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Tir aux pigeons, début du XXe siècle
5 septembre 2017

Les cadres se font enfler par l’illusion d’être du côté des dominants.
Ils collaborent activement à l’exploitation des employés parce qu’ils s’imaginent ne pas être des prolétaires eux-mêmes. Et les patrons se frottent les mains et entretiennent soigneusement cette confusion : elle leur permet d’avoir des relais serviles et zélés pour mieux presser le travailleur tout en en faisant porter la responsabilité à des sous-fifres clairement identifiables par les exploités.
J’avais déjà écrit sur ce marché de dupes qui utilise l’illusion d’être du bon côté du manche pour faire faire le sale boulot entre dominés.

Évidemment, l’opposition travail/capital est structurante et il ne s’agit nullement de l’évacuer de l’analyse. D’ailleurs, dans son livre d’où est extraite cette citation, Frédéric Lordon le rappelle bien : pour lui, le rapport salarial, c’est-à-dire cette asymétrie objective entre des travailleurs dénués de tout, qui ne peuvent faire autrement pour vivre que d’échanger leur force de travail contre de l’argent, et des capitalistes qui, eux, possèdent tout, demeure le cadre structurant de l’enrôlement capitaliste. Toutefois, il est fondamental de montrer aussi combien ce cadre structurant ne se résume pas à une opposition manichéenne, les cadres illustrant bien une intrication ou un entremêlement entre le travail et le capital. D’un côté, on a en effet un statut qui les range du côté des salariés, leur faisant dire parfois qu’ils seraient des travailleurs comme les autres, les « grouillots de base » ou les « OS de l’an 2000 ». De l’autre, on a aussi des individus qui adhèrent à des valeurs, des modes de vie, des attentes, des conceptions du travail et de l’entreprise qui les rapprochent des classes dirigeantes.

Source : BALLAST | Gaëtan Flocco : « Tous les sujets ont intériorisé les catégories capitalistes »

S’il a un petit pécule et pas mal d’avantages immédiats, le cadre oublie un peu trop facilement que son aisance vient tout de même du salaire et non pas de la rente (même s’il tente de s’en constituer une dans le temps !) et qu’il suffit que le capitaliste lui retire son poste de travail pour que tous ses avantages disparaissent. Il est en fait aussi dépendant que le petit employé des systèmes de solidarité sociale qu’il conchie pourtant abondamment tant il croit être au-dessus de cela, voire en compétition avec des dispositifs qui lui coutent (et entament son rêve de rente), alors qu’en fait, même s’il mettra un peu plus de temps à consommer ses éconocroques, le chômage, ce grand égalisateur par le bas, le remettra forcément à sa place de simple variable d’ajustement.

Exploite-toi toi-même!

La même arnaque est à l’œuvre avec la figure de l’autoentrepreneur, qui s’imagine petit patron et donc précapitaliste, alors qu’en fait, il n’est qu’un auto-exploité et surtout la nouvelle chair à canon de l’économie néolibérale : le sous-traitant isolé, sans aucune espèce d’assise ou de défense, livré tout ficelé aux appétits sans fin des grosses entreprises qui fixent unilatéralement les règles d’un jeu qui ne profite plus qu’à une toute petite poignée d’individus.

Il s’imagine un aigle, alors qu’il n’est que le gros pigeon d’une autofiction, celle qui consiste à faire passer le pire des lumpenprolétaires, le travailleur à façon sorti du monde de Dickens ou de Zola, et marketé proprement pour devenir le prototype du nouveau capitalisme postindustriel.

La figure de l’entrepreneur acquiert un rôle majeur dans la sphère publique depuis que la crise économique de 2008 a mis en évidence la difficulté d’intégrer socialement la population par le mécanisme du travail salarié. Comme il est désormais plus difficile de garantir un volume de travail suffisant et ininterrompu pour la majorité de la population, on voit apparaitre cette injonction à entreprendre, couplée à une rhétorique de type « poursuis tes rêves, pars à la conquête du succès. Car quand on veut, on peut ».

C’est une manière de contourner les problèmes économiques structurels de nos sociétés occidentales, marquées par la crise des compromis sociaux de l’après-guerre. Pour moi, c’est une véritable crise de régime qui frappe une société dont la colonne vertébrale est l’emploi, en tant que voie d’accès à la citoyenneté, aux droits sociaux, à la consommation. Tout cela est en passe de s’effondrer.

