J’ai déjà dit, et je me répéterai encore, que je suis devenue fan de l’émission Charivari de Frédéric Bonnaud sur France Inter.
Et par dessus tout, ce que je préfère, ce sont les quelques trop rares minutes qui sont accordées à mon chroniqueur préféré, l’inénarrable Philippe Collin.
Philippe Collin, c’est 3, 4, des fois 5 minutes de bonheur, tous les vendredis soirs, un peu avant le journal de 19 heures. Avec un petit air enjoué, il entreprend chaque semaine de décortiquer une bonne et saine expression courante de la langue française, une de ces locutions dont notre culture a le secret. Cela commence gentiment, comme un cours de linguistique à la Sorbonne (Si, si, je vous assure), avec un vrai plaisir des mots et de leur sens et très rapidement (c’est très court 5 minutes, bien trop), ça s’envole, le lyrisme prend le dessus et Philippe Collin entreprend de nous illustrer sa phrase du jour avec un exemple bien concret, bien près de chez nous. Et il explose alors dans un magnifique réquisitoire contre les idées reçues, les petites lâchetés ordinaires, la mesquinerie au quotidien, avec, droit dans le collimateur, nos hommes politiques et leur sens inné de la rhétorique inversée, comprenez là de la langue de bois et du roulage dans la farine!
Pensez comme je jubile chaque semaine, intensément, de ce libertinage lexical à contre-pied de la médiocrité compassée. J’imagine Philippe Collin comme un farfadet à l’œil qui frise et au sourire délicieusement narquois, pendant qu’il descend en flammes les médiocres, grands ou petits.
Aussi, comme lui, les évènements de la semaine m’ont immanquablement fait penser à cette expression courante mais méconnue : Être comme l’oiseau sur la branche.
Quand j’étais gosse, et finalement jusqu’à très récemment, je pensais que cette expression était de la même famille que le poisson dans l’eau : quoi de plus naturel, de plus logique, de plus confortable pour un oiseau, que d’être sur sa branche? Être comme l’oiseau sur la branche, c’est finalement roucouler de bonheur, chanter comme un pinson… Alouette, je te plumerai la tête (qu’est-ce donc qui peut bien nourrir de si noirs desseins envers un animal somme toute bien inoffensif?).
Sauf que voilà, c’est tout le contraire de cela. Être comme l’oiseau sur la branche, c’est vivre dans la plus totale incertitude, c’est vivre au jour le jour, sans conscience du lendemain, cela illustre la grande précarité de l’existence. C’est en fait le summum de l’instabilité, de la précarité.
Nous autres, êtres humains, sommes donc bien différents de l’oiseau, en ce que nous sommes capables de projets et que nous pouvons investir une quantité phénoménale d’énergie dans l’accomplissement d’une chose que verront peut-être nos petits-enfants. Nous nous projetons dans le futur. Je dirais même que pouvoir prévoir nous permet de prendre en main notre avenir, de ne pas subir le temps qui passe. D’ailleurs l’incertitude, bien qu’elle soit notre lot à tous, tend à nous plonger dans les affres d’une angoisse insondable. Nous prévoyons, planifions, 10, 20 ou 30 ans à l’avance. Nous parions sur l’avenir, et c’est comme cela, qu’un jour, on sort de la banque avec un crédit de 25 ou 30 ans sur le dos pour accéder au rêve ultime : devenir propriétaire de son logement.
Tout le monde aime prévoir. Le banquier, votre capacité de remboursement sur une génération, le comptable, vos comptes provisionnels, le boursicoteur, la valeur à terme de l’action sur laquelle il vient de placer ses économies. C’est normal. C’est même humain!
Aussi, je m’interroge sur le sens du nouveau contrat de nouvelle embauche proposé par le gouvernement Villepin et qui devrait nous être imposé aux forceps d’ici la rentrée, au moment même où le gros des Français qui ont pu prévoir vacances et locations sera en train de se faire griller la couenne dans quelque lieu hautement touristique.
