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Le grand fossé

Par Agnès Maillard
19 décembre 2006

Swâmi aime bien me lire, je lui rend le compliment. Son dernier billet m’a inspiré ce commentaire, que je vous livre ici.
Et en écho à ces petits papiers du jour, je vous renvoie à celui d’Olivier Bonnet, un journaliste qui redore le blason de sa profession!

Cela fait quelques années déjà que la paupérisation galopante de notre société marque de ses stigmates les vitrines riantes de nos cités de civilisation avancée. J’en parlais déjà lorsque je suis retournée passer un concours à Toulouse après des années d’absence : des quartiers défraîchis, là où il y avait de l’activité, de la vie, même pas dans la banlieue, mais dans le centre mixte, un peu populaire, un peu bourgeois. Des tas de vitrines désertées, occultées, graphitées. Des passants qui ne respirent plus la joie de vivre, et qui sont habillés exactement comme quand j’ai quitté la ville et ses lumières à brûler les ailes. En plus vieux. Et plus usé. Ça suinte. C’est moche. C’est pré-tiers-mondain! On sent que sans être encore rejetée sous les ponts de la ville rose, une grosse partie de la population s’est serré la ceinture de plusieurs crans. On surnage.

Vers le centre, dans les quartiers traditionnellement bourgeois, c’est clinquant. Le luxe ne se cache plus. Il s’étale. Il brille, il interpelle, il a perdu toute mesure. C’est rutilant. Fascinant. Je vois juste que le fossé s’est creusé. Les pauvres plus pauvres, les riches plus riches… et moins nombreux. On resserre les rangs. On cultive l’entre-soi. La prédation est à l’oeuvre et le pré carré se transforme en bastion. Je lis déjà sur le bitume de la ville que bientôt, il y aura des grilles et des voies privées. Barrière osmotique standard.

Même dans le bled en chef, le même phénomène de concentration se voit. Même là, les camps de fortune s’institutionnalisent sur les quais du Gers. Le provisoire dure. Le bidonville revient à la mode. Les autres détournent le regard. Par superstition, je pense. Parce que regarder est presque contagieux. Un écart professionnel, une rupture et c’est leur tour.

Dans le bled, c’est petit, tout le monde se connaît. La misère, c’est pour les villes. Mais je sais et ils ignorent que cette année, 55 familles se sont inscrites, très discrètement, aux restos du cœur. Sur 2000 villageois. C’est beaucoup.

Pas d’échappatoire ! On est cerné. Lutter ou disparaître !

Je repense à l‘autre billet du jour et au proverbe indien : sur la roue de la vie, la mouche qui était en haut va en bas et celle qui était en bas se retrouve en haut.
Sale temps pour les mouches de chez nous!

15 Commentaires

  1. Il y a un peu plus de 10 ans que j’ai quitté Toulouse.

    Il ne s’agit pas de dire que les gens doivent acheter sans cesse des fringues pour être fashion. Perso, je ne l’ai jamais été. Je porte des fringues très… sans commentaire ;-). Mais pour avoir bien tiré la langue une bonne partie de ma vie, je sais reconnaître le vintage du petit bobo qui se la pète avec du faux vieux qui coûte 10 fois le prix du neuf de la garde-robe que l’on tente de faire durer au-delà de la résistance normale de la fibre textile.

    Réponse
  2. Entre le coup de cravache et la sucette….

    Le bon citoyen doit consommer au risque de s’endetter pour "sauver le navire France" selon l’expression d’un des ânes qui nous gouvernent… susciter le désir jusqu’à épuisement, jusqu’à saturation des sens et surtout du sens critique.

    Acheter n’importe quoi et surtout vendre n’importe quoi pourvu que l’on consomme. De l’inutile si possible… ça exonère d’en rechercher le sens… et que ça soit visible, pour exciter la jalousie du voisin, à défaut de déclencher l’envie… Le plus visible de ces produits de consommation, tel un étendard de l’impersonnalité qui se prétend originale, ça reste le vêtement.

    L’habit ne fait pas le moine, mais le pauvre est moins à la mode que jamais, vestimentairement parlant… Son vêtement est l’expression même de sa dégradation.

    L’image du clodo ou des pauvres gens vêtus comme ils peuvent véhiculée par les médias, c’est la mise en garde faite au consommateur de continuer d’adhérer au dogme de la consommation, sinon c’est le coup de cravache, c’est la spirale infernale, vers la déchéance physique et morale. C reflets directs de son incapacité à entrer dans le rang de la normalisation des individus…par l’apparence et par l’esprit, tant les deux se trouvent de plus en plus indissociables…

    Toute la batterie des jeunes cons qui consomment du fashion, ce sera le lumpenprolétariat décérébré de demain. Tous pareils dans leur volonté ostensible de "distinction".

    Etrange d’ailleurs, cette volonté d’afficher – dans les classes parmi les plus "laborieuses" finalement, des marques d’ordinaire revendiquées – mais plus discrètement… – par cette bourgeoisie qui les méprise, et qui demeure pourtant leur paradoxale horizon de désir…Tu es ce que tu portes. La marque fait loi.

