de cintres déplumés, des godasses qui gisent de manière informe, uniquement des pieds gauches. Au milieu du désastre, deux vendeuses récupèrent les objets, leur redonnent une certaine tenue, naviguent dans les rayons pour tenter de retrouver les sœurs jumelles. L’une d’elle pouffe : "Quand je pense qu’il y a des clientes qui prétendent que c’est de la faute aux enfants
". Plus loin, j’observe le manège de prédation : la nana fouille dans une colonne de godasses à 10€ pour trouver sa pointure, une partie du tas s’effondre dans son indifférence générale. Elle prend la pompe dans son carton, qu’elle laisse telle quelle, le papier de soie à l’air, se regarde dans la glace, n’aime visiblement pas ce qu’elle y voit, retire la chaussure et la plante là, sans autre forme de procès.
C’est plus que de la connerie, c’est de l’indifférence. Qu’est-ce que ça lui coûte de remettre la chaussure dans sa boîte et de reconstituer le tas? Rien, absolument rien. Mais elle s’en tape. Elle se fout de laisser du merdier derrière elle, elle se fout de mon regard ou de celui des vendeuses, elle navigue tranquillement autour de son nombril, avec le niveau de conscience d’une amibe.
Autre magasin. Un peu plus de monde. Parfois, cela coince un peu dans les rayons. Par réflexe, j’observe toujours que je ne suis pas en train de bloquer le passage pendant que je cherche ma foutue taille dans le rayon. Une nana arrive, je m’efface, naturellement, pour lui faciliter le passage. Elle ne me voit même pas, uniquement fixée dans sa quête personnelle. Et s’arrête à ma hauteur, me bloquant. J’attends quelques secondes, la regarde. Je crois qu’elle ferait plus gaffe à un moustique. Je tente de me dégager, elle ne bouge pas. Il lui suffirait pourtant d’une légère rotation du fessier pour me libérer. Excusez-moi…
. Elle ne moufte pas. Finalement, je me dégage d’un coup d’épaule, et là, j’ai le droit à une exclamation courroucée.
Je rentre dans une lingerie. J’ai une taille de soutien-gorge extravagante, du genre de celle que l’on ne trouve pas facilement dans les travées des hypermarchés. Pendant un temps, j’ai pu trouver mon bonheur chez Marks & Spencer, dont la cliente de base est l’anglaise nourrie au bœuf aux hormones, ce qui a une incidence certaine sur la taille moyenne des lolos britanniques. Mais voilà, le magasin a fini par se replier sur la perfide Albion et depuis, trouver bonnet à mon sein est devenu un calvaire.
Le magasin est en liquidation totale avant fermeture. Il y a deux vendeuses, négligemment accoudées au comptoir, très style magasin de luxe de centre-ville, avec le casque blond coupé au carré, la manucure impeccable et le demi-sourire compassé. J’annonce ma taille. Petit rictus ironique de la vendeuse : cela fait un moment que nous n’en vendons plus
. Finalement, c’est bien fait pour sa gueule si sa boutique ferme.[3]
Plus le temps passe et plus j’ai la sensation d’évoluer dans autistes-city. Tous les gens que je croise sont agressifs, obsédés par la défense de leur bulle, indifférents à tout ce qui ne se rapporte pas directement ou immédiatement à leur nombril. Ils exigent, ne saluent personne. Leur 4×4 leur permet notamment de faire un forcing efficace sur les rond-points qui parsèment la ville, notamment les deux qui sont toujours en priorité à droite. Je suis certaine que ce sont les mêmes qui se plaignent ensuite de l’incivilité des sauvageons. Ils écrasent les pieds de tout le monde, mais exigent d’être salués avec respect.