Source : Nous assistons à l’émergence d’un populisme néolibéral — Entretien avec Jorge Moruno

Les déserteurs

Ce qui est amusant, c’est que cette autofiction d’une réussite illusoire craquèle par ailleurs de toutes parts et que de plus en plus de ces nouveaux gagnants du Loto tentent d’échapper à leur félicité économique de pacotille.

Dans le livre, j’évoque le cas d’un néoépicier parti d’une grande banque, qui m’a expliqué que son nouveau métier consistait à entreposer des produits, à les emballer pour ses clients et à voir ces derniers repartir avec le sourire avant de les consommer. Il pouvait visualiser sa contribution à l’économie, la dessiner, et cette simple possibilité avait pour lui un aspect très rassurant, car cela n’a rien d’évident quand on évolue par exemple dans le marketing digital bancaire. On parle d’une génération qui n’a connu que la société postindustrielle, c’est à dire concrètement des jobs dans le cadre desquels les bons élèves ne manipulent que des informations et ne travaillent que derrière un ordinateur. Ces métiers sont ennuyeux, désincarnés et paraissent vains.

Source : Pourquoi des bac+5 quittent leur “métier à la con” pour conduire un food truck – Sortir – Télérama.fr

Bien sûr, personne ne s’inquiète encore de l’impact de cette nouvelle concurrence déloyale (meilleur capital culturel et surtout financier) sur les travailleurs déjà en place qui vont probablement se retrouver encore plus disqualifiés qu’avant. Les jeunes cadres urbains s’imaginent avoir conquis une nouvelle authenticité, une nouvelle liberté, alors qu’ils ne sont que les pions d’un gigantesque jeu de chaises musicales où il n’y a plus que des perdants. En réalité, il s’agit plus exactement d’une cascade de dominos qui ne parviendra plus trop longtemps à cacher le grand processus de déclassement général qui est à l’œuvre. Il s’agit finalement d’une compétition sans merci pour accéder à des ressources jugées insuffisantes pour satisfaire à la fois les appétits voraces des classes dominantes et la frugalité organisée et toujours grandissante du plus grand nombre.

Et que penser d’une organisation sociale qui investit lourdement dans la formation poussée d’une jeunesse dorée qui finit par venir reluquer les places des recalés du système éducatif ?

Le grand recul

The $16.60 per hour Ms. Ramos earns as a janitor at Apple works out to about the same in inflation-adjusted terms as what Ms. Evans earned 35 years ago. But that’s where the similarities end.

Ms. Evans was a full-time employee of Kodak. She received more than four weeks of paid vacation per year, reimbursement of some tuition costs to go to college part time, and a bonus payment every March. When the facility she cleaned was shut down, the company found another job for her: cutting film.

Ms. Ramos is an employee of a contractor that Apple uses to keep its facilities clean. She hasn’t taken a vacation in years, because she can’t afford the lost wages. Going back to school is similarly out of reach. There are certainly no bonuses, nor even a remote possibility of being transferred to some other role at Apple.

Yet the biggest difference between their two experiences is in the opportunities they created. A manager learned that Ms. Evans was taking computer classes while she was working as a janitor and asked her to teach some other employees how to use spreadsheet software to track inventory. When she eventually finished her college degree in 1987, she was promoted to a professional-track job in information technology.

Less than a decade later, Ms. Evans was chief technology officer of the whole company, and she has had a long career since as a senior executive at other top companies. Ms. Ramos sees the only advancement possibility as becoming a team leader keeping tabs on a few other janitors, which pays an extra 50 cents an hour.

They both spent a lot of time cleaning floors. The difference is, for Ms. Ramos, that work is also a ceiling.

Source : To Understand Rising Inequality, Consider the Janitors at Two Top Companies, Then and Now, The New York Times

Même si Google n’est pas réellement notre ami, un petit passage par son traducteur permettra aux moins anglophones d’entre nous de profiter de l’édifiant contenu de cet article américain.

En substance, il s’agit de faire comprendre en quoi notre système économique a lentement glissé ces 40 dernières années d’une promesse de prospérité pour tous à une machine à produire des inégalités de plus en plus profondes et de moins en moins réversibles. Pour ce faire, le journal de référence des intellos d’outre-Atlantique compare le destin de deux femmes concierges noires de grandes entreprises capitalistes puissantes et établies, à 35 ans d’écart.

