Je ne crois pas qu’il existe quelque chose de plus stupide qu’une tondeuse à gazon. En dehors d’une piscine individuelle. Ou d’une voiture (encore que…). Le genre d’engin qui coute un bras à l’achat, qui ne sert à rien 99 % du temps, qui ne t’apporte aucun plaisir à l’usage et qui est prévu pour te pourrir la vie jusqu’à te claquer dans les pattes de la manière la plus contrariante possible.
Je suis du chiendent des villes. J’ai poussé dans une succession de clapiers modernes en leur temps, gris et violemment moches. J’ai connu ce ciel embastillé par les façades aveugles des ruelles borgnes, le passage des saisons qui se résume aux montagnes russes du mercure dans le thermomètre, les interminables trottoirs parfumés à l’urine aigre. Je viens de ce monde où l’espace est chiche et l’intimité un luxe, les couleurs synthétiques, criardes et délavées à la fois, les sons, juste un brouhaha informe et permanent, jusqu’au cœur des nuits d’été où meurt toujours dans le lointain le cri geignard d’une mobylette poussive, pourrissant à elle seule le sommeil agité de plusieurs dizaines de milliers de fourmis humaines.
J’ai cru gagner une forme de liberté lors de notre premier jardin, je n’y ai trouvé qu’un contrôle social encore plus implacable, celui de la hauteur de l’herbe.
Le peuple de l’herbe
C’est une sorte de concours complètement malsain qui se lance dès les premières belles journées de printemps irrémédiablement massacrées par le ronronnement tonitruant d’une foutue tondeuse à gazon. Vite, vite, dès potron-minet, il faut se jeter sur la machine, réveiller tout le quartier dans une seule et unique déclaration de guerre : « c’est moi qui l’aurai la plus courte ! ».
J’ai vraiment pensé que nous pourrions traiter ce concours de brindilles par le plus parfait mépris, mais non, bien sûr que non : tout le monde s’empresse de te faire comprendre que ton rêve de jardin de convient pas, n’est pas comme il faut
. Le carré militaire bien dégagé sur les côtés, voilà ton horizon d’exilé du béton, ta raison de vivre, ton nouveau sens de l’esthétique. Il faut que ce soit « bien propre », c’est à dire, bien domestiqué, désherbé, minéralisé : la chimiothérapie de l’herbe comme cancer rural en orange vif, le tout sous les applaudissements de la fanfare des tondeuses enragées.
Ah, mais quel ravissement que ces exclamations motorisées qui déchirent la campagne du matin au soir ! Et hop, un petit coup de tondeuse sur ton terrain pour bien te montrer la nouvelle norme à atteindre au plus vite, après la rosée, sous le cagnard, avant l’orage qui redonnera la patate à la croissance végétale, éternel hymne à la vie contre lequel se déchainent toutes les hystéries mécaniques.
Les esprits bornés se jaugent d’une coupe à l’autre, imposent leur vision étroite d’un monde toujours dominé par eux, partout, tout le temps.
À la limite, en partageant un engin de ratiboisage pour une trentaine de maisons, à la limite, on aurait pu comprendre. Mais non, chacun la sienne et c’est parti pour un concours de celui qui aura la plus grosse tondeuse, la plus bruyante, la plus goulue aussi. Pour une paire d’heures par semaine. Pendant 4 mois par an…
Les mécanistes forcenés ont gâché mon rêve de jardin, de cet espace contemplatif offert comme une ode à la vie, à la nature, au temps qui passe et ne se presse pas, ce havre de paix, loin de la fureur d’un monde toujours plus pressé, toujours plus performatif, compétitif, obsédé par son désir de tout contrôler.
Loin, en moi, il y a cette petite fille qui contemplait les taches de soleil jouer dans le figuier avant de doucher de lumière la patiente procession de fourmis entre les fruits pourris qui s’alcoolisent doucement au sol et un repaire dans la clôture qu’une broussaille informe défend de notre curiosité mal placée. Il y a l’immensité du ciel qui raconte notre insignifiance et notre voyage sans fin à travers l’incommensurabilité de l’espace et du temps. Il y a le froissement des insectes dans les herbes hautes, le frôlement de la chauve-souris qui chasse au crépuscule, le feulement des matous qui défient la nuit, la chorale des oiseaux qui salue un jour de plus sur la planète Terre.
Les Jardins d’Arcadie à Séte, organisent tous les matins entre 8 h. Et 9 h. une course de tondeuses à gazon dans mon couloir…
Des paris sont pris et les vainqueurs sodomisent les vaincus.
