Sélectionner une page

Cerises

Cette année, les cerisiers n’ont pas donné.


C’est une de ces petites phrases banales qui creusent en moi un sentiment de perte incommensurable. Ce genre de choses que l’on dit sans y penser, pour ponctuer une marche ou ne pas avoir l’air trop ballot pendant une conversation en mal d’inspiration.
C’est bien vrai, ça : il n’y a pas eu de cerises cette année.

L’année dernière, c’était une tout autre affaire. Rien que de l’arbre du jardin, nous avions sorti trois pleins paniers de petites billes rouge vif. Pas aussi bonnes que celles du voisin. Lui, c’est un de ces papets à l’œil qui frise qui te rappelle toujours au détour d’une salutation sur le bord du chemin qu’en un autre temps, il était un autre homme. Je ne suis vraiment pas certaine qu’il a été ce coureur de jupons qu’il aime à dépeindre à grands traits gourmands, histoire de faire oublier sa trogne ravagée par l’érosion des années et ce corps rétif qui n’avance plus que sous la contrainte d’une formidable volonté. Lui, c’est la vague italienne. Ils sont presque tous arrivés du même bled, dans le coin. Saisonniers, garçons de ferme, hommes à tout faire, du temps où il fallait garnir de bras et de dos courbés la campagne pour qu’elle veuille bien donner assez. Il a bossé dur, comme un chien. Il a avalé les couleuvres de la châtelaine, m’a-t-il confié un jour où il était particulièrement loquace. Je ne sais pas trop ce qu’elle lui a fait, celle-là, mais ça fleure bon la vieille lutte des classes des familles. Peut-être était-il beau gars, après tout.

C’était la génération d’avant celle d’avant, les durs à la peine, ceux qui se sont voués au labeur et à l’économie. Il a trimé et il a investi le fruit de son travail dans cette terre avide qu’il a abreuvé de sa sueur. Lopin après lopin. Et cette longue rangée de cerisiers majestueux qui borde cette petite route tranquille qui mène chez moi, c’est lui qui l’a plantée, avec sa femme. Et ils se sont mis à donner tant et plus qu’il a invité tous les gens du coin à venir se servir. Et même en nous y mettant tous, il est resté largement de quoi nourrir les nombreux oiseaux qui se cachent dans le petit bosquet près de l’étang, là-bas, en bas.

Prenez, prenez, vous devez venir en prendre encore plus, avec la petite.
Et moi j’avais un peu de remords à venir ainsi remplir mes poches des fruits de son travail.
Jusqu’à cette année et le grand froid qui a figé dans son étreinte implacable les fleurs de tous les fruitiers du coin. Du coup, il n’y a rien eu quand l’été est enfin arrivé. Pas de commandos-panier, pas d’acrobaties hasardeuses dans les branches, pas de retour au sol un peu lourd qui m’a rappelé que je n’avais plus l’agilité de petit singe de mes 13 ans, quand je surveillais l’arrivée des beaux jours juchée dans une autre allée de cerisiers, ailleurs, dans un autre temps, un autre monde, aussi.

Cette année, les cerisiers n’ont pas donné et c’est un peu comme si je ne mangerai plus jamais de cerises.

Le temps des c(e)rises 1

Powered by ScribeFire.

15 Commentaires

  1. Pour le coup, c’est un truc à déprimer, à finir avec une fraise (cerise?) à la place du nez.

    Réponse
  2. Pour le coup, c’est un truc à déprimer, à finir avec une fraise (cerise?) à la place du nez.

    Réponse
  3. Les vieux rêves ne meurent jamais : ils prennent juste un goût amer avec le temps.

    "J’aimerai toujours le temps des cerises
    C’est de ce temps-là que je garde au cœur
    Une plaie ouverte.
    Et Dame Fortune, en m’étant offerte
    Ne pourra jamais fermer ma douleur.
    J’aimerai toujours le temps des cerises
    Et le souvenir que je garde au cœur."

    Réponse
  4. Les vieux rêves ne meurent jamais : ils prennent juste un goût amer avec le temps.