Dans le premier cas, les conditions sociales du travail de la femme de ménage de Kodak lui ont permis de se soigner, de partir en vacances et surtout de s’instruire. Grâce à ce véritable capital que l’on va qualifier de discret (parce qu’il ne se voit pas du tout sur la fiche de paie), cette femme a eu les moyens concrets d’évoluer dans la hiérarchie sociale et de devenir elle-même quelqu’un de la classe supérieure du prolétariat : une cadre.

Dans le deuxième cas, avec un salaire qui a pourtant l’air équivalent sur le compte en banque, la femme de ménage d’Apple… n’est en fait plus femme de ménage d’Apple, l’une des plus grosses concentrations de fortune du monde actuel. Elle n’en est qu’une sous-traitante, sans aucun avantage social : sa vie est difficile, elle ne part pas en vacances, a du mal à se soigner, n’a plus accès à la formation et son seul horizon, c’est de finir dans le même job, avec 50 cents de plus de l’heure.

La différence entre les deux ?

Le cadre légal et social du travail.

Ce que Macron et son gouvernement se proposent de liquider promptement d’ici la fin de ce mois.

L’hégémonie d’une pensée capitaliste sans entrave, tout entière vouée aux profits du patronat et des rentiers et qui s’appuie sur une exploitation sans vergogne et sans limites du plus grand nombre.

L’explosion des inégalités à un niveau oublié depuis les Dickens et Zola cités un peu plus tôt et leur verrouillage à tous les étages, dès le départ.

Le retour d’un monde de caste, d’une société féodale où tout le monde reste bien à sa place sans espoir d’évolution autre que l’intensification de l’exploitation.

Les enfants d’ouvriers sont surreprésentés dans les filières professionnelles et techniques. Ils regroupent 38 % des élèves de CAP, 36 % des bacs pros. En première et terminale technologique, leur part est équivalente à celle de la population des parents en sixième 26 %. Plus on s’élève dans le cursus, moins ils sont présents : ils ne forment que 16 % des filières générales des lycées, 12 % des étudiants à l’université, 7 % en classes préparatoires et moins de 3 % des élèves des écoles normales supérieures. Inversement, la part des enfants de cadres augmente : 29 % en filière générale du lycée, le double dans les écoles normales supérieures.

Source : Du collège aux filières d’excellence, la disparition des enfants d’ouvriers — Centre d’observation de la société

Une mécanique mise en place à tous les niveaux de la société depuis des décennies et qui commence à donner les résultats escomptés… sauf que ce ne sont pas ceux que l’on vous avait promis pour vous endormir.

Bref, il serait temps qu’on cesse de se faire berner par les imaginaires de droite et que l’on inverse un peu la disposition du champ de balltrap.

 

25 Commentaires

  1. Quand on a conscience de tout ça – et nous somme de plus en plus nombreux à l’avoir, je crois, cette conscience – notre impuissance à faire changer les choses devient réellement douloureuse. Moi c’est l’image du homard dans son aquarium avec de gros élastiques autour des pinces et qui attend qu’on vienne le saisir pour le balancer dans une casserole d’eau bouillante, qui me vient à l’esprit.
    Putain mais elle est où la bombe atomique sociale qui va nous permettre de remettre l’histoire dans le bon sens ?

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    • Affreusement pertinente, ton image

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  2. Super intéressant. De ce que je vois cependant, il me semble que les cadres détiennent quand même du capital (hors rente) : le capital social et le capital scolaire (voire culturel). C’est ainsi que, assez étonnamment, devant la perspective d’un plan social qui les concernait très directement, j’ai pu entendre des cadres trentenaires dire : c’est l’occasion de rebondir, de s’interroger sur ses souhaits d’évolution, de trouver un nouvel élan. Et, de fait, c’est ce qui est arrivé, même après quelques mois de chômages tout à fait supportables.
    Ca change, au minimum, l’état d’esprit et le rapport à la dépendance au capital, qu’ils ressentent moins qu’on ne pourrait le penser. Ca change aussi le regard sur le licenciement des autres, parce que dans une louable bonne volonté, ils pensent que tout travailleur, même non cadre, même ouvrier, a la même capacité à rebondir qu’eux, ou que la différence est minime. L’une des raisons de cela est l’existence de services RH : le cadre de nos jours est, la plupart du temps exclu de tout processus de recrutement de ses collègues, et impliqué uniquement à la fin de l’embauche de ses subalterne (quand il en a, ce qui est rare) il perd donc le contact avec la réalité de l’offre de travail, il cherche le mouton à 5 pattes et compte sur sa DRH pour le lui trouver.

