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La vie comme elle est

Par Agnès Maillard
9 juin 2011

La vie, c’est juste l’intervalle de temps qui s’écoule entre le moment de sa naissance et celui de sa mort.
La question fondamentale est de savoir comment occuper le temps dont nous disposons.


La bête à bon dieuAutrement dit, tout est dans les choix. Ceux que nous faisons ou ceux que nous laissons d’autres faire à notre place, en sachant que ces derniers sont généralement bien moins satisfaisants que les nôtres et qu’ils sont lourds des regrets que l’on ne manquera pas d’avoir au bout du compte.
Le problème, c’est que choisir, c’est renoncer. C’est forcément oublier certains rêves et certaines espérances, juste parce que nous n’avons qu’une seule vie à dépenser et qu’il n’est pas possible de tout y faire.

J’ai longtemps été paralysée par la nécessité du choix et par l’impossibilité intrinsèque de savoir à l’avance si le choix est bon ou non, s’il est décisif ou anodin. Parfois, c’est un choix pour rien. Choisir d’habiter dans telle ville ou dans telle autre, ce boulot et pas l’autre. On peut avoir l’impression trompeuse qu’il s’agit là des choix qui changent une vie, mais en fait, rien n’est moins sûr. Parfois, l’ironie nous démontre que tel choix qui nous avait tant torturés au moment de le faire n’avait finalement qu’une faible incidence sur le déroulement du reste de notre existence. Qu’en fait, tous les choix étaient biaisés et que toutes les routes conduisaient forcément à notre Rome intérieure. Comme une trajectoire, plus ou moins rectiligne, mais dont le terminus est inéluctable. Il y a des endroits, des gens, des situations que, finalement, on ne parvient pas à éviter. Tout comme il y a d’autres buts que l’on ne peut jamais atteindre, quelles que soient l’énergie et la volonté que l’on mobilise pour cela. Parce qu’en fait, une partie de nos choix se fait en dehors de nous ou plutôt, profondément en nous, sous la ligne de flottaison de notre conscience, là où se nichent nos obsessions, nos désirs profonds, nos haines insurmontables, tout ce qui n’affleurent qu’à peine à la surface de notre personnalité, mais qui est le substrat sur lequel nous sommes réellement construits. Je crois que c’est cette forme déterminée de notre existence que nous avons tendance à appeler destin, histoire de donner un sens à ce qui nous échappe forcément.

La plupart du temps, nous choisissons les grandes orientations de notre vie sans même le savoir. Il est même rare de pouvoir en prendre conscience. Ce sont des petits riens qui changent tout. Le fait de sortir chercher du pain à pied plutôt que d’aller au supermarché en voiture. Ce jour-là, nous ferons la rencontre qui change la vie, mais sans même esquisser l’idée de ce qu’il serait advenu de nous si nous ne nous étions pas retrouvés ici et maintenant. Un sourire, un geste, la couleur d’un pull, une pièce qui roule vers une bouche d’égout, une cheville tordue, juste un instant d’inattention, juste une flaque de lumière et c’est une nouvelle vie qui commence sans même que nous le sachions. J’appelle ça les nexus, les points de convergence de notre existence à partir desquels une multitude de choix nous est offerte. Le vertige s’empare de moi seulement quand je hasarde un coup d’œil en arrière et que je me rends compte que de la multitude des possibilités qui s’ouvrent devant nous, il ne reste une seule voie étroite sur laquelle nous tentons de survivre. Car tout est là : choisir, c’est ne prendre qu’un seul chemin et oublier instantanément tous les autres.

Prendre conscience du maillage du temps et des possibles est la pire des choses qui soit. Car choisir n’est plus avancer, c’est juste fermer toutes les portes à l’exception d’une seule. Vient alors le temps du doute affreux qui égrène son temps perdu en de vaines contemplations. Parce qu’à aucun moment, il ne nous est possible de mesurer les conséquences de nos choix, le temps de la décision s’étire jusqu’à nous priver, justement, de toute possibilité de choisir. On n’est plus alors qu’un fétu de paille emporté dans la tempête du temps qui se joue de nous comme d’une particule élémentaire et insignifiante, livrés à l’arbitraire des choses qui se font sans nous et malgré nous. C’est le moment où l’on comprend que ne pas choisir, c’est choisir quand même, mais contre nous. C’est le moment où l’on comprend que ce qui compte, c’est effectivement de savoir qui l’on est, ce que l’on veut vraiment et ce que l’on est prêt à sacrifier pour y arriver.