Je vis comme mes chats,
enfin à deux-trois exceptions près (glace ou vanille, gros sel et distillerie)
..sur le ventre, le dos, dans les arbres ou les prés,
je shabbat tous les jours !
Quand vient la « Décolonisation provinciale » ?
proclamait (clamait) le philosophe.. (poète ou prophète; j’y confonds tjs)
Miaoow,
La pelouse, c’est de la moquette hors de la maison, c’est l’extension au dehors de la déco intérieure. C’est moche, ça consomme de l’énergie, ça use les nerfs et les portemonnaies.
Si le jardin est petit, on y met des plantes envahissantes, vivaces ou arbustes, qui vont recouvrir la surface.
Si le jardin est grand, on plante des arbres suffisamment serrés pour que le soleil n’atteigne plus le sol. Quitte à couper les arbres surnuméraires quand ils en viennent à se gêner. (Ça s’appelle une coupe d’éclaircie.) Et on profite de l’ombre et de la fraîcheur quand le soleil cogne…
Bravo Agnès, pour la forme…
Tu nous ponds du Hugo, là. Ca chante tes descriptions, c’est superbement écrit.
Après, pour le contenu…
Des tondeuses, t’en as à main, sans moteur,électriques sur cousin d’air… Si t’as pas 3 hectares de terrain, c’est une heure dehors à te dépenser un peu, et t’es pas obligée de tout couper (au printemps, à l’époque de la poussée des pâquerettes, j’ai toujours vu mon père laisser des ronds de ces petites fleurs pour décorer le jardin, il ne se résignait jamais à tout tondre). Ma compagne, par exemple, aime passer la tondeuse, ça la détend.
Le souci, pour la mutualisation des tondeuses, c’est qu’avec nos boulots à la con, bah on passe tous la tondeuse aux mêmes heures, alors, les faire tourner d’un voisin à l’autre c’est pas si évident.
Pis aussi, chez moi, la tondeuse, c’est plutôt une fois par mois – mois et demie. Qu’est ce qu’on en a à faire du regard des péteux qui aiment l’herbe la plus rase possible. Moi, je l’aime grasse 😉 .
Bref, d’où te vient cette hargne de l’entretien du jardin?
Moi, jardinier, comme boulot ç’aurait pû me convenir, tant j’aime regarder pousser les plantes… De toute façon, la nature est plus forte que nous, c’est une illusion de croire qu’on la domestique, il faut admettre que c’est le contraire qui se passe.
Un texte écrit il y a quelques semaines pour le journal du quartier. Le vôtre est magnifique !
Certes il n’y a plus de saisons mais je ne m’attendais pas à être englouti par une avalanche en ouvrant la boîte aux lettres. Quand j’ai émergé, sur près de deux mètres d’épaisseur ce n’étaient que promesses de voluptés mercantiles m’enjoignant sur des tonnes de papier à consommer sans modération toutes sortes de choses d’utilité relative. En particulier, imprimée en rouge, pleine page, pétaradante : une tondeuse à gazon. Sachant ce que l’on sait, ne serait-il pas temps de faire des économies non seulement sur le prix de ce turbo-rasoir mais aussi sur l’abonnement de fitness, les prothèses auditives et la chirurgie cardiaque, en réutilisant la vieille tondeuse mécanique qui fait tchiip-tchiip-tchiip, développe des abdos d’enfer, stimule le chant de la sittelle torchepot et fait battre le coeur au rythme de la tranquille nature. Effet collatéral : vos voisins vous inviterons plus souvent à l’apéro. Ce qui ne sera pas le cas de John Deere, mon voisin, qui possède et utilise une armada de machines tonitruantes pour paufiner jour après jour en toutes saisons, un gazon désespérément vert et stupidement improductif que personne ne foule jamais.
A ce sujet, et pour éviter l’aliénation, lire le magazine « 4 saisons » de juillet-aout 2019 :
»
PELOUSE, LE CHAMP DES POSSIBLES
– Passez l’été au vert
– Les alternatives au gazon
– Une prairie dans son jardin
»
https://boutique.terrevivante.org/librairie/magazine/3883/459-numero-237-des-4-saisons.htm
Ça m’a rendu triste de vous lire.
