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10 mai 2010

Dès que j’ai aperçu le mouvement furtif de sa silhouette en tête d’épingle au pied des tours jumelles, j’ai su qu’il était pour moi.


C'est beau, une ville, la nuitDe retour sur la rue Mandel, alors que la nuit se délave à peine en outremer au-dessus de la cité endormie. Mes voyages pour Paris ont toujours cette saveur particulière des dernières heures de la nuit, celles des couche-tard et des lève-tôt, ces deux populations que tout oppose, sauf d’improbables rencontres blafardes dans un théâtre d’ombres silencieuses. L’air est vif, mais doux, juste cette caresse de fraîcheur qui finit de rincer les paupières lourdes d’un sommeil interrompu. La rue Mandel est un canyon vide et silencieux, une balafre rectiligne qui s’enfonce dans le cœur de Bordeaux, juste ourlée de la tresse de lumière orange de l’éclairage public.

Je suis seule.
Même les oiseaux étirent leur flemme encore quelques minutes pendant que l’aube peine à s’élancer à l’assaut du ciel.

Au début, il n’a même pas été un mouvement, juste une idée de mouvement, écrasée par la perspective de la cité administrative. Puis, il est devenu un clignotement, celui de sa minuscule silhouette qui alterne l’ombre et la lumière des lampadaires.
Orange. Gris. Orange. Gris.
Il grandit au rythme de sa progression solitaire. Je me demande ce qu’il voit de moi. La masse brune de mon manteau déjà trop chaud. Ou peut-être rien, une ombre de plus au pied de l’arrêt de bus, une irrégularité dans l’alignement morne des façades.

Il porte une sorte d’uniforme d’un vert de gris délavé, un peu avachi, surmonté d’une casquette assortie. Il trace sa route qui va passer au ras de mes bottes en prenant bien soin de ne pas arrêter son regard dans le mien. C’est toujours un peu intimidant une rencontre nocturne dans une ville morte, comme un extrait de film de fin du monde. Il est à peine un peu plus grand que moi, probablement plus vieux dans son personnage sans âge et son regard déteint s’acharne à fixer l’horizon fermé de la rue. Droit devant. Un pas devant moi. Son regard qui ne parvient pas à éviter de glisser vers le mien, toujours aussi impudique dans sa soif de photographie mentale.

  • B’jour

Il a le souffle malaisé et la voix rauque de ceux qui ne se paient pas de mots.

  • Bonjour

Sa nuque ralentit pendant que son pas hésite, que son torse, comme vrillé par une force irrépressible, se tourne lentement vers moi.
Encore un pas qui chevauche l’autre sans parvenir à s’enfuir et il me fait face.
Je ne cille pas. J’attends.

  • Vous savez, les bus sortent à peine du dépôt, ils vont bientôt arriver.
  • Oui, je sais. Je vais prendre le premier train. Vous allez travailler ?
  • Oui, comme tous les matins, depuis Libourne.
  • Putain, c’est loin, ça doit vous faire tôt.
  • Ben oui, mais qu’est-ce que vous voulez, madame, je n’ai pas le choix.
  • Oui, je sais, nous n’avons pas beaucoup de choix.

Il est rattrapé par son élan, hasarde deux pas de plus vers le centre-ville, hésite, s’arrête, hésite encore. Je sais qu’il va revenir, je sais que, comme souvent, j’ai rompu une digue, là-bas, quelque part dans sa gorge, quelque chose qui se dénoue et qui exige de jaillir.
Il revient vers moi.

