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Où l’on découvre, entre autres, que la démocratie et la révolution numériques, c’est peut-être beaucoup plus que 36 gus dans un hémicycle…


La BohaMême pas encore votée, la loi Hadopi attire déjà son gang de requins, preuve, s’il en était besoin, de l’indigence du texte et de ses principes :

Votre PC contient des logiciels pirates

Ça, c’est l’objet d’un mail franchement non sollicité qui a miraculeusement échappé au tri féroce de plusieurs couches d’antispam (d’ailleurs, je m’excuse par extension auprès de tous mes amis et contacts auxquels je n’ai pas répondu depuis des années pour cause de non-réception de courriel poubellisé par mes agents régulateurs à l’insu de mon plein gré !).
Tout de suite, j’ai eu envie de renvoyer le fâcheux dans les cordes : sache, petit bonhomme discourtois, que tu accuses sans preuve et sans fondement une honorable personne qui utilise exclusivement des logiciels libres sous Linux, ce qui, de facto, me disqualifie définitivement en tant que pirate putatif des hauts-fonds des cyberocéans… Mais il fallait lire la suite du pensum pour en savourer toute la puissance :

Bonjour,

Vous avez visite un site officiel et un scan de votre ordinateur a ete effectue.

Resultat : Vous avez ou ou plusieurs dont vous n’avez pas la licence legale. Vous devez remedier a la situation dans les 24 heures sous peine de poursuites.

Vous pouvez acheter la licence sur le site officiel du vendeur ou passer par notre distributeur agree http://jeneteferaispastapub-grossetache.com qui vous offrent jusqu’a 80% de remise.

La moindre des choses, quand on produit du spam crapuleux comme d’autres du gros rouge qui tache, c’est d’avoir un minimum de cohérence. Par exemple, en évitant de faire une faute par mot, en ajoutant un entête qui se la joue gravement officiel et en utilisant une adresse d’expéditeur qui ne sent pas les fonds de poubelle du net. Et puis, surtout, il faut avoir l’air un minimum vraisemblable. Peut-être qu’un newbie windowsien pourra être quelque peu impressionné par cette diatribe désaccentuée, autant son homologue linuxien se tape violemment sur les cuisses en brayant de rires à l’évocation d’un scan de son système (premier feulement) qui déniche des… ha ben tient, notre spammeur en a oublié un mot dans l’émoi de la forfaiture… trucs sans licence légale (deuxième gloussement éructant) dans un système libre. C’est tellement poétique comme morceau de bravoure que je me dis que je devrais en faire un argument de plus pour vanter tous les bénéfices que l’on peut tirer du passage de son PC chéri sous GNU/Linux.

Les spammeurs sont toujours avant-gardistes, à l’instar du Point ou du Film français qui ont tendance à prendre leurs désirs pour la réalité. Il y a donc fort à parier que dès qu’Hadopi nous aura été implanté dans le fondement à la faveur d’un multirevoting aux forceps, les éditeurs de logiciels se dépêcheront eux aussi de lâcher les chiens du soupçon et de la peur du gendarme pour aller arracher jusqu’au fond des chiottes des utilisateurs crédules et paniqués quelques centaines d’euros de profit en plus. Mais ils sont tout de même moins vifs que les utilisateurs, ce merveilleux petit peuple toujours en marche dont les habitudes et les usages sont comme les longs méandres du delta d’un fleuve côtier, fluides et paresseux, ondulants comme de longs serpents indolents à travers les embuches, à la recherche inconsciente du chemin tortueux de la moindre résistance.
Autrement dit, pendant que nos députés et lobbyistes mous du genou et moisis du cerveau dépensent beaucoup de temps et d’énergie pour tenter de fliquer implacablement tout le Net sous prétexte que nous ne sommes qu’un ramassis de bandits sans foi ni loi, les modalités d’échange de fichiers se sont tout naturellement adaptées à la nouvelle donne.

Alors que la bataille anti-Hadopi bat son plein sur la blogobulle, la société du partage a investi d’autres sphères. Je m’en suis rendu compte, assez récemment, à la fin d’une réunion de travail. Il me fallait rassembler quelques fichiers provenant des différents intervenants pour commencer le montage d’une maquette, quand l’une de mes interlocutrices me lança :

  • Tiens, j’ai justement la photo qu’il te faut sur moi !
  • C’est bien, mais il faudrait la scanner et là, on n’a rien.
  • Non, non, j’ai le fichier, là, dans ma clé USB !