Je ne pense plus qu’à rentrer au bled. De toute manière, j’ai trouvé 2 ou 3 trucs qui me permettront de ne pas avoir l’air d’une chômeuse en fin de droits quand j’irais en clientèle. Les gens me gavent. J’ai envie de retrouver ma tanière, j’irais bien me fabriquer une maison en rondins au milieu de nulle part… du moment qu’il y a l’ADSL…
Notes
[1] Comme beaucoup de chômeurs au long court, il y a un avant et un après chômage, c’est à dire une période où nous avions une vie de salarié, avec ses problèmes mais aussi la capacité de pourvoir relativement facilement à nos besoins élémentaires (logement, nourriture, déplacement, santé, vêtements), puis une autre où nous vivons d’expédients, où nous tentons de faire durer les vestiges de la période d’avant.
[2] Les "cous rouges", littéralement, c’est à dire ceux qui bossent dehors, la nuque au soleil dépassant du maillot de corps, les bouseux, en somme…
[3] Pour info, inutil de fantasmer sur ma poitrine, mon problème vient d’un différentiel buste-sein peu courant de ce côté de la Manche. Mais par contre, ce type de bonnet est hyper courant en Angleterre. Fans de Russ Meyer, un coup de Shuttle et c’est le bonheur assuré!
En cliquant sur le lien "callypiges", je suis parvenu à te voir quasi-nue, de dos, dans une pose lascive! Attention avec les liens, donc! (rien à dire, par contre, de cette chute de reins, sinon, que je vais rester réveur jusqu’à la fin de la soirée) (après je vais me coucher, et j’ai le droit d’être réveur, merde!)
félécitations ! La présentation du site est très jolie. Je trouve que votre billet mérite beaucoup d’attention car l’indifférence hautaine et le topo "tu me connoys?" inquiètent. Au bled chic et capitale de la mode en-veux-tu en-voilà où je m’adapte depuis quelques temps, les signes de la jungle humaine à grosses conneries et prétentions "que ça dans la vie et dans la ciboulette" se montrent comme le dernier chic que tu portes. Mon voisin de palier a eu la gentillesse de me dire même pas bonjour alors que j’avais un caddy super chargé à monter jusqu’au 5è, et qu’il sait d’avance pour l’avoir remarqué assez souvent que je me sers presque que d’une seule main… Les femmes enceintes ( à part les regards intéressés de ses soeurs d’eve) sonnt bonnes à ignorer… On parle toujours de civilisation ? Un jour, un type a vu que je croulais sous ma valise, ne m’a même pas demandé mon avis, il a pris la valise et a fait toutes les marches qui mènent au métro. Il était originaire d’un continent sous-développé et forcèment, il était pas civilisé. Bien à vous.
J’ai passé hier une partie de l’après-midi dans un grand centre commercial. On dirait que j’y vais un peu plus souvent que toi. Et après, certains s’étonnent que je haïsse l’humanité :-}
P.S.: C’est les nouveaux blogs Gandiques, ça, Agnès ? Qu’est-il arrivé à ton Monolecte antérieur ? (Je me posais la question depuis quelques jours, ce commentaire me permet de te la poser… 😉
"A l’heure où les faux culs sont la majorité, gloire à celui qui dit toute la verité" disait Brassens dans "Venus callypige", justement. Un des plus jolis mots de la langue française, je trouve.
Etant presque physiquement allergique aux centres commerciaux, ayant un bon stock de fringues accumulées au fil des années et vivant en banlieue parisienne, il me reste l’inter du coin, et le marché du dimanche au centre ville pour faire mon devoir de consommatrice, et ça me suffit. Les tongs à 1.5 euros, et surtout des choses à manger ;-))
Je voudrais bien que tout le monde comprenne qu’il est urgent de déserter les mega-centres commerciaux, parce que ce sont des endroits spécialement destinés à anéantir l’humain.
Vous avez remarqué que certains jours plus que d’autres l’autisme y est contagieux ? Quand on est fatigué peut-être.
Il faut une bonne dose de force personnelle pour ne pas être fragilisé par l’atmosphère tellement oppressante de la foule sans… âme (?) humaine.
