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30 décembre 2004

Quelque soit le gigantisme de la vague, la mer finit toujours par se retirer. Aux survivants de contempler le désastre qu’elle laisse derrière elle.

Le décompte morbide n’en finit plus d’alimenter les rédactions du monde entier. Mais quelque soit l’énormité indécente des chiffres, elle ne permet en rien d’appréhender, ne serait-ce qu’un petit peu, la désolation réelle sur place. Nous autres, occidentaux, n’avons pas la moindre idée de se que peut signifier survivre dans une contrée transformée en vaste charnier à ciel ouvert. Comment le pourrions-nous, d’ailleurs? Nous avons cantonné la mort aux coulisses de nos vies. Beaucoup d’adultes, dont je fais partie, n’ont jamais vu d’humain mort de leur toute leur vie. On ne meurt plus à la maison, on ne veille plus les morts, on ne côtoie même plus les mourants. La fin de vie a été reléguée loin du regard des vivants, dans des petites chambres d’hôpitaux, des unités de soins palliatifs, elle est le fait de personnel qualifié, elle s’évite, par crainte, ignorance, peur de la contamination? La mort est sortie de nos vies, et ce n’est pas forcément une bonne chose.

Aussi, lorsque les petits yeux médiatiques scrutent l’autre côté la planète et nous raconte la mort, la mort qui déborde, qui envahit, qui pue, qui étouffe les vivants, en fait, cela nous horrifie sans réellement prendre consistance dans notre réalité aseptisée. Parce que c’est au-delà de notre réalité.
Les chiffres terribles, les images horribles, les récits, tout cela n’appartient plus à notre univers, c’est comme aller se faire peur à peu de frais au grand huit de la fête foraine ou aller trembler devant un film d’horreur. Nous sommes captivés par l’inconcevable, d’indicible, mais comme la mer après l’inondation, notre intérêt va finir par refluer… laissant les peuples d’Asie du Sud-Est seuls avec leurs ruines.

Une à une, les entreprises médiatiques vont tourner leur regard ailleurs, vers d’autres drames, d’autres récits, pour alimenter nos machines à reproduire le bruit du monde. Là-bas, les morts seront toujours morts, les maisons toujours détruites, les orphelins toujours seuls. Il restera quelques ONG qui tenteront, comme toujours, d’écoper la misère du monde avec des petites cuillères, mais le gros des moyens, financiers et humains, sera reparti ailleurs.
A l’heure où j’écris, il est probable que les travaux pour rebâtir les complexes touristiques, les marinas, les hôtels de luxe sont déjà en cours. On va gommer à la va-vite les traces du désastre, construire encore plus, toujours plus près de l’eau, élaguant les mangroves et laissant les villageois, les pêcheurs, les pauvres, quoi! se démerder comme ils savent si bien le faire. Nous pouvons nous satisfaire des mesures d’urgence de nos gouvernements, nous pouvons donner de l’argent aux ONG, tout en sachant que tout cela ne représente que quelques gouttes dans un océan de désolation.
Nous pouvons aussi décider d’être des citoyens du monde, demander des comptes à nos gouvernants qui dispose de l’argent que nous leur laissons. Nous pouvons décider de demander l’annulation pure et simple, et sans condition de la dette des pays pauvres, dette qui n’a d’autre effet que de les maintenir dans la pauvreté et le sous-dévelopement. Nous pouvons aussi décider de demander l’annulation du dernier programme d’armement militaire[1] et d’en affecter les crédits là où ils seront vraiment efficaces.

Nous pouvons… oui, nous pouvons, mais le voulons-nous?


Alors que les cadavres s’amoncellent, les Bourses flambent

Notes

[1] D’autant qu’un sous-marin ou un porte-avions nucléaire n’ont plus guère d’utilité dans la configuration géostratégique actuelle, si ce n’est le maintient de la rente de l’industrie militaire. Cela revient à préparer une cavalerie pour aller affronter des chars Panzer.

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