    "J’aimerai toujours le temps des cerises
    C’est de ce temps-là que je garde au cœur
    Une plaie ouverte.
    Et Dame Fortune, en m’étant offerte
    Ne pourra jamais fermer ma douleur.
    J’aimerai toujours le temps des cerises
    Et le souvenir que je garde au cœur."

    Réponse
  5. Drôle d’année… Aujourd’hui, 5 juillet, à peine 15° au petit matin, ciel gris, atmosphère humide. Mes courgettes végètent (les fleurs mâles et femelles n’ont pas poussé en même temps, et les abeilles de plus en plus rares n’ont pu les polliniser), les tomates sont minuscules… J’aurai plus tard, peut-être, quelques mirabelles. Le prunier de la voisine, qui a failli mourir déraciné l’an dernier, croule sous les fruits. Il paraît qu’avant de mourir, les arbres ont aussi leur chant du cygne. Même la vigne fait la gueule. Beaucoup de feuilles, mais pas de fruits.

    Ici, les paysans ont des champs de plus en plus grands, trois ou quatre tracteurs à 50 000 euros par famille, les dettes au Crédit Agricole, les engrais qu’il faut épandre, les traitements de plus en plus nombreux et violents. Et chers. Et ils sont seuls sur leurs parcelles, le casque sur les oreilles et la clim à fond, jusqu’à minuit, parfois, pour moissonner.

    Et malgré tout, ils ne s’en sortent pas. Les coopératives censées les protéger vendent le lait à bas prix à la maison Carrefour. Les viticulteurs arrachent la vigne de coteau, ancestrale, pour toucher la subvention…

    La terre doit en avoir marre de donner, à nous tous qui lui en sommes si peu reconnaissants.

    Réponse
  6. Drôle d’année… Aujourd’hui, 5 juillet, à peine 15° au petit matin, ciel gris, atmosphère humide. Mes courgettes végètent (les fleurs mâles et femelles n’ont pas poussé en même temps, et les abeilles de plus en plus rares n’ont pu les polliniser), les tomates sont minuscules… J’aurai plus tard, peut-être, quelques mirabelles. Le prunier de la voisine, qui a failli mourir déraciné l’an dernier, croule sous les fruits. Il paraît qu’avant de mourir, les arbres ont aussi leur chant du cygne. Même la vigne fait la gueule. Beaucoup de feuilles, mais pas de fruits.

    Ici, les paysans ont des champs de plus en plus grands, trois ou quatre tracteurs à 50 000 euros par famille, les dettes au Crédit Agricole, les engrais qu’il faut épandre, les traitements de plus en plus nombreux et violents. Et chers. Et ils sont seuls sur leurs parcelles, le casque sur les oreilles et la clim à fond, jusqu’à minuit, parfois, pour moissonner.

    Et malgré tout, ils ne s’en sortent pas. Les coopératives censées les protéger vendent le lait à bas prix à la maison Carrefour. Les viticulteurs arrachent la vigne de coteau, ancestrale, pour toucher la subvention…

    La terre doit en avoir marre de donner, à nous tous qui lui en sommes si peu reconnaissants.

    Réponse
  7. Ah mais non, c’est pas grave. Enfin, bien sur, pour l’agriculteur qui perd un récolte, c’est grave. Mais pour moi, égoïstement, c’est seulement une marque du temps; le gel des oliviers en 56, l’année sans cerise (tu sais, celle du mariage du cousin de Gallargues), l’année des asperges (souviens toi, on s’en était mis jusque là), et aussi l’année à cerises, quand la petite avait trois ans et que le voisin avait été si généreux.

    Nous aussi, on a des années où on est plus ou moins "généreux", plus ou moins disponibles. Mais toujours aussi intéressants.

    Réponse
  8. Ah mais non, c’est pas grave. Enfin, bien sur, pour l’agriculteur qui perd un récolte, c’est grave. Mais pour moi, égoïstement, c’est seulement une marque du temps; le gel des oliviers en 56, l’année sans cerise (tu sais, celle du mariage du cousin de Gallargues), l’année des asperges (souviens toi, on s’en était mis jusque là), et aussi l’année à cerises, quand la petite avait trois ans et que le voisin avait été si généreux.

    Nous aussi, on a des années où on est plus ou moins "généreux", plus ou moins disponibles. Mais toujours aussi intéressants.