  • Vous savez, moi, j’ai toujours bossé, toujours, dès 16 ans, j’ai trimé. Se lever tôt, ça me connaît et le boulot, ça me fait pas peur. Et pourtant, j’ai galéré. Là, tel que vous me voyez, j’ai tout perdu, j’ai perdu ma vie, j’ai rien. J’aurais jamais de femme, jamais de gosses, c’est foutu pour moi. Je vis chez ma mère, là-bas, à Libourne, et tous les matins, je viens ici. Putain, à un moment donné, j’ai même dû aller chercher ma bouffe à la soupe populaire, oui, à la soupe populaire. La bouffe qui rend malade. Regardez comme je suis, ma vie est foutue. Moi, je vous le dis, ça peut pas durer comme ça. Partout, les gens se préparent, parce que ça peut pas continuer comme ça. Oui, madame, les gens se préparent, je vous le dis, et ça va chier. Mais regardez qui bosse aujourd’hui? Qui prend le boulot? Dans les chantiers, y a plus de Français, que des étrangers. Les Français, ils veulent pas se fatiguer. Moi, j’ai bossé sur les chantiers. J’ai trimé dur. Jusqu’à ce que je ne puisse plus. Je ne suis pas un feignant, moi, madame, jusqu’à ce que je puisse plus. Et là, j’ai eu le droit à rien. Quand t’es dans la merde, t’es seul. T’es toujours seul. T’as plus d’amis, t’as plus rien. T’es seul. Et si tu t’appelles pas Mohamed, t’as le droit à rien. Juste de crever. Oui, madame, tout seul.

J’ai tout écouté, sans bouger, sans rien dire, juste en soutenant son regard fatigué que des éclairs de colère animent parfois. Le flot de ses paroles ne s’est pas tari, il reprend juste son souffle. Je pense qu’il n’a pas dû parler autant depuis bien des années.

  • Vous faites quoi comme boulot, là ?
  • Je bosse au cimetière. Un boulot de la ville. Un drôle de boulot où j’en ai vu, des gens pleurer. À ce moment-là, madame, on est tous pareils, oui, tous pareils, on pleure tous pareil. Oui, j’en ai vu des gens pleurer…
  • Et tous les matins, vous venez aussi tôt de Libourne?
  • Oui, madame. C’est que je n’ai pas le choix, c’est tout ce que j’ai trouvé. Mais ça va pas durer, vous savez, ça va pas durer longtemps comme ça, encore. Souvenez-vous de ce que je vous dis. Ça va pas durer. Bonne journée, madame.
  • Bonne journée à vous aussi. Et bon courage.

Et il repart, de sa drôle de démarche d’automate, comme s’il ne s’était pas arrêté, comme s’il n’avait pas parlé, comme ça, longuement, pendant que la ville s’éveille enfin.

Le bus s’arrête enfin à ma hauteur, avec sa cargaison habituelle de forçats aux yeux cernés et tristes.

  • Je suis désolée, je n’ai pas du tout de monnaie.

Le chauffeur s’amuse de mon billet de 5 €

  • Non, mais ça va très bien ça.
  • Oui, mais sur le panneau de l’arrêt, ils disent en gros que ceux qui n’ont pas l’appoint, ils iront à la gare à pied.

Cette fois, il rit franchement.

  • Non, ça devrait aller pour cette fois. Il est à quelle heure, ce train ?
  • C’est le 7h22, je suis un peu en avance, mais je n’ai pas envie de le rater.
  • Bah, vous êtes très large et vous avez même le temps de prendre un café avec moi à l’arrivée, ajoute-t-il avec l’œil qui frise, en me rendant ma monnaie.

Et c’est nantie de la promesse d’un petit noir bien serré que je me laisse porter à travers la ville qui s’éveille enfin. Derrière les grandes baies du bus à soufflets, je vois se dérouler toute cette petite humanité de ceux qui doivent se lever tôt pour servir ceux qui ne se posent pas trop de questions. Pas de questions sur les entrailles de la machine qui leur fournit complaisamment croissants croustillants, nouvelles fraîches et chocolat chaud dès le saut du lit. Comme un dû. Comme une évidence. Comme un petit miracle chaque jour renouvelé au prix de bien des fatigues, bien des voyages, bien des renoncements. D’autres uniformes envahissent les trottoirs, les salopettes des balayeurs, des éboueurs, les blousons des cafetiers occupés à déployer leur terrasse, des fleuristes qui ouvrent leurs bouquets à l’ombre de leur devanture, les tabliers des bouchers qui débitent les escalopes des rombières. Le petit peuple des larbins est sur le pied de guerre quand les maîtres du monde ronronnent encore sous leur couette.

Les abords de la gare ont bien changé depuis mon dernier voyage, les travaux ont enfin laissé la place au tramway conquérant et les lumières étudiées rivalisent de clarté avec l’aube enfin triomphante. Mon chauffeur s’excuse de n’avoir que sept minutes à me consacrer, mais me promet ma revanche à mon prochain voyage. Lui s’est levé à quatre heures pour me mener à bon port.