    En revanche, cette dépendance se ressent très, très lourdement dans le quotidien, puisque toute tentative de gérer ses horaires de manière à peu près libre et compatible avec une vie personnelle digne de ce nom est vue comme une trahison. Mais là, on retombe complètement dans ton analyse : pas de compréhension globale de ce problème, responsabilisation totale du cadre (c’est à moi de m’organiser, c’est à moi de gérer, c’est à moi de négocier, c’est à moi d’expliquer aux enfants/conjoint….), individualisme de l’analyse et donc peu de possibilité d’une remise en cause du système, d’autant plus que au final on est quand même du bon côté dudit système.

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  3. Meluch’ : « Ce n’est pas que les gens de métier soient tous ignorants ou qu’ils obéissent tous à une logique politique. La vérité est sociale : leurs conditions de recrutement, de travail et de rémunération condamnent chaque individu à un strict conformisme de moutons de Panurge. Il est donc absolument vain d’en attendre autre chose. »

    C’est à propos des acteurs dans les medias sur son blog :
    http://melenchon.fr/2017/09/04/dabrutis-a-mediacrates-calme/

    Mais cela s’applique à cette discussion sur les cadres, ici, non ?

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  4.  » Il est en fait aussi dépendant que le petit employé des systèmes de solidarité sociale qu’il conchie pourtant abondamment tant il croit être au-dessus de cela »

    Concernant les cadres ou assimilés-cadres que j’ai fréquentés ou fréquente, j’en ai pas rencontré un seul qui conchiait le système de solidarité sociale pour la simple raison qu’il en bénéficie lui même, sécu, chomdu à l’occasion, educ nat, retraite… faut peut être arrêter de se faire des films sur les cadres, qui de plus n’ont pas tous des salaires mirobolants.

    L’avantage des cadres est surtout que leur taux de chômage est de 4% en France et encore moins dans d’autres pays, soit le quasi plein emploi, et peuvent donc envoyer chier leur employeur, poliment pour être viré et toucher, le préavis, une éventuelle prime de licenciement, le chomdu pour aller voir ailleurs.

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    • « L’avantage des cadres est surtout que leur taux de chômage est de 4% »
      Cet avantage est déjà une façon de les mener droit contre les avantages de ceux qui ne sont pas de sa classe sociale. Par exemple grossier les pilotes contre le personnel de l’aviation civile dans les revendications.
      C’est du corporatisme, mais aussi un peu plus.
      On peut voir nombre de personnes placées un peu plus haut que la moyenne se plier, moralement sur leurs avantages comme on s’agenouille dévotement dans les églises devant la (re)présentation divine.

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      • « Cet avantage est déjà une façon de les mener droit contre les avantages de ceux qui ne sont pas de sa classe sociale. »

        C’est un avantage conjoncturel, pas du tout décidé, et d’en profiter veut dire s’adapter aux circonstances pas toujours marrantes, n’est en rien la cause des problèmes sociaux actuels. Le cadre de base ou moyen qui se barre pour plus être emmerdé par une ambiance à chier fait exactement ce que font encore, et faisaient beaucoup dans les années 60 du plein emploi, les ouvriers qualifiés.

        Faire sa fixette sur le cadre de base-moyen c’est vraiment être totalement myope.

        Lordon me fait marrer avec son statut bien peinard de haut cadre de la fonction publique, voyez son CV :
        https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Lordon

        Il n’a quasiment aucun risque de chômage et doit bien palper ses 5000-6000 euros par mois, si si !

        Alors qu’il arrête de cracher sur les cadres de base-moyens du privé qui pour beaucoup alternent chômage/boulot( chiants souvent )/déménagement pour des revenus bien inférieurs aux siens.

        Ce petit mandarin ferait bien de montrer un plus d’humilité.

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      • « C’est un avantage conjoncturel »

        Oui, nous sommes d’accord sur le fond : c’est un avantage, pas la peine de couper les propos en quatre.