J’ai longtemps cru en la suprématie de la raison sur l’instinct, de la réflexion sur la passion, du calcul sur la pulsion. Ce qui est juste aussi, quelque part, ce qui fait de moi un humain conscient plutôt qu’un petit animal réagissant au gré des circonstances. Mais cela me limite, m’interdit l’accès à ma musique intérieure, celle qui se compose chaque jour de ma vie, celle qui me permet finalement d’être en harmonie avec moi-même et m’offre l’incroyable possibilité de faire les bons choix, ceux qui vibrent en accord avec moi-même.

Pas de regrets, jamais.
Et pas d’envies non plus, parce que chaque cheminement, du plus médiocre au plus fabuleux, comporte sa part de petits bonheurs et de grands renoncements, parce que l’accomplissement de soi n’est pas nécessairement glorieux et tonitruant, il est des vies qui sont d’autant plus réussies qu’elles n’ont été qu’un long écoulement tranquille et sans heurt, un don de soi, un hymne à la vie, tout simplement.

La vie comme elle est 1

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19 Commentaires

  1. Oui, en fait, on a des cheminements parallèles, surtout sur ton papier d’aujourd’hui. Ce sont effectivement les rencontres qui te permettent de voir le monde autrement, ce sont surtout elles qui te font progresser sur ton chemin intérieur et mes derniers jours ont été plus riches en rencontres et en interactions fécondes qu’en écriture.

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  2. J’imaginais la frontière en choix et réflexe plus épaisse…

    Sinon, sur le thème du choix, écoutez Barry Schwartz sur le sujet du "Paradoxe du choix": http://www.ted.com/talks/lang/eng/b

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  3. "il est des vies qui sont … un hymne à la vie, tout simplement."

    Le temps n’existe pas, il est issu de notre imagination et s’éteint en nous avec nous.
    Le choix non plus du coup, car seul l’instant est la réalité, quoique nous fassions, quoique nous espérions, calculions, quoique nous décidions, devenions, nous ne sommes toujours que ce "petit animal" habité, animé de son instant propre, pour l’éternité de lui-même, maintenant seulement.

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  4. Et quel sentiment de vertige, les yeux attirés par la petite publicité pour Courrier International, en découvrant la campagne "Apprenez à anticiper". Quelle magistrale démonstration des conséquences des choix qui peuvent être faits ! Avec JFK, le 11-septembre…

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  5. Superbe texte !

    P.S. : j’ai juste une objection quant à la notion de choix (cfr. Spinoza)

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  6. Bonsoir Agnès. Comme j’aime vous lire. Cela me nourrit, me conforte dans mon rapport au monde, et parfois j’ai honte de mon manque d’action, d’engagement, à coté du votre. En tout cas vous me faites du bien.
    Pour ce qui est du/des choix dans la vie, plus vous suivez votre inclinaison personnelle et plus vous êtes libre. Là est le paradoxe !
    Suivre son inclinaison personnelle, c’est faire ce pourquoi on est sur terre. Ce n’est pas aussi facile ou agréable pour tous, mais aller contre nature c’est pire que tout.
    Je ne crois pas au hasard. Celui qui vous aborde, qui vous sourit ou vous agresse , le fait à cause de ce que vous dégagez, votre aura, présence etc…ce qui l’a attiré, agressé, intéressé … vous le portez sur vous.

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  7. Joli texte.
    J’aime votre description du chemin du choix que nous avons tous à emprunter dans le choix ou le non choix effectivement, dans l’action ou la passivité. Et que c’est dure d’agir, d’être en mouvement, d’être l’acteur de ses choix, l’acteur principal de sa vie. Parfois il parait plus supportable d’être témoin d’une vie qui passe, une vie sans soi…
    Choisir demande de l’énergie et du courage. Se saisir de soi!
    J’ai l’intime conviction que sur notre route il y a des opportunités, petit caillou ou raccourcis que l’on prend ou pas, car justement nous avons cette capacité de choisir, une autre manière de parler de la destinée.

    "Ne décide rien, choisis"

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  8. Heu… je crois que je suis surtout une grande inculte, en fait. 😉

    Réponse
  9. "Choisir, c’est renoncer."

    Agnès est un grande sartreuse … 🙂

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  10. … ou si c’est une grande gidiennne ?

