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On refait le match

Par Agnès Maillard
23 décembre 2005

De la démocratie comme d’une rencontre sportive.

Nous vivons dans une démocratie parlementaire.

Cela suppose la séparation et l’indépendance des trois grands pouvoirs : l’exécutif, le législatif et le judiciaire.
Autrement dit et vite dit, le gouvernement propose, le parlement dispose, les forces de l’ordre font respecter et les juges appliquent.
Bien entendu, cela ne tient pas compte d’autres grands pouvoirs non démocratiques qui ont bien pris leurs aises ces derniers temps, comme les médias ou les milieux financiers.

Chacun, et c’est de bonne guerre, tente de tirer un peu plus la couverture à soi et essaie par divers subterfuges de rogner un peu plus de pouvoir que ce qui lui échoit naturellement.

Petits arrangements entre amis.

C’est ainsi donc que l’exécutif avait décidé de faire de la question du projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information une affaire urgente, tellement urgente qu’elle s’est retrouvée programmée à l’Assemblée Nationale les 20 et 21 décembre derniers au coeur de la nuit, à une encablure des fêtes de fin d’année.
La société civile veillant au grain, ce qui devait être une petite veillée funèbre pour le logiciel libre et autres incongruités non-marchandes en comité restreint s’est retrouvé brutalement mis en lumière grâce à la mobilisation massive des internautes. Du coup, pas de loi passée sous le boisseau, mais de vrais débats passionnés avec des vrais votes qui ont conduits à l’impensable : le rejet de 2 amendements du DADVSI, malgré des pressions diverses et variées.

Les démocrates avaient commencé à se réjouir légitimement de cette petite victoire législative qui se trouve n’être pas du goût de monsieur Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et donc, à ce titre, membre de l’exécutif. Du coup, il décide de revenir sur ce vote des députés[1], en le reportant à une période plus propice à la réalisation de son bon vouloir. Parce que voilà, l’Assemblée légifère en toute indépendance, dans la mesure où cela ne contrarie pas le gouvernement.

Pour comprendre toute la portée politique de cette histoire, rien ne vaut un petit exemple bien parlant.

Aux chiottes l’arbitre!

Imaginons un match décisif entre le PSG et l’OM. Déjà, on trouverait devant le petit écran bien plus que les 678 habitués de LCP… Imaginons ensuite qu’en plein milieu du match, alors qu’un soudain retournement donne une confortable avance à l’OM, l’arbitre siffle l’interruption du match. Déjà, ça chaufferait dans les tribunes.
Puis que l’arbitre explique qu’il reporte le match à une période ultérieure plus favorable au PSG et qu’on rejouera alors le dernier but, histoire de redonner aux Parisiens l’opportunité de gagner le match, conformément aux vœux de l’arbitre.

Bien sûr, ce n’est qu’un exemple et en plus je n’y connais rien en foot! Ce dont je suis sûre, ce que dans les minutes qui suivraient ce serait la guerre civile en France avec des exactions qui feraient passer les événements de banlieue du mois dernier pour une plaisante kermesse d’école communale!
Tout le monde réclamerait la tête de l’arbitre sur un plateau avec du persil dans tous les orifices et on verrait un tas d’experts et de personnalités monter au créneau, envahir les espaces médiatiques pour dénoncer ce coup d’état sportif, cet intolérable détournement de l’éthique sportive, ce parti-pris honteux, et d’aucun de chercher qui a bien pu acheter ce salopiot d’arbitre, ce furoncle honteux planté au derrière de la fierté nationale comme un herpès suppurant au coin des lèvres d’une jeune mariée. La populace, furax qu’on lui confisqua ainsi un grand moment de fraternité et d’égalité, envahirait Les Champs Elysées, réclamant la tête du traître et exigeant immédiatement la tenue d’États Généraux des grandes instances sportives, la remise à plat du système et de ses règles et une distribution gratos de bibine pour tous! Un grand élan populaire déferlerait à la face des suffisants, des méprisants et des corrompus qui s’empresseraient de balayer devant leur porte et de remettre les clés de la ville au bon peuple, avant de fuir au loin en passant par Varennes! Bon sang de bois, on verrait de quoi sont fait les Français, et on garderait un souvenir ému pour des générations de ce grand soulèvement spontané pour plus de justice, de paix et tout ça!!!

Mais ce n’est qu’un exemple, une image, une manière d’illustrer mon propos.

Parce que dans la vraie vie, ce n’est jamais que la démocratie qui vient de se faire trousser comme une fille de joie dans l’enceinte où débattent les représentants du peuple.