        « n’est en rien la cause des problèmes sociaux actuels »

        Je ne vois pas comment nier que cet avantage les distingue au détriment des classes qui leurs sont socialement subordonnées ?
        Qu’ils n’en soient pas directement responsables est évident, ils n’en sont qu’un chaînon, mais que ce système perdure sans la résistance conjointe de ces cadres avec les ouvriers me semble plus une compromission qu’un devoir.

        Qui que nous soyons, nous naissons tous libres et égaux en droit, c’est ce qui fonde notre société, reste à l’appliquer, et les cadres ne l’appliquent pas davantage que leurs employeurs.
        Revoir l’exemple criant dans l’aviation civile post précédent.
        On peut d’ailleurs rappeler que c’est dans cette industrie que de hauts cadres se sont trouvés pris en compte par ceux qu’ils jugeaient indignes de rester sous leur subordination de caste.

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        • « mais que ce système perdure sans la résistance conjointe de ces cadres avec les ouvriers me semble plus une compromission qu’un devoir »

          Je te signale qu’au premier tour des présidentielles, la droite( Fillon, Macron, MLP ) ont récupéré 70 % des suffrages et il n’y a pas 70% de cadres dans la société… Alors il faudrait un peu arrêter de sucrer les fraises sur les cadres.

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        • « au premier tour des présidentielles »
          Le vote ne définie qu’une partie infime de la réalité sociale, des ouvriers votent à droite aussi.
          De plus, aujourd’hui, c’est le parti des abstentionnistes qui revêt le plus d’ouvriers…

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        • « ce système perdure sans la résistance conjointe de ces cadres avec les ouvriers me semble plus une compromission qu’un devoir. »

          Cadre ou pas cadre, le taux de syndicalisation est très faible en France et le fonctionnement des syndicats est revoir, donc c’est un problème global. Renseigne toi !

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        • « c’est un problème global »

          Tout à fait d’accord, toutefois, rien ne peut se faire pour les uns sans les autres.
          Il me semble donc qu’en toute équité, ce sont les mieux lotis qui doivent se plier à s’intégrer aux problèmes des plus mal lotis pour que la hiérarchisation professionnelles n’agissent pas en tant que levier de classe.

          Comme toi, je parle globalement, pas au cas par cas.

          Kropotkine en a déjà parlé en son temps et cela reste toujours d’actualité.

          AUX JEUNES GENS
          Pietr KROPOTKINE

          « C’est aux jeunes gens que je veux parler aujourd’hui. Que les vieux les vieux de cœur et d’esprit, bien entendu mettent donc la brochure de coté, sans se fatiguer inutilement les yeux à une lecture qui ne leur dira rien. Je suppose que vous approchez des dix-huit ou vingt ans; que vous finissez votre apprentissage ou vos études que vous allez entrer dans la vie. Vous avez, je le pense, l’esprit dégagé des superstitions qu’on a cherché à vous inculquer vous n’avez pas peur du diable et vous n’allez pas entendre déblatérer les curés et pasteurs. Qui plus est, vous n’êtes pas un des gommeux, tristes produits d’une société au déclin, qui promènent sur les trottoirs leurs pantalons mexicains et leurs faces de singe et qui déjà à cet âge n’ont que des appétits de jouissance à tout prix. je suppose au contraire que vous avez le cœur bien. à sa place, et c’est à, cause de cela que je vous parle.
          Une première question, je le sais, se pose devant vous. – « Que vais-je devenir ? » vous êtes-vous demandé maintes fois. En effet, lorsqu’on est jeune on comprend qu’après avoir étudié un métier, une science pendant plusieurs années: – aux frais de la société, notez-le bien – ce n’est pas pour s’en faire un instrument d’exploitation, et il faudrait être bien dépravé, bien rongé par le vice, pour ne jamais avoir rêvé d’appliquer un jour son intelligence, ses capacités, son savoir, à aider à l’affranchissement de ceux qui grouillent aujourd’hui dans la misère et dans l’ignorance. »

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          • Le Monde Diplomatique – septembre 2017
            Le modèle qui inspire Emmanuel Macron : L’enfer du miracle allemand

            « La population allemande, appelée aux urnes le 24 septembre, n’a jamais compté aussi peu de demandeurs d’emploi. Ni autant de précaires. Le démantèlement de la protection sociale au milieu des années 2000 a converti les chômeurs en travailleurs pauvres. Ces réformes inspirent la refonte du code du travail que le gouvernement français cherche à imposer par ordonnances.