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  3. Agnès > Je repense à l’autre billet du jour(fr) et au proverbe indien : "sur la roue de la vie, la mouche qui était en haut va en bas et celle qui était en bas se retrouve en haut".

    Statistiquement, non : les riches restent riches. Comme le rappelait Boudieu, un jeune de bonne famille qui est nul à l’école, au pire, on le met dans une école de commerce privée bidon et , par relation, on lui file un poste pépère dans une grosse boîte d’un copain. Le pauvre dans la même situation, en revanche, n’a rien pour se raccrocher.

    "Les premiers seront les derniers, etc.", "Mieux vaut être seul que mal accompagné", etc. c’est juste un truc pour que les losers s’écrasent et ne pensent surtout pas remettre en cause le status quo.

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  4. Je réfléchissais en terme de pays. Il faut bien comprendre qu’avant de virer à gauche toute, les pays d’Amérique du Sud ont bouffé du libéralisme jusqu’à l’overdose. Et l’overdose de libéralisme, en gros, c’est 80 % de ta population sous le seuil de pauvreté. Autrement dit, c’est l’éradication de la classe moyenne. D’où, sur l’autre billet, l’expression de génocide social pour décrire le phénomène.
    Aujourd’hui, la pauvreté diminue dans les pays passés à gauche pendant qu’elle augmente fortement dans les nôtres. Parce que nous continuons dans la lancée, parce que nous n’avons toujours pas vu le bout du chemin. C’est dans ce sens que je parle de roue qui tourne. La roue de l’infortune qui fonctionne à l’échelle planétaire…

    Réponse
  5. @agnes

    l’amerique du sud n’ a pas viré a gauche toute , geographiquement deja ,on en est loin et puis culturellement tu tombe la dans le cliché de l’européen particulierement du touriste francais qui attend desesperement au milieu des mercedes et des cadillac que se pointe un vieux bus delabré pour prendre "sa "photo " qu’il pourra montrer aux amis tout epatés en france .
    le syndrome du bonnet peruvien ,suis sur que la DALE de chez actu qui se permet de dire "venceremos " doit en porter un sur son marché de noel dans le larzac !!

    si Chavez continue sur sa lancée ,meme st dumo va devoir s’en procurer un !

    le virage a gauche est trop complexe pour le reduire a une faillite du liberalisme ,qui est sans doute en plus moins visible la bas qu’au states meme d’ailleurs.

    il y a des parametres qui sont strictement latinos historiquement deja ,ce qui a souvent expliqué l’hysterie repressive americaine au niveau a du continent ,l’exil cubain aussi .

    l’education a cuba est excellente ,voir les etudiants qui debarquent en france ,reduisent les notres a l’etat de cancres sans problemes ,n’empeche que ca n’en fait pas des citoyens du futur pour autant ….ils ont de serieuses lacunes pour vivre en democratie en plus .
    la culture liberale protestante americaine n’a jamais veritablement impregnée la culture latine ,ils roulent en chrysler ,ont d’immenses frigos americains mais ecoutent de la musique en espagnol , se nourrissent sur les marchés et vendent des panchos aux touristes .

    il est justement tres dommageable que l’information nous arrivant de la bas soit si deformée ,en particulier pour Chavez car il y a autant de patriotisme economique que de socialisme dans ce programme et c’est en cela qu’il est interessant …..ils ont reussis a sortir du binarisme consternant droite -gauche qui reduit tout ici et sclerose tout debat a l’avance .
    la ou ya a etudier ,nous ne voyons encore une fois que de l’ideologie et de la doctrine .
    venceremos quoi !!!!!

    Réponse
  6. ici un stade de plus – dans le quartier commerçant les boutiques se pressent – rue Joseph Vernet celles de frusques assez haut de gamme sont là, sans beaucoup de clients visibles mais elles tiennent le coup mais des antiquaires et décorateurs ferment et leurs boutiques restent vides et bien sur la majorité de la population se borne à venir voir le samedi comme sur les Champs Elysées

    Réponse
  7. ici un stade de plus – dans le quartier commerçant les boutiques se pressent – rue Joseph Vernet celles de frusques assez haut de gamme sont là, sans beaucoup de clients visibles mais elles tiennent le coup mais des antiquaires et décorateurs ferment et leurs boutiques restent vides et bien sur la majorité de la population se borne à venir voir le samedi comme sur les Champs Elysées

    Réponse
  8. Je suis bien d’accord avec toi.
    J’ai quitté Toulouse 5 ans, et depuis mon retour, je constate avec stupéfaction ici comme ailleurs, à quel point ce gouvernement de droite nous a usé. à avoir trop serré ma ceinture, j’en suis arrivée à la jeter par la fenêtre.

    Je ne comprends pas pourquoi Sarko représenterait le "Messie, le sauveur", c’est tout le contraire qui va arriver !!