Donc nulle colère, nul Grand Soir, il ne s’agit que de petites affaires entre amis, loin de nous, loin des vrais préoccupations de nos concitoyens : quelle robe pour le réveillon? Dois-je acheter une dinde équitable? Comment s’empiffrer pendant les fêtes sans ressembler à une barrique à la rentrée? Pourquoi dois-je toujours trouver des cadeaux nuls, chers et inutiles, à la dernière minute le 24 décembre, faisant chier les vendeurs qui n’ont pas besoin de rentrer chez eux, retrouver leur famille? Dois-je me prosterner devant une icône Coca-Cola?

Bref, des vraies préoccupations, pour des vrais patriotes qui font claquer la carte bancaire pour soutenir l’économie marchande pendant qu’ils le peuvent encore et qui laissent les vrais professionnels de la politique s’occuper des questions ennuyeuses au mieux de leurs intérêts.

Finalement, on a la démocratie que l’on mérite!

Notes

[1] Dont un bon nombre de sa propre majorité!

12 Commentaires

  1. A noter qu’en dernier ressort (oui, le second vote n’est pas le dernier ressort), il est possible d’utiliser l’article dit « 49-3 » qui évite tous les amendements et toutes les discussions.

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  2. C’est une honte cette histoire … Sans parler du fait que si malgré tout le vote à lieu, le Sénat pourra annuler tout cela … On nous a menti, nous ne sommes pas en démocratie 🙁

    Il faut tout faire pour changer notre constitution et redonner au mot démocratie, son véritable sens.

    Réponse
  3. Pour une fois, ces députés m’ont fait mentir : je me suis dit, ça y est, les députés vont être corruptible avec 9euros 99 de bons d’achats ou de services (pour ce qui est du visible),… ça ne s’est pas déroulé ainsi. Les députés ont su sortir du vote automatique de parti, appuyer leurs propos à la veille des fêtes en horaires décalés, même de proposer des solutions équitables, et ne pas se couper d’environ 9 millions de citoyens, pas si voyous que ça. Quand j’entends que « l’attrait de l’adsl était le téléchargement de fichiers musique et cinéma », alors qu’ils nous l’ont tous vendu… que personnellement je l’utilise pour les fichiers texte et images (et de logiciels libres de droit, comme tout le monde, sans même sans rendre compte parfois), les arguments des pro-répression m’agacent. Les filières musique et cinéma ne se sont pas modernisées, et c’est encore la faute à qui ? Le chômeur qui ne s’adapte pas est puni par l’éviction et la chûte sur le macadam avec des humiliations en sus… Les artistes qui râlent ne voient pas qu’en se regroupant et en réfléchissant par exemple sur de nouvelles pratiques, pourraient percevoir leurs droits d’auteurs un peu plus directement, par choix de l’internaute (découverte facilitée). Quand l’offre correspond aux besoins, pas de nécessité de répression (et de traçage de la vie privée : merci pour le cauchemar ; et l’étranglement de la création libre, hors multinationales/gros profits/dents longues/qui se foutent des gens). Le pouvoir d’achat baisse depuis plus de 20 ans, mais les producteurs et distributeurs ont quand même ces dernières années multiplié par deux le prix d’un album, par deux la place de cinéma. Qui n’a pas pris compte de l’évolution des besoins et des moyens des consommateurs ? C’est la base du commerce. Qui n’a pas pris compte des envies, des recherches accrues des citoyens, en matière de culture ? C’est la même pensée qui a prévalu lorsque certains voulaient fermer des bibliothèques, ou faire payer le prix fort l’habitant de la commune, alors que le marché des livres n’étaient pas dans ses beaux jours (mais quels livres ?). Si le gouvernement passe en force, lui et les lobbies vont se mettre à dos énormément de monde… les utilisateurs d’internet (de toutes catégories sociales, et de toutes générations), mais pas seulement. Si besoin, je n’irai plus à la fnac et Cie, et je n’achèterai de cd qu’au chanteur du métro qui galère (je sais, c’est peu, mais c’est dans mes moyens, je ne suis pas informaticienne), et je sais depuis longtemps pour qui je ne voterai pas.