            par Olivier Cyran
            […]
            Un des régimes les plus coercitifs d’Europe

            Hartz IV : ce marquage social découle du processus de dérégulation du marché du travail, dit Agenda 2010, mis en place entre 2003 et 2005 par la coalition Parti social-démocrate (SPD) – Verts du chancelier Gerhard Schröder. Baptisé du nom de son concepteur, M. Peter Hartz, ancien directeur du personnel de Volkswagen, le quatrième et dernier volet de ces réformes fusionne les aides sociales et les indemnités des chômeurs de longue durée (sans emploi depuis plus d’un an) en une allocation forfaitaire unique, versée par le Jobcenter. Le montant étriqué de cette enveloppe — 409 euros par mois en 2017 pour une personne seule (1) — est censé motiver l’allocataire, rebaptisé « client », à trouver ou à reprendre au plus vite un emploi, aussi mal rémunéré et peu conforme à ses attentes ou à ses compétences soit-il. Son attribution est conditionnée à un régime de contrôle parmi les plus coercitifs d’Europe.

            Fin 2016, le filet Hartz IV englobait près de 6 millions de personnes, dont 2,6 millions de chômeurs officiels, 1,7 million de non officiels sortis des statistiques par la trappe des « dispositifs d’activation » (formations, « coaching », jobs à 1 euro, minijobs, etc.) et 1,6 million d’enfants d’allocataires. Dans une société structurée par le culte du travail, elles sont souvent dépeintes comme un repoussoir ou une congrégation d’oisifs et parfois pis. En 2005, on pouvait lire dans une brochure du ministère de l’économie, préfacée par le ministre Wolfgang Clement (SPD) et intitulée « Priorité aux personnes honnêtes. Contre les abus, les fraudes et le self-service dans l’État social » : « Les biologistes s’accordent à utiliser le terme “parasites” pour désigner les organismes qui subviennent à leurs besoins alimentaires aux dépens d’autres êtres vivants. Bien entendu, il serait totalement déplacé d’étendre des notions issues du monde animal aux êtres humains. » Et, bien entendu, l’expression « parasite Hartz IV » fut abondamment reprise par la presse de caniveau, Bild en tête.
            […]
            En France, l’artisan des lois qui portent son nom continue de jouir d’une réputation flatteuse. En Allemagne, on n’a pas oublié sa condamnation, en 2007, à deux ans de prison avec sursis et à 500 000 euros d’amende pour avoir « acheté la paix sociale » chez Volkswagen en arrosant des membres du comité d’entreprise de pots-de-vin, de voyages sous les tropiques et de prestations de prostituées. De sorte que plus personne ne veut entendre parler de lui. »

          • Exemple concret de la dichotomie entre cadre et ouvrier :

            Le Monde diplo – septembre 2017

            « En 2008, l’été avait été pourri, mais le cours mondial des céréales flambait. […] « Au lieu de ventiler, et pour des raisons de coût, raconte avec colère M. Laurent Guillou, les responsables du site ont décidé de traiter avec du Nuvan Total. » Une pompe doseuse pulvérise ainsi des centaines de litres de ce produit contenant du dichlorvos, un insecticide classé comme « extrêmement dangereux » et « potentiellement mortel » par l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) et interdit d’utilisation depuis mai 2007.
            […]
            Les mêmes symptômes apparaissent chez plusieurs employés : maux de tête, brûlures au visage et problèmes respiratoires. La dose maximale autorisée a été largement dépassée, selon le tribunal des affaires de sécurité sociale, qui a condamné pour faute inexcusable le groupe coopératif Triskalia… »

  5. Ben ouais…
    Je pense avoir tenu un discours proche de celui-là à des petits patrons que j’ai côtoyé il y a, disons, quelques dizaines d’années. Comme eux, j’employais quelques personnes (5 au max pour moi) et je ne supportais pas, mais alors pas du tout, les entendre reprendre les thèses du medef sur les difficultés patronales. Les voir se croire comme des rois du CAC40 aurait pu être risible mais ce n’était que pathétique, sans se rendre compte de leur dépendance à des donneurs d’ordre (souvent cadres) qui les méprisaient souvent. Le discours est si bien rôdé.
    Bref guère mieux que les auto-entrepreneurs actuels ou des agriculteurs devant une centrale d’achat.
    J’en ai connu quelques-uns qui ont bien payé « leur chère indépendance » (j’ai bien donné aussi). Pleins travaillaient un nombre d’heures conséquent pour un résultat pas vraiment génial.
    Une chose aussi m’agace toujours, c’est ce possessif : mes employés. Je sais bien que c’est un raccourci de langage mais c’est tellement révélateur.
    Sinon… amie Monolecte n’arrête surtout pas. Te lire m’empêche de m’assoupir.

