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Nous sommes tous des travailleurs roumains

Par Agnès Maillard
28 avril 2005

… et chinois, et malgaches, et tunisiens, et indiens! Tous dans la même galère!

Il m’arrive de penser, rarement, mais tout de même un peu, à un fait divers terrible. Une femme sans histoire prenait le soleil dehors, sur la pelouse de son immeuble avec sa petite fille de 5 ou 7 ans. Elle a arrêté son tricot et a étranglé sa fille. Aux policiers, elle déclarera avoir eu un geste de désespoir profond et soudain : elle a voulu épargner à sa fille une vie de misère.
Je me souviens que les journaux de l’époque ne s’expliquaient pas ce coup de folie d’une mère qui aimait pourtant terriblement sa fille. Peut-être trop…

Tout en trouvant cette histoire atroce, j’ai compris le geste de cette femme. Durkheim dirait que ce meurtre était un fait social, comme le suicide. C’est la réponse inadaptée à une situation d’extrême anomie[1].

Pour ma part je trouve que nous vivons des temps qui ne laissent rien présager de bon pour nos enfants et sans être aussi radicale de cette femme, on se demande comment nous allons pouvoir les soustraire au grand bond en arrière que nous subissons ici et maintenant. La question se limite en fait à savoir comment les élever pour les rendre aptes à survivre dans un monde qui se dessine comme particulièrement impitoyable.

C’est une question de le père de Michel White a du se poser en son temps : "comment élever mon fils pour qu’il soit apte à reprendre l’affaire familiale?". Aujourd’hui tout le monde tombe sur son rejeton qui a eu l’impudence de proposer un reclassement à 110 €/mois en Roumanie à ses salarié, mais je crois que le gamin a juste fait ce que son éducation et les dogmes du milieu des affaires actuel estiment comme approprié. D’ailleurs, bon prince, il a pris en compte l’ancienneté dans le calcul des salaires. Je ne vois pas en quoi il faut blâmer ce seul homme de proposer des choses iniques et de manquer à ce point d’empathie : il est juste le produit de son époque. On nous dit que la concurrence, c’est bien! Oui, la concurrence vers le bas de tous les salariés du monde, c’est effectivement une bonne affaire pour le patronat cosmopolite. Dans un monde où "la concurrence doit être libre et non faussée" et où "rien ne doit entraver la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes", la proposition de Michel White n’a rien de monstrueux, elle est juste logique, en adéquation avec tout ce qu’on lui a appris. D’ailleurs, nous apprend l’article, il reçoit aussi des fax de félicitation d’autres patrons. Et comme pour les Renault VelSatis, à partir du moment où le lièvre est levé sur un cas, on se rend compte que la pratique s’est déjà installée, petitement, mais que d’autres salariés ont déjà eu le droit à des propositions de ce genre.

La monstruosité est relative!

Dans le Bid Zeitung, feuille de chou[2] allemande, le scandale du jour, c’est l’idée de Christean Wagner, ministre de la justice CDU de la Hesse. Celui-ci propose tout simplement de mettre des bracelets électroniques aux chômeurs pour "les contraindre à davantage de discipline en vue de retrouver un travail".
Je me souviens d’un temps pas si lointain où l’organisation sociale, la qualité du dialogue entre patronat et syndicats en Allemagne était citées en exemple chez nous. Depuis, on dirait que la "Gôche" est passée par là, réduisant à néant 50 ans de progrés sociaux! Hartz IV est en terme de régression sociale ce que Borloo n’a pu faire que très imparfaitement avec son plan de cohésion sociale :

  • tout chômeur célibataire recevra ainsi au bout d’un an de chômage désormais 345 euros par mois s’il vit à l’Ouest, 331 euros s’il vit à l’Est
  • obligation pour le chômeur indemnisé d’accepter tout travail, même inférieur à ses qualifications et même si celui-ci est rémunéré en dessous des accords de branche
  • l’embauche de chômeurs dans des travaux d’intérêt général leur rapportant un euro de l’heure en plus de leurs allocations.[3]