    Réponse
  9. Hummm, du vin de noix, mais en voilà une idée qu’elle est bonne!

    Notre noyer n’a pas l’air en forme non plus et pour le figuier, pas sûr qu’il nous bombarde les voitures comme l’année dernière.

    Réponse
  10. Hummm, du vin de noix, mais en voilà une idée qu’elle est bonne!

    Notre noyer n’a pas l’air en forme non plus et pour le figuier, pas sûr qu’il nous bombarde les voitures comme l’année dernière.

    Réponse
  11. J. sa compagne m’avait dit que leurs cerisiers avaient fleuris trois fois l’an dernier. J’en avais ramassé pas mal il y a deux ans pour faire des confitures…
    Les noix non plus ne sont pas géniales. Grêle l’année dernière et gèle cette année… mais j’ai fait quand même du vin de noix hier. Je te ferai goûter celui de l’année passée.

    Réponse
  12. J. sa compagne m’avait dit que leurs cerisiers avaient fleuris trois fois l’an dernier. J’en avais ramassé pas mal il y a deux ans pour faire des confitures…
    Les noix non plus ne sont pas géniales. Grêle l’année dernière et gèle cette année… mais j’ai fait quand même du vin de noix hier. Je te ferai goûter celui de l’année passée.

    Réponse
  13. Ouais, foutu hiver. Pas de cerises cette année, le figuier a perdu la plupart de ses branches (une figue nargue le destin, je la surveille jalousement) mon romarin est déplumé, mon laurier est piteux, même l’althéa n’a gardé qu’une grosse branche sur cinq. Et alors? La vie continue.

    Pour les noix, j’ai la chance d’avoir deux noyers dont la floraison est décalée: c’est bien rare qu’au moins un des deux n’échappe pas aux intempéries.

    On a eu des fraises en avalanche, malgré les merles qui n’ont jamais été aussi nombreux. Par contre, les framboises et les groseilles disparaissent avant de mûrir, le merle moqueur de la chanson ne me fait pas rire.

    Mais l’un dans l’autre, hein… seulement, c’est vrai, maintenant que j’y pense, je sens bien le morceau de vide qui persiste d’une saison sans cerises.

    Réponse
  14. Ouais, foutu hiver. Pas de cerises cette année, le figuier a perdu la plupart de ses branches (une figue nargue le destin, je la surveille jalousement) mon romarin est déplumé, mon laurier est piteux, même l’althéa n’a gardé qu’une grosse branche sur cinq. Et alors? La vie continue.

    Pour les noix, j’ai la chance d’avoir deux noyers dont la floraison est décalée: c’est bien rare qu’au moins un des deux n’échappe pas aux intempéries.

    On a eu des fraises en avalanche, malgré les merles qui n’ont jamais été aussi nombreux. Par contre, les framboises et les groseilles disparaissent avant de mûrir, le merle moqueur de la chanson ne me fait pas rire.

    Mais l’un dans l’autre, hein… seulement, c’est vrai, maintenant que j’y pense, je sens bien le morceau de vide qui persiste d’une saison sans cerises.

    Réponse
  15. Pas de bol la France, les pesticides à gogo et ambiance morose peut être…

    J’ai passé une semaine dans le Bade-Wurtemberg pour suivre une formation d’ostéopathie, une des plus belles régions d’Allemagne, et là c’est des cerises partout en grande quantité, bien rouges et juteuses comme il faut.

    Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Merci de votre soutien

Soutenir Le Monolecte, concrètement!

Mon dernier livre

Comprendre l'antisémitisme
Version papier : 13€HT

Crédit photo couverture : ©Beth Jusino

Version numérique

Livre numérique Comprendre l'antisémitisme
Agnès Maillard
Le Monolecte
6,49 €

Commentaires récents

Mes réseaux sociaux

  • Mastodon
  • Seenthis
  • BlueSky
  • Sens Critique
  • Diaspora
  • Flickr
  • Instagram
  • LinkedIn
  • Page Facebook
  • Profil Facebook

Catégories

Archives

juillet 2012
L M M J V S D
 1
2345678
9101112131415
16171819202122
23242526272829
3031