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  11. Belles pensées.
    Bien exprimées.
    Les conséquences des choix. Et la relativisation des conséquences de ceux qu’on a fait et qui nous paraissaient insurmontables par le passé.
    Déjà, une remarque, notre perception du temps est que le passé est immuable, et que l’avenir est ouvert. Mais laissons passer quelques années et d’un coup ce qui était ouvert est devenu immuable. Finalement, en tant que futur passé, l’avenir est peut être déjà immuable ? 😉 .
    Moi, lorsque j’ai un choix cornélien à faire, je n’hésite pas à le jouer à pile ou face (quand c’est un choix binaire et que les deux solutions me conviennent).
    Pour ce qui est du substrat qui nous compose et contre lequel on ne peut rien (et sous entendu qui décide à notre place), je pense que la remise en question (énergique et volontaire) de soi et l’esprit d’analyse, nous permettent de nous émanciper au moins un peu de ce que nous impose ce substrat, et qu’on gagne des degrés de liberté en les travaillant tout au long de notre existence.

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  12. Les choix que nous faisons n’ont pas été raisonnés pour la plupart, mais sont en accord avec notre "musique intérieure", notre personnalité profonde (construite tout au long de notre existence, les fondations remontant à notre enfance – bien peu "raisonnable"). C’est pourquoi il est si essentiel de bien "se connaître soi-même" pour comprendre sa destinée, l’accepter, et éventuellement essayer de l’infléchir quelque peu.

    Réponse
  13. Justice de Paris devront dire si refuser d’encourager l’occupation est un crime, une incitation à la haine et à la violence. Rendez-vous le 17 juin prochain.

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  14. La raison peut faire plein de choses formidables. Elle peut nous construire une voiture, nous permettre de retrouver le chemin de la maison mais elle ne nous dira jamais ce qui est bon pour nous. Elle ne nous dira pas si le choix a été le bon, elle ne nous rendra pas heureux.
    Une phrase que j’aime bien : "Nous sommes des êtres spirituels sur un chemin humain" (je ne sais plus l’auteur). L’erreur est de croire que le chemin nous menera là ou nous sommes déjà.

    merci pour ce texte Agnès,
    Mathieu.

    Réponse
  15. Bonjour Agnès,

    Voici plusieurs fois que je relis ton texte, c’est toujours intéressant de te lire, mais celui-là me laisse particulièrement perplexe, bien qu’il se tienne parfaitement, logique et cohérent.

    Sans nul doute, pour moi, cette histoire de "don de soi" du dernier paragraphe qui constitue une part de la conclusion m’a toujours rappelé un fondement de l’enseignement chrétien; j’y flaire l’arnaque et j’ai toujours éprouvé à cet endroit une méfiance "instinctive", une aversion viscérale.

    Parce qu’enfin qu’est-ce que ce don de soi sinon précisément laisser les autres choisir pour vous et s’en contenter? Sincèrement, considérer la vie comme l’écoulement d’un long fleuve tranquille et dire béatement merci, c’est justement là que réside l’arnaque.

    Mais au de-là de ça, bien souvent pour ne pas dire la plupart du temps, on n’a justement pas le choix. Ou plus exactement, on l’a, mais entre quoi et quoi? Rarement entre ce qu’on voudrait et ce qu’on ne voudrait pas, mais plus généralement entre deux choses qu’on ne voudrait pas, et le choix se situe alors entre le pire et le moins pire, il est de toute façon insatisfaisant. C’est un choix très relatif.

    Dans le cas des femmes, par exemple (un domaine que j’ai bcp scruté durant de nombreuses années parce qu’il me tenait particulièrement à coeur, que j’avais une fille et que j’étais -farouchement- décidée à ce qu’elle puisse avoir un éventail de choix plus large que celui que j’ai eu), dès le départ, les choix sont orientés et limités. Certains choix seront donc très difficiles pour ne pas dire impossibles face à l’adversité.

    Réponse
  16. post 16 :
    "dès le départ, les choix sont orientés et limités. Certains choix seront donc très difficiles pour ne pas dire impossibles face à l’adversité."

    Et oui, cela s’appelle la Vie, c’est à dire le Présent et non la projection imaginaire de nos désirs, de notre volonté ou de nos regrets !
    Il est à remarquer que, dans l’instant, si nous nous attachons à accomplir au maximum l’ensemble de nos exigences sur nous-mêmes, pour l’essentiel, il ne restera du hasard que son piment !

    Réponse
  17. @ #17
    Oui enfin "la Vie", elle laisse nettement plus la faculté de choisir et un plus grand éventail de choix à certains plus qu’à certainEs à capacités égales dans un même milieu, ce qui change la dose de piment du hasard à avaler. Disons que le hasard est très orienté comme par hasard.

    Réponse
  18. @Floreale
    Il me semble que c’est dans la qualité de ce qui nous est donné que l’on est, non dans celle que l’on estime d’autrui.

    Réponse

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