    Nous allons tous nous retrouver dans des bidonvilles d’ici 5 ans, ou il nous faudra aller nous perdre dans les campagnes pour survivre..
    la ville c’est la misère, pas un mètre carré pour cultiver des salades !! ;-))

    Réponse
  9. moi aussi, ancienne toulousaine, je suis choquée par la dégradation de cette ville…tout est sous grille et sous code : appartements en ville, lotissements autour plus des centres commerciaux squelettiques-comme abandonnés cf Basso Cambo le terminus du métro qui est hallucinant avec un coté pile de zone en deshérence et un coté face sur le parking pour les gens qui posent-reprennent-juste leur bagnole aprés le métro pour rentrer dans leurs lotissements de + en + privatisés; les uns se protègent contre les autres de peur de devenir l’autre ? les grandes villes révèlent les symptômes de notre société à 2-3-4 vitesses avec leurs géographies d’évitements communautaires soigneusement dessinées pour surtout ne pas se mêler à ces autres qui font de + en + peur ?
    bonne chance pour l’écrit de votre concours même si je pense qu’en territorial les dés sont pipés par le piston à l’oral eh oui là aussi il n’y a pas d’égalité de traitement et ça va pas en s’arrangeant !

    Réponse
  10. Bonjour,

    je voulais juste vous proposer une vidéo que j’ai mise sur le net. Et ce dernier parle justement du "grand fossé".

    Allez voir là : http://intarissable.over-blog.com/a

    Merci.

    Réponse
  11. Moi, ce que je trouve incroyable, c’est tous ces politiques qui se sont suivi FAIRE COMME SI TOUT ALLAIT BIEN. Alors que ça saute au yeux ! Ça va mal, très mal ! Alors que leurs « idées » n’ont jamais fonctionné, que ça ne fonctionne pas et que ça fonctionnera jamais. Est-ce qu’ils veulent que ça pète (quand le système sera au bord de l’explosion) ? Et le pire, c’est que l’extrême droite a adopté ce discours (du « tout cassé ») et qu’ils ont encore plus de chance d’être élu ! Qu’est ce qu’on va faire quand J.-M. Le Pen sera élu président ? Et avec un PS et un UMP qui ne sont même plus crédible quand ils font leurs promesses… Aie Aie

    Réponse
  12. Qu’est-ce qu’on va faire si le Borgne est élu ? C’est plutôt qu’est-ce qu’il va faire, lui, et son équipe de bras cassés, et là où je ne suis pas si flippée que ça, c’est que justement ce sont des incompétents de la chose publique, et que je ne suis pas sûre du tout qu’ils s’avèrent capables de faire quoi que ce soit…

    Déjà, diriger une municipalité, ils sont pas très bons, même quand ils ont un boulevard dégagé devant eux. Est-ce qu’on joue à se faire peur, ou est-ce qu’on peut sérieusement croire qu’ils seraient capables de driver le pays ? Est-ce que notre administration, nos autres élus *républicains* ne pourraient pas leur mettre des bâtons dans les roues, ne serait-ce qu’en opposant une force d’inertie, de façon à conduire le pays vers une crise institutionnelle, lors de laquelle les *républicains" reprendraient le contrôle des institutions ? Est-ce que la clique du Borgne est assez nombreuse pour s’imposer à la tête de l’Etat ? Je ne le crois pas.

    En outre, je rappelle qu’il ne suffit pas de gagner l’Elysée, mais aussi – ET SURTOUT – les législatives…

    Réponse
  13. @ ko : En outre, je rappelle qu’il ne suffit pas de gagner l’Elysée, mais aussi – ET SURTOUT – les législatives…

    Gagner ? D’abord, qui ? Ensuite, pour quoi faire ? Si c’est "pour battre la droite", c’est vraiment insuffisant.

    Regardez en Italie. Berlusconi battu, youpiiiii ! Et ensuite ? Que fait Prodi ? Ses premières mesures ont débloqué (le bon terme m’échappe là) certaines professions pour les "ouvrir à la concurrence", et sa priorité est de rembourser la dette. Ça valait bien la peine de "battre" l’autre.

    Regardez en Allemagne. L’opposition a disparu, puisqu’elle gouverne avec le vainqueur des élections (pendant que le socialiste Schröder est devenu PDG). C’est d’ailleurs ce qui nous pend au nez, par exemple si Bayrou (le chéri du Web et des internautes déconnectés (des réalités)) gagne.

    Quand comprendra-t-on que les élections ne changent rien ? Cela ne veut pas dire que je suis contre elles, après tout donner son avis une fois de temps en temps, pourquoi pas, mais cela ne servira à rien. Seule compte l’action sur le terrain.

    Tiens. Une grève générale, de la consommation. Chiche ? Plus de gadgets, téléphones, TV, radios, journaux, voiture, voyages… Juste le strict nécessaire. Ils auront très vite la langue pendante, nos élites.

    Réponse
  14. Oh, quand je dis ça, c’est juste pour éviter le pire. Je suis, au fond, certainement aussi sceptique que toi, Bruno, mais nous vivons ici et maintenant, il faut bien en tenir compte.

    Réponse
  15. Déconnectés, les électeurs de Bayrou ? Pas si sûr, la France a finalement toujours été gouvernée au centre (ou par des militaires…) alors…

    Réponse

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