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Tsunami majeur pour coeurs secs

Par Agnès Maillard
27 décembre 2004

Le lendemain de Noël, un très fort séisme au large de Sumatra déclenche une série de raz-de-marée meurtriers en Asie.
Il s’agit d’une catastrophe majeure dont le traitement médiatique laisse songeur ou rageur…

Tout commence probablement la veille de Noël où l’information est plutôt discrète: la terre a très fortement tremblé en Tasmanie, avec une magnitude de 8,2. Bien sûr, ce séisme violent n’a pas fait de victime, mais annonce des épisodes géologiques musclés dans la région, comme la tectonique des plaques nous l’enseigne.

Carte des plaques lithosphériques

Le 26 décembre au matin, c’est donc au large de Sumatra qu’un terrible séisme de 9 degrés sur l’échelle ouverte de Richter secoue les fonds marins.
Les conséquences ne se font pas attendre, et un tsunami déferle sur les côtes asiatiques, tuant des dizaines de milliers de personnes.

Catastrophe humanitaire et maltraitement journalistique

Les catastrophes de cette ampleur sont heureusement fort rares, mais celle-ci s’étend sur des milliers de kilomètres, a dévasté les zones côtières de plusieurs pays d’Asie. Alors, comme beaucoup d’entre vous, hier soir, j’ai voulu en savoir plus et me suis branchée sur le journal du soir du France 2, dérogeant à mes habitudes.
C’est sûrement parce que je suis arrivée en cours de route que j’ai été stupéfaite par le traitement apporté à cette information. La présentatrice annonçait que le gouvernement du Sri Lanka, affreusement touché par la succession de raz-de-marée, demandait aux touristes de reporter leur voyage d’agrément… Le Sri Lanka a perdu plus 5000 personnes, mais s’inquiète avant tout des gros touristes occidentaux!
En fait, au fur et à mesure que j’écoute, je suis effondrée par ce que j’entend. On déplore la destruction de La Plage où se baignait Léonardo Di Caprio pour le film homonyme. On tente de connaître le bilan des touristes morts. on compte les villages de vacances dévastés! Il y a une cellule de crise au Quai d’Orsay, pour retrouver les proches en vacances[1]. Rendez-vous compte! Les hôtels de luxe sont touchés! Des touristes ont du courrir pour sauver leur vie! Rendez-vous compte! Il s’agit là d’une terrible catastrophe touristique!
Je reste devant mon écran, en me disant qu’on va sûrement mettre en place une cellule d’urgence, une aide exceptionnelle, qu’un numéro vert ou un CCP vont s’afficher, parce qu’il y a des centaines de milliers de gens qui, en ce lendemain de Noël, fête chrétienne du partage et de l’espérance, des centaines de milliers de gens, donc, qui ont tout perdu! Je me dis que devant tant d’adversité qui frappe toujours les plus démunis d’entre nous, un formidable élan de solidarité va se mettre en place.
Les numéros de téléphone arrivent enfin : il s’agit de ceux des principaux Tours-Opérateurs présents dans la région. Parce que ce qui compte, ce n’est pas la tragédie qui frappe les habitants de ces régions du monde, ce ne sont pas les épidémies qui guettent toujours dans le sillage des grandes catastrophes, non, ce qui compte, c’est le sort des bons gros touristes bien gras et bien blancs qui sont allés goûter sous des cieux plus cléments un repos bien mérité. Ce qui compte, c’est de ne pas perdre de réservations de vacances pour paradis terrestres naufragés.

Où sont les hommes?

Je me pose alors une question fondamentale : qu’est-ce qui détermine la hiérarchie de l’information? L’idée que les journalistes se font de nous et de nos centres d’intérêts (en l’occurrence le petit périmètre qui entoure notre nombril)? Ce que les journalistes considèrent eux-même comme important? Ce que ceux qui possèdent les principaux médias considèrent comme réellement important[2]? Ou est-ce que ce petit monde ne fait que nous servir la gamelle que nous réclamons? Comment pouvons-nous accepter un tel niveau de médiocrité humaine?