Décidément, le monde appartient à ceux qui ont des salariés qui se lèvent tôt.

L'heure des braves 1

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34 Commentaires

  1. Oui, c’est un peu de ça que je voulais parler. La confusion, la colère, le ras-le-bol, gigantesque. Des rencontres impromptues et des éclats de vie.

    Réponse
  2. Pendant un temps j’ai bossé la nuit dans les paillettes et le strass des bordées de riches. Le chassez-croisé des larbins, toi qui vas te coucher et l’autre qui émerge, ça donne de drôle de gueules au comptoir, devant le petit café.

    J’avais à supporter les stupidités du genre : "ouais, mais toi tu fais un beau métier !". J’enviais assez régulièrement les éboueurs : au moins on leur foutait la paix, ils n’avaient pas à subir ça "en plus".

    Réponse
  3. Curieux, et inquiétant, le nombre de pauvres types qui sont convaincus que Mohammed est un privilégié.

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  4. Y’ en a qui ont le don pour faire parler les gens, on dirait 🙂

    Non, y’ a des moments (dans des discussions comme celle-là) où je me rends compte que la réponse à un commentaire, à une remarque, à une réflexion… a un poids, un sens, une signification, une valeur… énorme, gigantesque… ! En une phrase, en quelques mots… on dit tout un tas de choses, on dit un peu son jugement : soit on est dans le cliché, soit on est dans la compassion (avec peut-être un peu de condescendance), ou soit dans la compréhension la plus totale… Et ça va déterminer tout le reste de la relation / discussion.

    Et à propos de "privilégiés"… je crois que c’est (l’éternel) recherche d’un bouc émissaire. C’est tellement mieux (plus simple, plus pratique) de trouver un responsable. Par contre, je suis toujours étonné d’entendre ce cliché comme quoi une certaine catégorie "ne voudrait pas se fatiguer". C’est étonnant comment certains peuvent rester aveuglés… un aveuglement qui leur permet ensuite d’accepter ce qu’ils auraient trouvé inacceptable… Il faut croire que ça permet de faire tenir, d’avoir (comme ça) son petit bouc émissaire…

    Ce qui est bon signe, c’est le besoin de parler. D’ailleurs, c’est étonnant qu’on ait parfois cette envie de parler (qu’on soit écouté, ou pas d’ailleurs). On pourrait être des "sauvages" et pousser des cris (et taper sur des trucs)… mais non. L’homme est décidément un drôle d’animal 🙂

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  5. La lutte des classes change de visage… Le racisme devient bien ordinaire…

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  6. Le discours du gars n’est pas reproduit ici in extenso : c’était à la fois trop dense et trop confus. Parfois, il disait qu’il préférait travailler avec les étrangers, parce qu’ils ne sont pas faignants, puis il disait que des milices fafs se préparaient à nettoyer tout ça. Je pense que le gars votait FN parce que dans ce vote, il y avait la promesse du changement, du grand nettoyage, d’une vie meilleure… encore qu’il ne croit plus à la vie meilleure, juste un peu plus supportable. J’avais l’impression que les étrangers, pour lui, n’étaient pas la cible, juste des victimes collatérales d’une sorte de révolution fasciste qui le séduisait parce qu’elle lui fait miroiter un changement radical de société. Ce gars était à moitié fou de colère et de désespoir, quelque chose de vraiment dense et confus, comme je l’ai déjà dit. Je l’ai juste écouté vider son sac pendant 15 bonnes minutes, pratiquement sans rien dire. Rien de ce que j’aurais pu dire ne l’aurait aidé ou fait changer de perspective. Vraiment une rupture de digue. Et même si ceux qui me connaissent peuvent être dubitatifs, je peux vraiment n’être plus qu’une oreille attentive, savoir qu’on ne peut rien faire de mieux qu’écouter et prendre des notes mentales.

    Je croise de plus en plus de ce genre d’explosion de frustration et les dernières nouvelles du front de la guerre économique contre les peuples ne devraient rien arranger. Nos gouvernants devraient vraiment se sortir la tête d’entre la raie des fesses avant que toute cette colère ne leur pète à la gueule.

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  7. …en vous lisant…me demande pour qui il voté…me demande qu’est ce que cela change, changerait…me demande si ensemble on est plus quelquechose…me demande jusqu’où nous mêne la chute…

    Merci de prendre le temps d’écrire .