Stupeur et ravissement ! Il se trouve qu’étrangement, je ne me déplace plus sans ma clé de 16 Go qui contient en général mon CV, les dossiers en cours, quelques billets esquissés en squattant la bécane d’autrui ou les photos du petit dernier d’un ami que je compte implanter sur un de ses ordinateurs à la faveur d’une visite-surprise, tant mon upload de poussin ne m’autorise pas de grandes fantaisies en terme d’échange de fichiers en ligne. J’ai aussi une carte SD de 4 Go, fichée dans un autoradio garanti sans pièces en mouvement, et sur laquelle je stocke et écoute la musique du moment. Sans compter les 2 Go de la carte SD de mon appareil photo, que je traîne partout ou les 100 Go de mon disque dur multimédia de poche, avec ses dizaines de milliers de photos, des enregistrements audios pris sur le vif, ses documentaires récupérés en ligne à visionner dans la salle d’attente du toubib en lieu et place de la lecture du Voici de la semaine.
Bref, en bonne petite geek des cambrousses, je ne me déplace plus sans ma maison numérique sur le dos. Ne sait-on jamais ?
D’ailleurs, ce week-end, l’ami Pierre, sa femme et ses trois enfants sont venus manger à la maison. Ils ont amené le dessert, le sac à langer pour le petit dernier, le MacBook qui tourne sous la version bêta d’Ubuntu 9.04 et le Western Digital d’un terraoctet sur lequel il stocke les films qu’il a enregistré avec son scope numérique, plus ceux qu’il a récupéré chez l’ami Bertrand le week-end d’avant, sans compter les albums numérisés de l’amie Cathy, soit plus de 3 ans de visionnage quotidien pour un cinéphile standard. Il est reparti avec notre sélection personnelle de films asiatiques de genre en VOST qui feront sûrement le bonheur de l’ami Éric au boulot cette semaine, lequel a une collection de films d’horreur qui n’a rien à envier à celle de films de cul du vieux Manu… La fois d’avant, j’étais allée chez Pierre avec un livre à lui abandonner. Eh oui ! On ne se refait pas…
Le partage culturel, c’est tout de même nettement plus convivial en mode potes to potes autour d’une bonne garbure gasconne, non ?

Bizarrement, c’est plus l’échange de photo à la fin de la réunion de travail que la valse des disques durs et des mémoires flash entre amis qui m’a fait prendre conscience de l’ampleur du  phénomène. Que les geeks se trimballent avec leur mémoire numérique au fond du sac, c’est assez logique et peu étonnant. Mais que des utilisateurs lambdas, pas forcément très férus d’informatique, aient le réflexe de transporter leurs fichiers sur une clé USB qui a naturellement trouvé sa place entre le poudrier et le paquet de Kleenex, ça, c’est la nouvelle révolution numérique en marche !

Des contenus gigantesques qui dorment au fond de la poche et qui s’échangent en deux clics sur n’importe quelle bécane et des gens qui préfèrent se faire une bonne popote que s’envoyer des mails pour garder le lien : comme d’habitude, la loi (ou ce qui tente d’en tenir lieu), avant même d’être votée, est déjà rendue obsolète par la réalité sociale des pratiques sur le terrain…

Potes to potes 1

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13 Commentaires

  1. On n’est pas loin de l’aliénation avec toute cette technologie.

    Je ne sais pas si dans les périodes de loisir ça permet le partage culturel, parce qu’on met tout sous cette expression…

    Par contre, cela renforce le contrôle "social" notamment sur les salariés. Une sorte de laisse, de fil à la patte…

    La vraie liberté, c’est peut-être quand on choisit de laisser de côté tout ces trucs de geek.

    Réponse
  2. La technologie n’est rien, c’est le flux qui compte. Quand j’ai eu mon walkman dans les années 80, mes copains de classe me passaient des K7 de compilation de musique tirée de leur K7thèque personnelle. Certains titres étaient achetés, d’autres échangés. CD, DVD, les supports ont changé, mais les pratiques sont restées les mêmes. Globalement, je ne pense pas qu’on s’échange plus de films, de musique ou de livres qu’avant, ne serait-ce que pour une simple et bonne raison : le temps que l’on peut consacrer aux pratiques culturelles n’est absolument pas extensible.

    Je ne pense pas que la production culturelle est gratuite : nous achetons toujours les bons films, les bonnes musiques, les bons livres (selon nos goûts et nos moyens). Nous allons regarder un film échangé et nous dire : bonne cam’, celui-là, on va l’acheter pour la DVDthèque ou Putain, la bouse, heureusement que nous n’avons pas collé un kopeck là-dedans ou encore Ouep, ça aurait facilement supporté qu’on attende une diffusion hypothétique sur TF1.

    Le rapport qualité/prix est plutôt éludé, en ce moment, sur les débats autour des pratiques culturelles. De la même manière qu’on fait comme si la culture n’était pas d’abord une économie de l’échange : machin achète le bouzin, en parle à truc, le voit avec bidule, le prête à trucmuche. C’est ainsi que la culture circule.
    Hadopi revient à dire : il va falloir que tu poses une caméra sur ta tête pour vérifier que personne ne lit par-dessus ton épaule le bouquin que tu as acheté pour une lecture unique.

    Ridicule, non?
    Et pourtant, c’est exactement ce que l’on cherche à nous imposer.