Qui sommes-nous pour toujours nous placer au centre des évènements, y compris ceux qui frappent durement d’autres peuples? Comment pouvons-nous considérer que la catastrophe de Sumatra est avant tout touristique et non pas humanitaire? Comment pouvons nous ne pas voir la détresse des habitants de ces pays dévastés? Qui sont-ils pour nous? Des figurants? des éléments de décor qui n’ont d’utilité que pour notre bon plaisir?
Mais surtout, comment avons-nous pu nous laisser déshumaniser au point de trouver notre égoïsme normal? Quelle sorte de robots sommes-nous devenus? A qui avons-nous vendu nos tripes, notre cœur, nos sentiments?

Une succession de tsunamis a ravagé les côtes asiatiques, loin, si loin de chez nous. Et ce que ces raz-de-marée ont mis en évidence, c’est le désastre de notre civilisation matérialiste, c’est la médiocrité de nos petites vies égoïstes!

Notes

[1] je ne dis pas qu’il n’est pas normal que les gens puissent s’informer de la survie de leurs proches en vacances dans une zone sinistrée, je dis que cela ne peut constituer l’essentiel de l’information!

[2] Je vois bien un Dassault, un Lagardère ou un Seillières en train de se dire : "merde, avec ces conneries, mes actions FRAM, ACCOR et CLUB MED vont encore prendre le bouillon"!

7 Commentaires

  1. Très dur ton article, Agnès, mais oh combien révélateur aussi ! Pour ma part, je dirais juste que si en masse nous nous transformons en égoïstes finis sous l’effet de telles infos, c’est surtout en raison de la politique éditorial qui appartient, on le sait bien, aux porteurs d’actions des canards ! Et plus l’actionnaire majoritaire est un gros de la finance ou de l’armement, plus l’info est laide, orientée, déshumanisée.

    Il ne faut pas s’en étonner : on ne peut pas demander à un marchand d’armes, donc de mort violente, d’avoir du sentiment, du coeur et le besoin d’exprimer la vérité. Il n’est pas fait pour ça ; il n’existe et ne vit que pour ses intérêts, jamais pour le coeur ou l’intelligence ! Et il en va de même pour les gros financiers dont le coeur est remplacé par des billets de banques ou autres éléments monétaires.

    Mais tout ceci justifie et réclame une prise de conscience qui est de plus en plus urgente. Il faut se battre si nous ne voulons pas sombrer dans l’ignominie où veulent nous conduire les dirigeants de ce type de société. C’est à nous de leur dire non ! C’est à nous de rejeter leurs infos truquées, malsaines, orientée, ne servant qu’une minable propagande marchande.

    Réponse
  2. Pour une fois, Jean, on n’est pas sur la même longueur d’onde. Sur ce coup, je critique certes l’attitude assez lamentable de la presse en général, mais je m’interroge surtout sur nous-même, notre propre esprit critique, notre propre capacité à avoir de la compassion, de l’empathie pour ceux qui sont loin.
    Je pense que la faute est collective, et qu’il ne convient pas de la rejeter sur autrui.
    Je développe cette idée dans le billet suivant en m’interrogeant directement sur les propres failles de l’altermonde.

    Autrement dit, et pour poursuivre sur ton idée, les Dassault et autres, finalement, ne nous font que ce que nous voulons bien qu’ils nous fassent : nous transformer en robots!

    Réponse
  3. Belle et juste révolte, partagée. Elle est à l’aune de l’ampleur de la catastrophe mais ce type de relation de l’information, étriquée, égoïste, obtuse semble être la règle depuis quelques années.

    Je ne sais pas qui est à l’origine de quoi,le consommateur d’info, le journaliste ou le patron de presse. Probablement les trois : le public a des penchants bien faciles à exploiter, le second concède l’éthique de son métier à l’évènementiel, à la flatterie des ego, pur produit du marketing quant au patron de presse, s’il n’initie pas, il apprécie et de toute façon il contrôle puisqu’il possède.