Dans de cadre de Hartz IV, toujours, les services d’aide au logement peuvent désormais contraindre un chômeur de plus de un an à déménager pour trouver "un logement plus conforme à son nouveau statut". Alors, finalement, la proposition de contrôle total des chômeurs par Christean Wagner, dans ce contexte, n’est plus du tout scandaleuse, elle est juste l’aboutissement d’un processus engagé de longue date d’asservissement par l’appauvrissement de la caste des prolétaires, ceux qui n’ont que leur travail pour revenu.

La grande regression sociale

J’avais déjà écrit que fondamentalement, le libéralisme comme doctrine économique prenait grand soin de ne jamais dévoiler à la masse des gens qui le subit quelle société il était en train de réellement bâtir. Quand on amène le troupeau à l’abattoir, on fait en sorte que les animaux ne comprennent que le plus tard possible ce qui les attend au bout du chemin. Bien sûr, plus la doctrine domine le corps social, plus ses effets sont visibles. C’est ainsi qu’on apprend que ces 25 dernières années, le niveau de vie des ménages français s’est effondré. Mais pas n’importe quels ménages : seulement ceux dont les seuls revenus sont issus de leur travail! Ainsi, les propriétaires, les rentiers, les épargnants, les actionnaires, ceux qui ont du patrimoine se sont enrichis. Enormément. Au détriment de ceux qui font tourner la machine. Cette très sérieuse étude du CERC nous apprend aussi que les conditions de vie de la caste laborieuse sont revenues au niveau des années 50.

Ainsi donc, le grand bond en arrière tel que décrit par Serge Halimi est bien loin d’être une vue de l’esprit!

A ce rythme-là, nous n’aurons bientôt plus à craindre la concurrence par le bas des salariés de l’autre bout du monde. De plus en plus clairement, nous glissons tous vers d’innommables lendemains qui déchantent. Quels que soient nos pays, nos qualifications, nos aspirations, nos qualités, nous tous, nous sommes aspirés dans une infernale spirale de nivellement par le bas, de concours au moins-disant social. C’est déjà la réalité dans laquelle nous vivons!

Esprit de Jaurès, es-tu là?

Notes

[1] Voir aussi ICI

[2] On dit tabloïd, quand on est poli!

[3] L’huma du 2 octobre 2004

14 Commentaires

  1. Après t’avoir lu, je voudrais te remonter le moral. Mais quoi dire ? Je ne trouve rien.

    Rien en dehors du fait que les gamins d’aujourd’hui se révolteront s’ils doivent se révolter, n’accepteront pas la soi-disant évidence de la fatalité, qu’elle soit économique ou autre. Mais même de ça, je ne suis pas sûr.

    Pour les miens, en tout cas, je crois avoir tout fait pour.

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  2. Merci pour ta sollicitude, Claudius, mais, paradoxalement, ça va plutôt bien. Je trouve ça encourageant.
    Je pense que tous ceux qui s’aveuglent sur la réalité du monde que l’on cherche à nous imposer, à force de conneries de ce genre, vont finir par comprendre. Tout cela devient tellement gros, tellement monstrueux, évident, ceux qui cherchent à nous confisquer notre avenir pour leur profit immédiat sont tellement sûrs d’eux qu’ils en sont devenus totalement sans limites, qu’ils ne prennent même plus les plus élémentaires précautions et que leurs sinistres desseins sont maintenant totalement lisibles par tous, sans besoin d’une quelconque grille de lecture!
    Il ne reste plus qu’à leur couper la télé, la machine à soumettre les volontés, et je pense qu’alors, le Grand Soir ne sera plus très loin!