    Réponse
  3. ce qui est le plus marrant par les temps qui sont, c’est l’adaptation de toutes les resistances instinctives à la fascisation rampante (de moins en moins) du pouvoir .les friqueux sont à l’affut du moindre centime à recuperer sur le dos de tous les pequeux (d’Arleux ou d’ailleurs)et Badinguet qui ne peux rien leur refuser adapte les desirs de ses amis pour en faire des lois.Les geeks( mais pas que) devance naturellement les nouvelles futures lois car c’est l’etat d’esprit qui evolue naturellement vers une amelioration et une rapidite des echanges sans entraves. C’est une notion qui n’est pas implantee dans le cerveau des badinguet’s brothers, ils auront donc quasi tj une longueur de retard.

    Réponse
  4. Tu parles de spam… mais, si tu as un nom de domaine (sur Internet), ça a déjà dû t’arriver : ça peut aller jusqu’au courrier "papier" !

    Un concurrent qui se fait passer pour ton fournisseur, et qui à la faveur de l’approche de la date du renouvellement de nom de domaine, te fais croire que c’est à lui qu’il faut payer… Si le comptable n’est pas aussi le technicien, il y a de très fortes chances de se faire avoir en beauté !

    Réponse
  5. euh … parfois j’ai comme un doute …
    et si le mythe de la gratuité wébistico-technologique n’était qu’un gigantestque foutage de fiole … et si la disparition apparente du cout n’avait eu pour seul objectif/résultat que la disparition du beau , noyé dans la masse du médiocre à de l’exécrable ???
    combien de ces "photos" gardées auraient été même tirées s’il avait fallu payer les 15 cts du tirage papier ?
    combien des ces heures de séries Z’ aurait on enregistré sur des K7 à 20 balles …
    combien des 25 000 morceaux contenus dans un balladeurMP3kivabien aurait on pris la peine d’enregistrer sur la superK7 audio qui coutait la peau des 2 fesses ?
    des contenus gigantesques , oui, mais quels abimes de non réfléchi, d’accumulation sans plaisir … de médiocrité , aussi peut être …

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  6. Des films sur la guerre à Gazza ?

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  7. Évidemment que l’objectif réel d’Hadopin est le contrôle de tous les cannaux de diffusion de l’information… et évidemment que, là aussi, c’est voué à l’échec! Je pense justement que la démocratie réinvestit massivement les circuits oubliés de débat et de diffusion de l’information, que la citoyenneté, au-delà de la convergence idéologique qu’a permis le Net, recommence à se faire avec les pieds.

    D’ailleurs, je commence à suivre les pistes pour sortir du bois à mon tour… 😉

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  8. Mmmh… On voudrait nous faire croire qu’Hadopi, c’est pour ça… Mais c’est flagrant que c’est pour : primo, avoir la possibilité de "couper Iinternet" (comme on interdirait le courrier ou le téléphone à quelqu’un), et secundo, avoir la possibilité de "filtrer Internet" (soit connaître les lectures de chacun, soit censurer… ou les deux).

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  9. Prochaine étape, ces disques seront équipés de liaisons sans-fil à très haut débit, on choisira ce qu’on veut partager, et le temps d’un trajet dans les transports en commun on échangera avec ses voisins. Echanges digitaux qui pourront, pourquoi pas, déboucher sur des échanges verbaux. Les premiers appareils de ce type commencent à apparaître, la loi pour imposer que chacun se promène équipé d’un espion pour être blanchi de l’accusation d’échanges verra le jour dans quelques mois…

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  10. Ça va rendre le hacking et l’espoinnage totalement fun : un serrage de pinces et tu te fais dupliquer tes données! 😉

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  11. terraoctet: excellent clin d’oeil aux techniques et au terroir.

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  12. Il y en a des qui téléchargent autant de trucs qu’ils peuvent (en fonction de leur capacité de stockage) mais qu’ils n’auront jamais le temps matériel de visionner ou écouter : pirater un truc qu’on ne verra ou écoutera jamais parce qu’on a pas le temps, est-ce encore pirater ? Qui est lésé finalement ?
    Car à part alimenter les statistiques de ceux qui nous rabâchent qu’on serait les champions du monde de l’exercice, je vois pas le préjudice.

    Les échanges, les vrais, ce font comme tu le dis, Agnes, sur des trucs qu’on aime et qu’on paie ou qu’on est prêt à payer : et ça quel qu’en soit le support ou l’outil utilisé…

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  13. "Évidemment que l’objectif réel d’Hadopin est le contrôle de tous les canaux de diffusion de l’information…"

    Je suis peut-être un grand naïf, mais j’en doute fort. Quand on a un projet de cet acabit, on le peaufine un minimum, ne serait-ce que pour préparer le coup suivant qui consiste à tirer avantages des mécanismes de contrôle.

    Là, je ne sais pas pourquoi, je sens au contraire un grand flou dans la maîtrise des concepts. Comme un truc conçu purement pour répondre aux desiderata de quelqu’un d’autre (l’industrie du disque, au hasard) sans qu’on se sente soi-même concerné par le bignou…

    Réponse

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