Deux ans d’essai
Putain, deux ans! Comme disait la marionnette de Chirac, il y a si longtemps, déjà. Deux ans à vivre comme l’oiseau sur la branche, c’est une éternité. Déjà que trois mois, c’est long. Parce qu’une période d’essai, c’est la possibilité permanente d’apprendre le matin en arrivant pour travailler que c’est fini, terminé, vous retournez à la case chômage, sans toucher les 3000 €[1]Déjà, 3 mois pour essayer un salarié, c’était plutôt bien. C’était d’ailleurs aussi 3 mois pour essayer le patron. Faut que le gars soit sacrément rusé pour vous faire croire tout ce temps qu’il est compétent s’il ne l’est pas. Mais deux ans? Pourquoi pas l’essai à perpétuité? Comme une condamnation. Déjà que les TPE n’étaient pas très attractives pour les salariés[2], mais maintenant, il va falloir un flingue sur la tempe pour accepter de signer un contrat dans ces conditions… cela va donc bien de paire avec le contrôle accru des chômeurs, entendez le fait de les forcer à prendre n’importe quoi à n’importe quelle condition. Je sais qu’il y a des salariés, qui se recrutent plutôt dans les couches qui pensent avoir le moins à craindre le chômage, qui se réjouissent que l’on mette les fainéants au boulot dans ces conditions. C’est précisément parce qu’ils n’ont aucune conscience de l’avenir, aucune capacité de projection. Ils s’imaginent à l’abri. Ils se perçoivent comme irremplaçables. Ils ignorent ou feignent d’ignorer que le marché de l’emploi est comme une grosse pyramide de sable : quand on creuse à la base, qu’on érode le pied, ce sont des pans entiers de l’édifice qui dévalent la pente ensuite. Comme le disait le sage chinois :
Quand on frappe sur le dos de ton voisin, prépare le tien.
Il y a quelques années, je cherchais à louer un appartement avec mon mari. On visitait une résidence pour jeunes couples qui s’installent, un peu à la chaîne, tant la demande était forte. Juste avant nous, un autre jeune couple. Elle, étudiante, lui, venait de trouver un travail à l’Hypermarché tout proche. Caution des parents.
- Ça fait longtemps que vous travaillez là-bas?
- Non, 15 jours, mais ça marche bien. J’ai un CDI. Et un bon salaire.
- Vous êtes toujours à l’essai?
- Oui, je suis cadre. 3 mois.
- Ben vous repasserez dans 3 mois, alors!
Et le gars est retourné dormir dans sa voiture ou à l’hôtel, selon les moyens, en attendant de trouver une solution de rechange, d’arriver à la fin de sa période d’essai. Parce que les propriétaires aiment bien savoir de quoi votre lendemain sera fait. Les banquiers aussi, quand il s’agit de vous prêter de quoi acquérir une voiture. Alors, 2 ans d’essai, ça va être difficile à gérer. Chaque jour. Comme l’oiseau sur la branche. Ou le dindon de la farce!
Notes
[1] Certains parlent d’un CDD de 1 à 24 mois. Grave erreur. Le CDD, en l’état, est nettement plus protecteur que cela. La période d’essai est déjà très courte. Ensuite, la relation de travail est verrouillée. Patron ou salarié, pas question de mettre les bouts. Un patron qui déciderait de vous virer d’un CDD vous devrait tout de même l’intégralité du salaire qu’il aurait du vous verser jusqu’à la fin du contrat. La réciproque est d’ailleurs vraie. Vous ne pouvez partir que si vous trouvez un CDI, et vous devez effectuer votre préavis. On est super loin du contrat de nouvelle embauche, qui est plutôt un contrat de débauche permanent! Voir ici, ici et là.
[2] Pas de délégué du personnel, pas de CE, pas de 35 heures ou de RTT, le plus souvent pas de mutuelle, des salaires calculés au plus justes, polyvalence extrême, heures sup. à la pelle sans contrepartie, négociation salariale au point mort, en fait, pas d’avantages sociaux, aucun, juste une paie souvent proche du SMIC, une disponibilité à toute épreuve, peu ou pas de perspective de carrière ou d’avancement et voilà tout!
Agnès, s’il te plait, toute l’énergie que tu dépenses ici, tu pourrais pas essayer de l’utiliser à bon escient ?
Utiliser « l’énergie du désespoir » pour s’en sortir, pas pour broyer du noir.
Tu tournes en rond là, tu avances pas.
Je vais bien, merci.
Je ne broie pas du noir.
Je ne suis même pas désespérée.
Je me contente de mettre certaines choses en lumière.
Ce n’est pas moi qui a décidé ou préconisé ce genre de solution pour s’attaquer au problème du sous-emploi. Pas plus que je ne décide de l’organisation sociale qui s’appuie sur la stabilité. Pendant que l’on crée toujours plus de précarité. Ce qui est une attitude un peu schyzophrène, non? La seule chose qui soit en voie de flexibilisation intégrale, c’est le statut du salarié, ses moyens de substance. Tout le reste, logement, crédit, contrat, repose sur toujours plus de garanties, de stabilité. Cette différence croissante est un facteur d’exclusion renforcé. Le dénoncer, c’est tourner en rond, ne pas avancer? Intéressant. Dégradons les conditions de vie de plus en plus de personnes, mais surtout, n’en parlons pas.