    Réponse
    • « J’en ai connu quelques-uns qui ont bien payé « leur chère indépendance » (j’ai bien donné aussi). Pleins travaillaient un nombre d’heures conséquent pour un résultat pas vraiment génial. »

      Ce qu’il y a de génial dans le petit entreprenariat c’est l’affrontement avec les difficultés qui se créent sans utiliser abusivement des intermédiaires pour les résoudre.
      Comparé aux revenus pour l’humain qui s’y emploie, cet affrontement est un salaire bien plus élevé que toute la monnaie du monde ne peut contenir.

      Voir la pièce d’Edmond Rostand – Cyrano de Bergerac :

      « Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! »
      https://lespoir.jimdo.com/2014/07/06/ne-pas-monter-bien-haut-peut-%C3%AAtre-mais-tout-seul-cyrano-de-bergerac-d-edmond-rostand/

      Réponse
      • Bien dit ! L’idéal étant bien sûr que ce mini entreprenariat soit un choix et non une fatalité . Mon indépendance découle d’une allergie au patronat .

        Réponse
  6. A propos des « déserteurs » dont parlent l’article de Télérama, le graal est toujours sortir du salariat et devenir entrepreneur. Et pour vivre de son métier, il suffira de bien savoir se vendre.

    Réponse
    • « le graal est toujours sortir du salariat et devenir entrepreneur »

      C’est juste une culture.

      Employé ou entrepreneur, nous sommes à égalité de fonction car à quoi parviendrons-nous vraiment les uns sans les autres dans nos entreprises, mais aussi pour l’ensemble de nos vies communes ?

      Il est vrai que la numérisation des tâches ouvrières crée une certaine dichotomie (division de concepts en deux concepts contraires) dans les fonctions d’encadrement devant les exécutants, jusqu’à ce que cadres et dirigeants se trouvent impliqués par cette numérisation.
      On en voit l’approche par les mails de fonction qui envahissent leurs vies jusque dans l’intimité sociale la plus proche et en fragilisent les postes, comme le souligne l’article d’Agnès ici.

      Réponse
  7. Un bouquin qui a l’air de bien parler de l’autoentreprenariat :

    Fondé sur une solide enquête, écrit dans un style très accessible, direct mais toujours réflexif quant aux conditions de l’enquête et à ce que permettent ou ne permettent pas les données récoltées, cet ouvrage a vocation à intéresser bien au delà du cercle des sociologues du travail, et même du petit monde de la sociologie. L’analyse de l’acceptabilité, voire de la désirabilité d’une condition, au bout du compte, plutôt précaire, conduit la sociologue à des réflexions intéressantes sur la « double vérité du travail » et sur l’auto-exploitation qui mobilisent Bourdieu, Gramsci et Burawoy, et plus largement sur le statut de la parole des enquêtés dans l’analyse sociologique.
    Source : Exploite-toi toi-même

    Réponse
  8. Tu n’aurais pas lu « Le talon de fer » par hasard ? (un livre de Jack London (roman qu’on croirait réel, telleent les notes de l’auteur nous le font croire, car elles s’appuient sur le réel …))

    Au cas ou ça intéresserait quelqu’un, je me suis régalé de le lire. J’en ai trouvé une édition en Pdf gratuite.
    En voici le lien : https://beq.ebooksgratuits.com/classiques/London-talon.pdf

    Merci chère Agnès pour ce blog si intéressant, et cet article particulièrement !
    Bises

    Réponse
  9. En 2007, Thomas Philippon dans son livre sur le paternalisme dans les entreprises françaises  » Le capitalisme d’héritiers  » indiquait les sources de nos plus mauvaises relations sociales des pays industrialisés. Notamment le peu de chance pour des cadres compétents d’accéder à la direction des entreprises familiales en France (21%) alors qu’en Allemagne ils sont 66%. Il indique aussi que les étudiants les meilleurs qui ont compris cette situation, vont dans les filiales étrangères implantées en France ou s’expatrient. Parmi ces filiales étrangères, dans les américaines, 100% de la Direction est nommée par promotion interne. Certes, derrière l’exécutif, il y a les actionnaires qui décident et particulièrement de vendre, fusionner l’entreprise.