D’abord le rappel de la vie de banlieue
des grands ensembles. La
J’avais l’impression que cette mentalité était en train de changer, tout doucement. Les communes ratiboisent moins tout tout le temps depuis qu’elles n’utilisent plus d’herbicides. On entend plus facilement dire qu’il faut laisser des espaces d’herbes sauvages faire tout leur cycle de développement, pour la biodiversité. Ou peut-être que je ne fais que croire à ce changement…
Personnellement, je tond mécaniquement les endroits où je vais souvent (les allées, le fil à linge), et fauche le reste deux fois par an. Mais invariablement, à chaque visiteur, la même petite remarque : « tu voulais un grand jardin, mais c’est plus dur que prévu à entretenir… ». Et moi, je le trouve beau et bien entretenu, pourtant, mon jardin-verger-prairie. Au moins, on se laisse mutuellement vivre…
j’habite un patelin citadin (Agnès connait; Ambilly) où deux ou trois par an on vient me reprocher (pas la mairie, qql papy du coin) que les branches de mon saule (ma propriété est plus petite qu’un ‘tennis’) débordent sur le trottoir, donc gênent.
Je répondais, après qql coupe courtoise, ..que je les préférais (point de vue n’est-ce pas) aux canettes de bières, mégots, tickets de Pmu (gnâgnâ) jonchant la chaussée.
Je recommence;
Avant! je satisfaisais tout le monde (même moi)
ainsi nettoyais, coupais et me penchais,
dorénavant je ne touche plus à rien. A rien. Pas envie.
/que fait la police..
Merci beaucoup Agnès, encore une fois, parce que c’est un vrai plaisir à lire, ce texte.
Il y a ton style, merveilleux, mais aussi ce qu’il permet, soit dézinguer cette odieuse manie que tu as bien raison de relier au délire de contrôle et de toute-puissance.
J’ai à-peu-près conceptualisé cet élan stupide de tout raser au détriment des insectes et compagnie – juste pour le « plaisir » des yeux mal dégrossis – comme « le prope ».
Oui, le « prope » parce que dans mon coin, à l’ouest de la France, dans mon canton rural, on dit « prope ».
Qu’est-ce que le « prope » ?
C’est simple : c’est quand il n’y a pas d’herbes qui poussent comme on veut pas, c’est quand d’autres formes de vie, végétales et animales, s’installent là où on veut pas parce que merde, quand elles sont installées, « c’est pas prope ».
C’est de fait, et fondamentalement, une pulsion mortifère, de destruction, d’auto-destruction, qui provoque une jouissance satisfaite chez ceux et celles qu’elle possède.
Et ainsi, tous ces jardins moches où, en effet, la tondeuse passe toutes les semaines dans des endroits où personne ne va jamais marcher – si c’est pas fait, « c’est pas prope ».
Et ainsi ces bordures, ces limites de propriété, ces haies, où l’irruption de la moindre plante sauvage – voire même d’une pauvre épine noire – provoque un étranglement rageur qui ne se calme qu’après l’heure de débroussailleuse, ou la pose d’un plastique de merde, ou la plantation de cultivars pourris et affreux qui ne servent à rien ni à personne – typiquement, le forsythia, odieux buisson que je haïe farouchement, et proportionnellement à son invasion, et qui n’est visité par aucun insecte.
Sans ça, sans ces interventions motorisées, « c’est pas prope ».
Et alors, le mieux, c’est quand c’est fait. Quelle soulagement peut-on ressentir, chez les possédé.e.s de cette sorte, quand dans un souffle, béat.e.s d’admiration devant le jardicule d’un forcené du prope, entre la cabane au bois traité, le barbecue à l’américaine, le trampoline de 20 mètres carré, les haies typiques Jardiland taillées au cordeau, il s’avère manifestement que tout est sous contrôle et conforme aux prescriptions photographiques des prescripteurs pubards du beau jardicule, on les entends sourire : « aaah, c’est prope ! ».
Tu oublies le petit coup de RoundUp, pour que tout reste bien propre…
On peut considérer que cette appropriation morbide de son environnement par la destruction des « nuisibles » de toute sorte et de toute espèce, relève du phénomène de conquête qui caractérise notre société mortifère.
Voir le film « Z », au début, à propos du mildiou vu par un colonel lors d’un coloque des armées et de la police… 😉
Nous avons un jardin depuis peu. Jardin qui a prospéré librement depuis les précédents propriétaires ont dû aller vivre avec d’autres vieux…
On nous a déjà « offert » une débroussailleuse, proposé de recouvrir d’une bâche le tout, puis de cimenter tout ça.
Nous ferons plutôt l’inventaire botanique de ces quelques m2, faire un peu de place pour un petit potager et des petits fruits, pour nous faire plaisir et à notre entourage. C’est tout.
Bon inventaire 🙂
Lors de l’intervention de la jeunesse auprès des députés, Greta demandait :
« Nous, nous ne sommes que des enfants, notre parole n’est pas écoutée alors que c’est nous qui sommes les plus concernés.
Vous tous, là, connaissez-vous les chiffres du bilan carbone de notre civilisation indiqué par les scientifiques du GIEC et les prévisions qu’ils en tirent.