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  3. Triste histoire que celle de cette femme.
    Effectivement nous sommes en regressions sociale, les entreprises font leur choux gras ailleur que chez nous, alors pourquoi s’emmerder à nous payer des salaires et encore moins nous embaucher.
    Wait and see, mais les choses ne peuvent pas continuer ainsi

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  4. C’est marrant, mais j’ai plutôt une vision positive de l’avenir. J’ai surtout l’impression que les médias se complaisent à faire ressortir des choses qui autrefois étaient passées sous silence. Cette position des médias a un effet positif et négatif. Négatif dans le sens où on a l’impression que le monde est pourri et que c’est de pire en pire ; positif dans le sens que cette remontée des problèmes fait que l’on essaie de les traiter, même si ça prend du temps.

    Réponse
  5. Bravo, Ce texte et ton point de vue rejoigne le mien. Bien que je suis encore dans l’espoir d’un mieux, d’un réveil, d’un sursuat de conscience qui nous permettrait de sortir de là.

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  6. Vive le libéralisme ! Le système le plus anti-libéral et protectionniste que nous connaissons, s’appelle la Politique Agricole Commune : protections douanières, subventions à la production, etc.. Il faut arrêter tout cela immédiatement. C’est exactement la politique de Le Pen, le protectionnisme. Il faut immédiatement,Messieurs les néo-libéraux, arrêter la Politique Agricole Commune. Faire descendre les paysans dans la rue, incendier les préfectures et les DDA, écraser les forces de l’ordre à coup de tracteurs gigantesques, etc… C’est ça le libéralisme. Il faut aussi, bien sût, couper toutes subventions aux entreprises, les aides à l’emploi, les commandes de matériel militaire par l’Etat etc….. Sûr que le CAC 40 va faire des bonds de cabri, avant que la Bourse aussi ne brûle.

    Le gros avantage du libéralisme que nous propose nos hommes politiques est …… qu’il est facile à comprendre. Ecoutez les, et vous verrez qu’ils ne vous parlent jamais de macro-économie ( et pour cause, ils n’ont jamais ouvert un seul bouquin de théorie libérale) mais toujours de micro-économie. Les économistes, les vrais, ou du moins ceux qui se prennent pour tels, savent depuis longtemps que ça ne marche pas, et que ça ne peut pas marcher.

    Comment voulez-vous qu’un Ministre ait le temps de réfléchir quand il est en train de divorcer, de se trouver une nouvelle copine ( croquignolette au demeurant), qu’il est en même temps chef de parti, Président du Conseil Général des Hauts de Seine, Maire par procuration de Neuilly, avocat Boulevard Malsherbes, Ministre de l’Intérieur, membre de X Conseils d’Administrations et instances publiques diverses, et qu’il prépare sa campagne électorale pour être Président de la République ? J’ai du en oublier en passant . C’est le modèle des forces vives, de cette France qui avance, etc…. Mais il n’est pas assez large d’épaules, physiquement, pour que l’on puisse accrocher sur son plastron toutes les médailles qu’il mérite…. Je trouve admirable qu’il ait encore le temps de se raser. Et je sais de quoi je parle ! Je m’appelle Barbier,

    Le Progrès est en marche, n’en doutons pas ! Laurent

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  7. salu c’est bien mai vs pouvez simplufie l’objectife et l’ ideé

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  8. « Elle a arrêté son tricot et a étranglé sa fille. Aux policiers, elle déclarera avoir eu un geste de désespoir profond et soudain : elle a voulu épargner à sa fille une vie de misère. »

    Ca me rappelle un certain Philippe Manière, grand humaniste sévissant sur une radio appelée « BFM »; il nous expliquait doctement que les 35 heures n’avaient évidemment aucun intérêt, mais notamment sur un certain point: c’est qu’elles étaient dues pour l’essentiel à des gens sans culture, sans hobby, et donc naturellement portés à la boisson et à l’ennui. En clair, les 35 heures pour les pauvres sont une catastrophe, parce qu’ils ne savent pas quoi en faire, les gueux!