Koyaanisqatsi !
ps : Ce n’est même plus de l’égoïsme, c’est du non-respect de soi et du laisser-aller.
Le problème, c’est que je ne suis pas allée dans un grand centre commercial, ce que j’excècre, mais justement dans des boutiques de centre-ville, la plupart franchisées, mais toutes hors centre commercial. Le comportement des gens est indifférent à l’environnement, c’est juste devenu une forme de norme sociale.
Sinon, pour répondre à Swâmi, j’ai décidé hier soir que cette adresse devient la nouvelle adresse définitive du Monolecte. Vous pouvez donc utiliser les liens RSS situés en bas à droite de cette page pour mettre à jour vos aggrégateur.
Dans les semaines qui viennent, de nouvelles fonctionnalités vont être mises en oeuvre par GandiBlog, et cela correspond totalement à mes besoins. Dès que c’est possible, je personnaliserais l’interface, mais pour ce qui est de l’URL, dorénavant, c’est ici que ça se passe! 🙂
Hi hi super drole…! Bien ecrit… quel pays de cons quand on te lit…
(pour les soutifs a lettre exotique, les marques australiennes et anglaises font des choses pas mal sur le net…). Je te retrouve les noms de marques si tu veux.
Fais péter les liens!!!
"Pays de cons", Léon? Je ne sais pas d’où tu es mais je t’informe qu’en France on a les mêmes.
Bon beau blog, Agnès. Je reviendrai vite.
Salut, mon Swâmi!
Bises.
Voilà ce me semble une description exacte du monde où nous vivons (le monde commence à notre porte): un "no man’s land".
"tout le monde agit comme s’il fallait vite en profiter pendant que c’est possible et après eux, la fin du monde." Je crois que c’est bien ça le fondement de l’économie et de la politique mondiales actuelles.
Comme je partage ton sentiment !!!
Mais je n’aurais pas cru qu’il en soit ainsi au bled-en-chef aussi. J’étais vendredi à la grande ville (la rose) et j’ai eu la bonne surprise de croiser plusieurs sourires dans la matinée, ce qui m’a un peu réconciliée avec l’humanité… hélas cela se fait rare et l’effet est de courte durée ! Néanmoins ça existe, il faut s’en contenter.
Je me suis dit un jour que ça pouvait tenir à notre propre attitude : on répond à un sourire par un sourire… du coup je suis plutôt aimable a priori, mais si en face il n’y a rien qu’indifférence ou mépris, là je vois rouge et je ne décolère pas pendant trois jours !
au final plus ça va plus j’ai envie de me replier dans ma campagne…
rahhh quelle verve ! j’aime bien ce blog => hop favoris ! surtout la conclusion ‘tant qu’il y a l’adsl’ m’a bien fait rigoler 😀 petit conseil d’ami, si tu veux retrouver foi en l’espece humaine, fais quelques festivals, l’ambiance est chaleureuse, la musique détendante mais surtout les cons n’y sont pas :^)
Ok, Michel : et hop! Un festival!
Bien vu.
J’ai décidé de résister un peu, parce que mon agressivité naturelle ne peut plus rester coite devant autant de bêtise quotidiennement étalée.
Il y a les gens qui laissent leur caddie© au beau milieu du passage quand ils vont chercher quelque chose dans un rayon. Maintenant, je me fais plus chier, quand j’en ai un devant moi, je le pousse plus loin…
Et les gens qui se mettent devant la porte du métro pour être les premiers à monter, et t’empêchent de sortir. Alors je reste planté devant eux et prend mon air con (j’ai des dons naturels pour ça), surtout je me mets pas de profil pour passer pendant qu’ils montent ; j’attends benoîtement, passivement, avec un petit air à la « si tu me laisses pas descendre, je te laisse pas monter ».
Ah mais.
À con, con et demi…
PS: les espaces insécables sont virées des réponses… c’est regrettable.