    Il y a également le cas des grandes écoles françaises. J’ai eu l’occasion de travailler avec des ingénieurs scientifiques. Dans nos laboratoires où les équipes réalisaient des innovations mondiales, un collègue (camarade) polytechnicien m’avait déclaré qu’il se sentait du mauvais côté, il avait fait le mauvais choix : il déposait régulièrement des brevets mais ses camarades de promotion qui avaient choisi le bon côté, entrer dans des cabinets ministériels, le méprisait plus ou moins ouvertement pour son emploi en Recherche -Développement. Le directeur d’établissement, Docteur en Physique-Chimie et élève de plusieurs prix Nobel de Physique français m’avait indiqué qu’il fallait se méfier des X car le taux d’évaporation est important chez eux. Une fois qu’ils ont compris le fonctionnement du système de pouvoir capitaliste libéral, un nombre non négligeable démissionne et s’engage dans les ordres monastiques…pour continuer à apprendre et se développer en utilisant notre première source de savoir, celle qui n’a pas besoin de savoir lire et écrire, la source personnelle initiatique et spirituelle. Après s’être illustré(e)s dans des études intellectuelles et rationnelles, ils (elles) se mettent à cheminer à travers la spiritualité, de manière à développer leur savoir global, celui qui utilise nos deux sources de savoir et qui a permis à travers l’humanité de fonder les civilisations les plus florissantes.

    Il y a d’autres exemples et comme David Graeber l’a montré, les entreprises acceptent de payer des salaires élevés aux insiders, majoritairement les cadres, alors qu’ils ne font que 15h productives par semaine auxquelles s’ajoutent souvent 45 h d’emplois bidons, justement pour ne pas leur permettre d’avoir du temps libre, réfléchir et bien évidemment commencer à monter « leur petite entreprise  » et abandonner leurs grandes entreprises aux emplois majoritairement bidons, surtout dans les services et les fonctions administratives. De plus en plus de cadres comprennent ce dilemme auquel ils doivent se confronter.

    J’en rencontre de temps à autres qui ont pris des responsabilités associatives, qui ont créé leurs sociétés dans les nouvelles technologies et se mettent au service d’une nouvelle civilisation et manière de vivre sur Terre. Ils (elles) ont abandonné nos systèmes de pouvoir et développent des organisations en réseaux de vie. Ils utilisent la subsidiarité et l’alliance des contraires (enseignées par les bénédictins depuis l’an 500 à partir du savoir sauvegardé des temples des bords du Nil), ils prennent en compte l’ensemble de l’activité humaine sur ses trois niveaux : travail indispensable à la vie et à la survie, réalisation des oeuvres qui élèvent le niveau de vie et sont transmises aux générations futures, action politique en réseaux de vie, c’est à dire en démocratie locale participative, en économie participative. Leur gestion repose sur la complémentarité entre les trois formes de propriété : individuelle et privée, commune et gérée par le groupe lui-même, collective et gérée par des représentants du groupe. La propriété commune est privilégiée avec le développement des biens communs et, dans leur projet politique, l’économie est financée par la monnaie pleine propriété collective du groupe social et par les droits sociaux (proposés par Pierre Leroux et refusé par Adolphe Thiers en 1864 après la loi sur les sociétés par capitaux). Ce fonctionnement des réseaux de vie est présenté sur le site web fileane.com qui est en voie d’achèvement.

    Réponse
  10. A mon avis les cadres n’ont ni raison ni tort, c’est une question de point de vue. S’ils ont celui de voir qu’ils n’ont pas le capital et veulent se battre, ils peuvent se solidariser avec les autres, sinon, pour ne pas désespérer, il leur faut s’identifier avec les capitalistes dont ils partagent en partie la culture et la domination sur les salariés.

    Réponse
  11. « il leur faut s’identifier avec les capitalistes dont ils partagent en partie la culture et la domination sur les salariés. »

    Oui c’est la culture de classe, rien de nouveau à ce propos depuis bézef !
    « Les bourgeois, c’est comme les cochons… »

    Réponse

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