Il y a 42 gigatonne de carbone rejeté par ans.
…
Connaissez-vous le point critique de rejet de carbone que les scientifiques ont calculé, au-delà duquel il n’y a plus de solution envisageable contre la dérugalisation chaotique du climat sur cette planète ?
C’est 420 gigatonne. »
Je reprends les chiffres :
42 gigatonne de rejet carboné par an.
Il y a encore 420 gigatonne de rejet carboné dans l’air aude-là duquel il n’y aura plus de véritable solution au dérèglement climatique que nous subirons.
Donc, 42 multiplié par 10. À ce rythme qui aujourd’hui est encore inéluctable, nous avons encore 10 ans à dégager du CO2 puis la planète et tous nous subirons des catastrophes climatiques avec des conséquences qui ne sont plus envisageables modérément…
À la sortie de la rencontre, des députés élus sont questionnés :
« Pouvez-vous nous dire les 2 chiffres qui ont été énoncés concernant le rejet de carbone ?
Ben euuuuh… Je les ai pas noté… mais en fait c’est tout un mécanisme qui… etc…
Plusieurs répondent ainsi, sauf un. Le matheu de l’équipe macronniste, ce qui est le moins pour un scientifique doctorant en math. »
Greta demandait alors que ces chiffres scientifiques soient répandus auprès des populations par toutes les bonnes volontés afin que nul ne se dise :
« On verra plus tard… »
« Je ne savais pas. »
…
Comme le demande Greta, ici au moins nous les connaissons et pouvons relayer l’information partout et en toute occasion afin que la survie des enfants de la génération de Greta et celles de leurs enfants puisse encore être envisageable et/ou qu’elle leur soit la moins cruelle possible.
Bonjour chez nous ! 😀
ello…
je commence par citer… « Et hop, un petit coup de tondeuse sur ton terrain pour bien te montrer la nouvelle norme à atteindre au plus vite, après la rosée, sous le cagnard, avant l’orage qui redonnera la patate à la croissance végétale, éternel hymne à la vie contre lequel se déchainent toutes les hystéries mécaniques.
Les esprits bornés se jaugent d’une coupe à l’autre, imposent leur vision étroite d’un monde toujours dominé par eux, partout, tout le temps. »
ben,si, parce que, comme très justement, l’article est référencé par le mot clé « domination », ben c’est pas de l’hystérie qui y est décrite… wouai, je fais un peu le chieur, mais j’pense quand même que c’est important. justement parce qu’après on parle d’esprit borné, de coupe à l’autre… qui me renvoient à cet état de non-esprit de « crânes rasés et gueules de guerriers »…
ce que vous décrivez là est cette course au toujours plus de plus value, à la toute puissance, à la jouissance… en fait, pas simplement capitalisme intégré par les prolétaires, c’est à dire ceux dépossédés de tout savoir-faire par le remplacement par la machine… mais de cette psychose que Lacan annonçait…
finbref, la connerie, que je définirais comme l’état d’esprit de répétition de forme (donc tout d’Imaginaire), de rigidité d’application d’attribution de sens à des formalismes (donc tout d’un Symbolique défectueux, voire, minimalisé, voire, ? absent) d’appauvrissement réductioniste de référenciation (bref… d’inculture aurait-on dit… sauf qu’ils sont capables de réciter un fatras de botins iso-qualité souvent…) est devenue la procédure de valorisation sociale : qui s’exprime entre autre par la pratique de la tondeuse à gazon comme à chevelure… ils ne crient plus aucun autre désir que celui d’être la forme totalitairement contrôlable par soi-l’autre-identique… ils sont la loi du surmoi-jouisseur…
alors, pour ceux qui regardent encore la vie comme lumières entre les feuilles… euh… on fait quoi dans un « voisinage » comme ça ?
Il te faut un mouton ! À prêter à tes voisins à tour de rôle pour des pelouses tordues écologiquement !
« Il te faut un mouton ! À prêter à tes voisins à tour de rôle pour des pelouses tordues écologiquement ! »
mais non, laisser une friche devant chez soi est aussi satisfaisant que de tondre.
Déjà, c’est un refuge aux insectes, un lieu de visite des animaux, etc… Tu peux comptabiliser les espèces et tu y vois bien plus d’évènements. Tu peux aussi y contribuer en ajoutant deci-delà quelques plants sauvages issus d’une promenade par exemple.
il y a aussi des sachets de fleurs sauvages disponibles à la vente, dont tu peux parsemer le sol de ta friche, et pourquoi pas des plantes aromatiques aussi ?