T’inquiètes pour mon énergie, j’en ai encore pas mal sous le pied, entre la famille, la recherche permanente et active de boulot, ma création d’entreprise sans argent et mon job de correspondante de presse, je t’assure que mon blog est très loin d’être mon activité principale. Il m’a permis surtout de prendre du recul sur ma situation et au-delà, sur la situation actuelle globale et m’a forcé à une grande discipline, m’a poussé à écrire (fini l’angoisse de la page blanche), à ne pas m’enfermer dans mon train-train de jeune mère au chômage, qui est un piège pour bien des femmes.
Mais merci bien pour ta sollicitude, ça réchauffe le coeur de se sentir soutenue.
Il semblerait que de nos jours (et j’ai à ce sujet quelque expérience intime et douloureuse) dire que le noir est noir vous fait passer pour un professeur de pessimisme. Il est possible de constater qu’une situation est très grave sans être soi-même désespéré et, quand bien même serait-on désespéré, cela n’en rendrait pas la situation moins difficile.
Je donne, pour finir, la VF d’une citation que j’ai lue il y a quelque temps :
« On peut toujours considérer le bon côté de n’importe quelle catastrophe mais quand on arrête de fixer le bon côté, la catastrophe est toujours là. »
Cela étant, je vous souhaite à tous d’aller le mieux possible dans un monde qui ne va pas vraiment bien.
au delà de la précarité du salariat, c’est également la précarité du citoyen. s’opposer aux orientations des « biens-pensants », vous voilà catégoriser en réac, facho, xénophobe, attardé et au mieux peureux et pessimiste.
chirac avait vu la fracture sociale en 95, on connait la suite. en 2002, c’est le déficite de démocratie, où on est-on de l’évolution de la Vème république ? avec un revers le 29/05, il nous annonce qu’il nous entend : vous vouliez moins de chômage ? voilà plus de précarité pour vous servir m’sieurs dames.
alors, alain, faut-il faire semblant d’être ravi ?
pour ma part, cette tribune me convient, j’y lis les sentiments de citoyens sur des faits de société qui nous affectent + ou -. et là c’est +++.
pour en revenir au sujet du cdi avec période d’essai de 2 ans, voici bien une mesure contreproductive d’emplois et génératrice d’inégalités sociales. on nous surine que le code du travail est une lourdeur pour la création d’emplois. ça sous entend que les employeurs (les petits patrons en l’occurence) sont au fait du dalloz sur le sujet. si tel était le cas, je vous garantis ici que cette mesure ne recevrait pas leur approbation et ne leur apporte pas les moyens de créer + d’emplois. je vais m’attarder dans les prochains jours à trouver les argumentations de ceux favorables à cette mesure. et m’efforcer de les démonter. parcequ’au niveau économique je n’en vois aucune.
par contre côté politique, il est clair que la culture de la peur et de l’asservissement fait recette. pour quelles desseins ? où alors, c’est vraiment qu’on nous prend pour des légumes. si x millions de français sont partagés entre la ferme et la star’ac, ça reste une appréciation des sondeurs. que les politiens prennent ça comme argent comptant et se voient en berger menant le troupeau au son de leur pipeau, ça va leur en couter. plus qu’un non.
Peut-être aussi que la sémantique des gouvernants explique à elle seule les dérives. Tout part de travers dés le départ, il n’est du coup pas illogique me semble-t-il que les solutions aillent elles aussi de travers. La méthode coué a de beaux jours devant elle : on parle de chômage ? Que nenni : on parle d’emploi. On parle d’exclusions ? Que nenni : on parle d’insertion. On parle de discriminations ? Que nenni. On parle de libertés. J’en passe et des meilleures. Pour qui décortique un peu le discours de politique générale du gars Villepin et on mesure l’océan qui existe entre les mots des uns et les réalités des autres. Peut-être que je vois ici les choses par le petit bout de la lorgnette, mais les abus de langage ont ceci d’éclairant qu’ils révèlent assez bien l’état d’esprit des « décideurs ». Ceci renforce, je crois, le vote non du 29 mai : nous ne sommes pas dupes, nous le sommes de moins en moins, nous le disons. Reste à résoudre l’équation suivante : comment, maintenant, passons nous à la vitesse supérieure ? Comment agissons nous, ou comment pouvons nous le faire ? Je le confesse : je n’en sais fichtre rien. Mais des espaces de paroles comme ceux-ci sont trés certainement des outils. Des moyens. Des médiateurs. Alors au passage, merci à vous, monolecte. D’écrire tout ça. D’ouvrir des petites boites. Y compris aux récalcitrants. Je crois que c’est ça, en vrai, la démocratie ! PS : je ne sais pas si je me fais bien comprendre, en même temps, avec mon histoire de sémantique… Pardon d’avance si j’ai causé petit chinois. Le coeur y est !