    Mais Antenne 2, objet de cette juste révolte, elle n’est pas possédée que je sache et ses journalistes que pensent-ils de leur métier quand ils nous servent de telles soupes, à grand coup de radio trotoir, à nous faire honte. Et même, si d’aventure nous étions au niveau de médiocrité que laisse supposer ce traitement de l’information, n’est-ce pas la vocation d’une chaîne public d’élever un peu nos horizons ?

    Je ne voudrais pas terminer sans lancer une campagne essentielle :
    La nomination de M. LE LAY au grade de Grand officier de la légion d’honneur au motif suivant :
    Avoir, dans un souffle de vertueux, révéler aux citoyens téléspectateur la finalité du métier de TFI « A la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit »
    Par son initiative et son courage dénonciateur, il a contribué à initier l’éveil des masses média à l’esprit critique, premier pas vers une révolution morale et intellectuelle.

    On a déjà beaucoup parlé de cet évènement Mais a l’instar de la campagne de soutien à MM Chesno et Malbruneau, il faut diffuser encore et encore cette déclaration, l’entretenir dans nos consciences, lui donner et lui redonner toute sa portée : TF1 et ses consoeurs n’ont d’autre projet que le service des annonceurs. C’est une façon radicale de régler la question de la dépendance des média à la publicité : Il n’a plus de dépendance puisqu’il y a identité d’objectif : vendre et faire vendre voilà la ligne éditorial des média gratuits que sont entre autre les TV. il est innocent de penser qu’en regardant gratuitement une chaine de TV et beaucoup d’autre support) l’ont est autre chose qu’un consommateur manipulé,dont on flatte ego et égoïsme. Autant en être averti. Merci M. LE LAY

    Mais Antenne 2 ?

    Réponse
  4. Juste pour te dire, Bichon, qu’il ne me semble pas que la TV soit un média gratuit ! (la publicité fait monter les prix + la redevance !)

    Réponse
  5. Désolé Bichon d’illustrer sans doute malgré toi ce qui va suivre.

    La révolte est un acte, pas un mot.

    A propos de Patrick Lelay.

    Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi ?
    Pourquoi M. Lelay a écrit, dit et répété que sa chaîne de télévision était une arbalète à envoyer des carreaux cracra-colé dans nos cerveaux spongieux pour avoir été trempés dans les solvants à intelligence diffusés en clair par son directeur de programmation ?
    C’est une maladresse. Trois fois réitérée et entérinée ? Non.
    C’est de la provocation. A qui peut-elle profiter ?
    C’est de la bêtise. Alors à ce niveau-là et soutenu par ses conseillers en communication, ça ferait une belle brochette d’abrutis. Je n’ai aucun doute sur la capacité des milieux commerciaux à fournir tous les abrutis qu’il faut à qui veut bien les employer mais là c’est trop gros.
    C’est exactement le contraire de ce qu’il aurait dû dire pour se préserver un capital de sympathie auprès de ses auditeurs.

    Alors quoi ?

    Où est l’arnaque ? Vous pensez qu’il voulait partir à la retraite et se faire virer avec son parachute doré pour aller jouer au golf en ne buvant surtout pas du caca-collé. Eh ben vous allez voir qu’il va durer longtemps chez TpasF’1.
    C’est beaucoup plus insidieux que ça.

    Reprenons.