    C’est pour cela qu’il voudrait, ce bon cathodique, nous remettre tous au travail, jours fériés compris, pour nous éviter des après midi d’ennui au bistrot…

    Réponse
  9. CAC 40 – MEDEF et non à l’Europe. moi, je prends des notes depuis des années au Conseil Europeen. Je propose après ces mêmes botes aux élus (es) qui parfois s’endorment ou … (ne viennent pas) Je vends ma « pige » 30 € attention pour des débats qui peuvent durer 3 à 4 heures (faut en faire pour manger). Ce matin la délegation Francaise a été; le moins que l’on puisse dire c’est que l’accueil fût « très frais »… 1 – La nouvelle « dame » du MEDEF – VOYOU -FRANCAIS se laissait aller à des commentaires (…) Les externalisations Francaises devraient être achevées à fin 2008 ( 1.184.500 postes) ! Puis, c’est le tour d’un député Francais de déclarer que la France réclamait « une subvention spéciale » pour les Viticulteurs et agriculteurs… Que la France était un des pays fondateur de l’Europe et qu’à ce titre elle pouvait prétendre à être particulièrement entendue. En voilà un qui ne devait pas être né le 29.05.05 !!! Il s’est fait -foutre dehors par l’integralité des siègeants – puis il est allé prendre un verre très etonné, auprès de Madame PARISOT . Celle-ci lui disant, ben nous au MEDEF on n’est pas mécontents de ce NON à l’EUROPE… (dommage il y avait un journaliste Allemand juste à coté) !

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  10. Bonjour Jean-Luc, étrange et intéressant boulot que le tien : il y aurait sûrement matière à alimenter un blog très citoyen 😉
    Tu peux nous éclairer sur les externalisations françaises?

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  11. et oui, c’est gros comme une maison, mais ils l’ont fait:celà faisait longtemps que l’on était pas arrivés à un moment où les générations futures auront un moins bon niveau de vie que leurs parents…c’est peut être ça que l’on appelle une « fin de régne »…un système qui se meurt.Imaginez un instant que le bloc communiste soit là, en face, bien vivant : ce serait le capitalisme qui disparaitrait. malheureusement, ce fameux bloc était loin de l’idéal et il n’y a de toute façon aujourd’hui pas d’alternative proposée…alors on vivote, dans ce moment de fin de régne…

    Réponse
  12. le niveau de vie des ménages français s’est effondré. Mais pas n’importe quels ménages : seulement ceux dont les seuls revenus sont issus de leur travail! Ainsi, les propriétaires, les rentiers, les épargnants, les actionnaires, ceux qui ont du patrimoine se sont enrichis.

    Je pense qu’il peut y avoir differentes facons d’interpreter ce phenomene, comme tout phenomene qui se respecte me direz vous. Plusieurs lectures. En voici une, parmi tant d’autres :

    «  » finalement, travailler ne sert à rien, si ce n’est à s’appauvrir » ».

    Voyez vous, et je n’ai jamais compris cela, le « liberalisme », appelons le comme ca, ne fait que se « tirer une balle dans le pied ». Non ? Bref, en gros, le liberalisme est tout simplement profondement antiliberaliste et le liberalisme ne constitue ni plus ni moins que le plus farouche opposant au liberalisme lui meme. En fait, le liberalisme, ce n’est pas que je l’execre ou quoi que ce soit, mais je n’investi pas un centime la dedans.

    Réponse
  13. C’est pour cela qu’il voudrait, ce bon cathodique, nous remettre tous au travail, jours fériés compris, pour nous éviter des après midi d’ennui au bistrot…

    Oui, mais …
    Se remettre au travail signifie s’occuper à devenir pauvre.
    Aie aie aie
    le liberalisme ne fait que creuser sa propre tombe, moi, j’investis pas un fleche, pas le moindre dollars dans pareille ideologie.
    Il faudrait lui dire au liberalisme, qu’il n’est ni plus ni moins qu’antiliberaliste

    Réponse

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