Dénoncer les turpitudes d’un gouvernement instituant la précarité comme solution au chômage que lui et les siens copains (on sait bien que le Medef est le gouvernement bis en France depuis pas mal d’années) ont installé, ce n’est certes pas broyer du noir. C’est juste un acte de résistance face à des oppresseurs sans vergognes.
Oppresseurs ! Oppresseurs ! hurleront d’effroi ceux qui admirent le système et sa pensée unique !?
A tous ceux qui pensent que tu broies du noir, chère Agnès, je propose de démissionner de leur travail actuel pour vite aller goûter aux charmes ineffables du contrat à deux ans d’essai… et ainsi apporter de l’eau, en ces durs temps de sécheresse post-référendaire, au moulin du pauvre M. de Villepin…
Je leur souhaite bien du plaisir et m’apprête à ouvrir, plutôt à agrandir encore, le cercle des résistants à la sauvagerie libérale. A moins qu’ils n’apprécient les charmes de la précarité, mais dans ce cas, nous ne pourrons plus rien pour eux puisqu’ils feront partie du club des sado-maso…
Agnès tu dis très bien les choses. Si elles sont noires ce n’est pas ta faute, tu en es la victime, en plus ! Nous sommes nombreux à dire la même chose, sans broyer du noir… justement parce que notre espoir c’est que plus nombreux seront ceux qui prennent conscience de cette situation plus vite nous pourrons la faire évoluer, la changer peut-être. Oui, tu fais bien de te servir de ta révolte pour dénoncer ce que d’autres veulent nous montrer comme une fatalité: c’est la vie quoi ! Tiens je reviens d’une séance de référé : refus de payer les 10% en fin de contrat… le patron appliquait déjà le nouveau CDI, quoi, en quelque sorte …
Personnellement, ce qui me surprend le plus c’est qu’on arrive à gober cette énormité: 2 ans de période d’essai!!! C’est le comble de l’hypocrisie ce truc. Comment peuvent-ils encore appeler ça « période d’essai »? Euh… ils le peuvent, donc c’est plutôt le comble du cynisme. 2 ans!! J’en reviens pas qu’on puisse proposer des trucs comme ça. C’est même pas crédible tellement c’est énorme… on croit rêver.
Instabilité a perpèt : ça existe déjà. Je vous présente : les contractuels de la fonction publique… des contrats de 10 mois pour l’Education nationale, voire même 9 mois pour accoucher d’une belle inscription au chomage de 2à 3 mois aussitôt suivie par…un nouveau contrat de 10 mois…Et ca peut durer trés longtemps…trés longtemps…j’en connais qui y sont depuis 18 ans ! 18 ans de CDD d’un an sur le même poste dans le même service. c’est pas génial ça comme travail ?
Les salaires, pour la plupart, c’est le SMIC. Si on veut la titularisation, c’est les concours, des concours à raison de 2 postes pour 600 candidatsvoire plus.
Le gouvernement travaille à résorber la précarité dans la fonction publique. Comme c’est émouvant ce magnifique élan de compassion pour ces milliers d’agents administratifs, entre autres. Il est question d’un contrat de 5 ans…à l’essai….. Oui, oui, 5 ans d’essai ! Et la cerise sur le gâteau de l’humiliation, c’est qu’ à l’issue des 5 ans, l’Etat pourrait renouveller pour 5 autres années, au cas où l’agent n’aurait pas donné toutes satisfactions ! Et puis au bout des 10 ans d’essai, si l’agent n’est toujours pas satisfaisant, l’Etat peut le remercier : « au revoir, on va réfléchir, on vous rapellera…pas ! On va en prendre un autre, qu’on va essayer un peu pour voir s’il est mieux que vous…pendant 10 ans ! »
Personnellement , cela fait plus de 6 ans maintenant qu’on m’essaye dans la fonction publique, et si j’ai l’immense privilège d’être sous contrat au moment de cette fabuleuse mesure contre la précarité, je vais pouvoir aller brandir fièrement un contrat de 5 ans d’essai sous le nez de mon banquier pour le rassurer sur ma capacité à anticiper le remboursement de mes crédits en cours ! Ah mince, tristesse, désespoir : mon contrat de contractuelle à moi ne me range pas dans la bonne case des contratuelles qui pourraient hypothétiquement bénéficier de cette mesure généreuse.
C’est peut-être mieux, toute cette stabilité d’un coup, je nai pas l’habitude moi…
merçi de dire ce que vous avez dit, je viens d’apprendre que les caissières de « geant » ont des CDD à la semaine et qu’on les vire pour embaucher des étudiants pour les fêtes. « on » se regarde dans la glace et n’a pas honte.
A la poursuite des mots clés « oiseau sur la branche » je vous remercie de m’avoir raffraichi la mémoire.