    ………. Je profite de ce post, pour te souhaiter de bonnes fêtes, Monolecte…………

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  4. Bonnes fëtes à tous ceux qui ne sont pas désespérés par QuiVousSavez
    Pour cette fête offrez vous le livre gratuit en « open source » accessible à « http://www.kitetoa.com/Les_Livres/Roman/sommaire_roman.shtml »
    c’est une excellente réponse à l’apel de ce site pour suite d’énervement de l’OM

    Réponse
  5. Joli billet 🙂 comme d’hab jai envie de dire enfin non d’écrire 😉

    puis je me joins aussi aux autres pour souhaiter à la « bloggeuse » de bonnes fêtes de fin d’année qd mm 🙂

    Réponse
  6. N’empêche que quand on se donne la peine de monter au créneau, ça marche… Suffit de la refaire la prochaine fois ! Et Joyeux Noël, ma douce… 🙂

    Réponse
  7. salut, leLol a relaté sur son blog et avec des liens très comme il faut un exemple de démocratie européenne au sujet des droits-logiciels. on peut donc faire le lien entre la démocratie pourrie de bruxelles-strasbourg et celle de paris.
    en fonction de quoi, on se rappelera que la france à participer à la création de l’europe et lui a donné ce qu’elle savait faire de mieux : « niquer » la démocratie.
    mais bon, c’était l’exemple du jour. si on devait faire l’inventaire des dénies de démocratie de nos gouvernants…

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  8. Je ne comprends pas : c’est moins clair avec l’exemple du match. La réalité est plus évidente ; vous n’avez pas voulu voter comme je voulais ? Ben vous revoterez, point. Entre temps on vous aura « expliqué ». (méthode connue : « nous n’avons pas assez expliqué ») On a déjà la même attitude, ou presque avec le truc pour l’Europe. Vous avez voté non ? On est un peu déçus mais de toute façon on va vous maltraiter, à cause de votre vote et on va faire comme si ceux que ont dit non sont des sous produits de français. Et on peut décliner cette attitude : pas d’accord sur les privatisations ? vous vous fichez des dettes que vous accumulez… vous manifestez ? faudra changer car les manifs ça ne représente plus rien… vous faites grève ? dangereux syndicalistes bornés qui n’hésitez pas à prendre des otages pour préserver vos honteux avantages exorbitants. Bof…

    Réponse
  9. Ce que je met en évidence, c’est que très problement, si on s’amusait à faire rejouer un match de foot jusqu’à ce que le score corresponde aux voeux de l’arbitre, on aurait une véritable levée de boucliers, mais que quand il s’agit juste des fondements de notre démocratie, tout le monde s’en branle pas mal!

    Réponse
  10. tu pousses quand même un petit peu quand tu dis que tout le monde s’en branle. et bon, l’exemple reste un propos de débat, fondé sur aucun fait avéré, donc toute conclusion hative ne vaut pas vérité.
    ne penses tu pas, vu le nombre de visiteurs et de commentaires sur ton sites, que justement de moins en moins de monde s’en fout, de plus en plus de monde cherche une autre source d’information. et que tout le monde est en quête d’une alternative politique que ne nous propose plus l’opposition actuelle, qui aurait justement le rôle de crier haro sur le baudet quand celui-ci galvaude les principes de la démocratie.
    pour reprendre ton exemple, c’est comme si l’om représentant la gauche était comme larrons en foire avec le psg de droite, son ennemi, pour truquer les résultats à leurs entiers bénéfices.
    ça s’est déjà vu. et y a pas eu mort d’hommes pour autant. comme quoi, le foot ne rend pas si idiot que ça…

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  11. Juste pour dire que réduire la fonction de la politique à la « pédagogie » est le symptôme que la démocratie a disparu et que le règne de l’expert politique est arrivé. L’expert politique n’est responsable de rien. Il sert qui paie ou qui le flatte. L’expert peuple les cénacles politiques (premier ministre en France, non-élu; directeur général de l’OMC, non élu; rédacteurs de la « constitution européeen trois ex-élus, etc.), il décide et puis il explique, il ne convainc pas, il éduque. Il y a d’ailleurs des experts spécialisés en ré-éducation du peuple (ne pas confondre avec l’éducation du peuple) : tous ces hommes et femmes politiques qui ne demandent plus au peuple, à leur électeurs, ce qu’il veut mais patiemment (il faut bien le reconnaître le peuple est têtu) lui explique ce qui lui fera le plus grand bien.

    Et si on commençait à leur rappeler que de leur expertise nous n’avons nul besoin ! que chaque fois qu’un candidat dira « je vais vous expliquer » on cesse de voter pour lui !

    Réponse
  12. Sommes-nous dans une démocratie ?

    En fait, le système d’élection tel que nous le connaissons est très imparfait et ça ne date pas d’hier. On sait que le vote blanc n’est pas comptabilisé et, par conséquent, qu’il nous oblige à faire des votes stratégiques.

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