    Lelay déclare l’inavouable, la passion nous commande de monter au créneau et d’y scander le scandale. Très bien, c’est normal. En même temps la raison, elle, cherche – mais pourquoi l’a –t’il dit ? – Et puis cette bonne raison elle trouve une seule chose possible qui puisse expliquer que cet homme n’est pas tout à fait immorale, c’est-à-dire pas tout à fait inhumain : au moins, il est sincère.
    Et du coup cet homme est bon et comme d’un homme honnête viennent des choses honnêtes, ça veut dire que TF1 n’est pas si immorale que ça, etc. Toute forme d’excuses suggérées qui permettent aux aficionados de continuer avec une nouvelle force à bigler la diversion pendant que le voleur se fait la caisse, et d’autres qui n’osaient pas, par peur de participer à cette orgie de vente permanente à domicile (la VPD, TF1 est la première chaîne de VPD en France, dite également Vente Par Diverstissement), sont réconfortés de savoir que c’est pas une chaîne de menteurs.
    Il est dédouané, pardonné même, on est prévenu, tout va bien.

    Mais là où c’est pire c’est que tout cela repose sur le principe de l’hypnose.
    Un bref rappel pour l’hypnose : c’est une technique simple de suggestion qui permet de neutraliser le cerveau logique pour commander au cerveau affectif.
    Dans le cas qui nous préoccupe, le cerveau logique, qui se prends de plein fouet une assertion aussi vraie qu’impossible à entendre se retrouve bloqué. N’exerçant plus sa capacité de censure, il laisse passé la suggestion directement dans le cerveau affectif, celle du fameux : mais au moins il est honnête, on est prévenu, tout est mensonge, il suffit de pas se laisser piéger, etc (pour plus de renseignements sur le fonctionnement de l’hypnose il faut consulter les ouvrages de Milton Erickson, ou même de Freud et de tous ceux qui manipulent les cerveaux de l’extérieur, c’est quand même une découverte majeure de la Psychologie).

    Du coup l’effet est très pervers.

    Il n’y a pas d’erreur, le but est atteint. Non seulement il passe pour excusé et honnête mais en plus ce sont les méchants détracteurs qui ne savent pas changer de chaîne quand il faut.

    Maintenant, je n’ai jamais dit qu’il l’avait fait exprès.

    Et je ne suis pas assez calé en cours de communication pour savoir à quel point on y apprend les techniques de suggestions pour faire passer des messages à la con.
    Mais ce truc de – avouer c’est à moitié pardonner – c’est pas un truc pour bigot coincé, ça participe du même phénomène.
    La dictature de dos. Plus efficace qu’une dictature de front, sans doute.

    Réponse
  6. Petite réponse à drop : il me semble que TF1 et la 6 sont des média gratuits exactement au même titre que les hebdos de petites annonces. Les chaînes de France télévision sont payantes (à 50% environ de leur prix, le reste étant de la recette pub) mais c’est une obligation légale, pas un acte d’achat ce qui supposerai un choix. Alors comment faire valoir nos exigences…?
    Seul canal + est un média payant (par le consommateur). Mais les propriétaires (grands capitalistes) sont-ils réputés pour leur moral et leur éthique ?

    Petite réponse à Etienne :
    Très machiavélique et pourquoi pas ?
    Une autre hypothèse non contradictoire : une bonne dose de cynisme, la "grosse tête", l’orgueil du gars qui veut montrer son jeu et son intelligence de la situation alors qu’il est contraint en temps normal à la langue de bois ou au silence. Une imprudence donc. Beaucoup de hommes se son fait prendre dans de telles conditions.
    Comment pourrait-il y avoir une sanction contre lui de son conseil d’administration qui corroborerait ainsi sa déclaration. Et au fait pourquoi une sanction ? Y a-t-il eu une révolution des téléspectateurs ? Le taux d’écoute de TF1 a-t-il baissé ?
    Et puis les raisons on s’en fiche : merci à Monsieur LELAY d’avoir rappelé les règles du jeu.

    Réponse
  7. Nous avons été submergés de chiffres concernant les dons des pays du nord –
    Je n’ ai pas remarqué les soutiens financiers des monarchies ou dictatures pétrolières –
    Qu’ils descendent du prophète, ou qu’ils y remontent, ils ont pensé
    sans doute que leurs frères en ISLAM pouvaient
    s’adresser directement au
    ciel pour éviter des intermédiaires onéreux-

    Réponse

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