    Belle continuation

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  8. Rauque, la voix… Roque c’est aux échecs… Magnifique article

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  9. Je suis très émue par ce billet.
    La confusion et la colère de cet homme désespéré montre que lorsqu’on ne permet plus à ceux qui n’ont rien de rêver pour (pour du mieux, pour un monde qui change, pour la justice, pour un lendemain moins dur), la seule chose qui leur reste, c’est la colère contre. Et "on" leur a bien désigné contre qui décharger cette colère…

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  10. ça me fait penser aux Eloïs et aux Morlocks…2 faces d’une société à bout de souffle, qui a perdu ses repères…merci pour tes textes !

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  11. "Nos gouvernants devraient vraiment se sortir la tête d’entre la raie des fesses avant que toute cette colère ne leur pète à la gueule."

    N’en vient-on pas à la souhaiter, cette explosion ? Parce que quelle autre solution ? On peut toujours courir pour que les bénéficiaires du système lâchent le moindre minuscule privilège sans y être contraints. Par la force donc. Ça peut prendre la forme d’une grève générale. Mais qui y croit ? Qui croit que la somme des égoïsmes individuels, le poids du peu que chacun a encore à perdre, avec le crédit à rembourser et les études des gosses à payer, pourrait produire un mouvement collectif, pourtant seule issue possible ?
    On est salement dans la merde.

    Réponse
  12. "Nos gouvernants devraient vraiment se sortir la tête d’entre la raie des fesses avant que toute cette colère ne leur pète à la gueule."

    ben moi aussi après olivier ça me fait réagir cette phrase.

    biensûr qu’on n’évite pas de se le dire. mais en même temps, moi je ne crois pas que les gouvernements qu’on subit depuis fort longtemps craignent vraiment ça. j’ai un peu souvent l’impression qu’ils l’attendent patiemment. parce que eux, les moyens de faire du chambardement, ils les ont : les moyens logistiques, de propagande etc… donc, quand j’entends des trucs comme ce que vous avez relevé chez ce pauvre homme, ben ça m’effraie tout simplement : les masses contre d’autres masses. des massacres. puis de la répression sur les survivants.

    alors je m’accroche aux quelques personnes que je rencontre, que je cherche, qui ne sont pas comme ça, et qui cherchent aussi à faire le peu de bienveillance dont ils ont encore le pouvoir.

    y’en a. et eux aussi sont effrayés de tout ça, la haine et les bouc-émissaires des gens de peu, la bêtise et la domination malveillante des puissants.

    un peu partout, entre gens bienveillants, on en sait plus quoi faire.

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  13. Oui… une "rupture de digue", c’est bien dit. Oui, et ça sert à rien de répondre et d’argumenter… car le but c’est de faire baisser la pression. Mais je crois que c’est (quand même) bon de parler comme ça, au lieu de ruminer et de laisser la pression grimper. Et puis, je crois que c’est (que pour certains, peut-être) la première étape : en ayant parlé, on a cherché des mots… et ça, je crois que c’est le début d’une réflexion. Parce qu’on veut toujours avoir les mots justes pour décrire ses pensées. Et parce que dire les choses, c’est permettre aussi de les confronter à d’autres, à la réalité, à la vision d’autres personnes. C’est sûr qu’au début, c’est peut-être maladroit, et peut-être aussi complètement à côté de plaque… mais c’est un début, et ça c’est important.

    Réponse
  14. Les lève-tôt et les couche-tard ne s’aiment guère comme dirait Souchon. Il me souvient d’une de ces brèves bagarres à la fermeture d’une discothèque, après qu’un de ces révolutionnaires d’éboueurs eût heurté la noire Mercedes d’un de ces sombres gangs de couche-tard.

    Devinez qui gagna haut la main la sournoise rixe…

    Réponse
  15. Enfin, j’allais oublier, Agnès ! C’est un très beau texte, et cela faisait bien longtemps qu’au titre du roman noir, je n’avais pu en lire un.

    Et ce ne sont pas les bobos de chez Fleuve Noir qui risquent d’en éditer de nos jours.

    Réponse
  16. Tres beau temoignage…
    Merci!

    Réponse
  17. "N’en vient-on pas à la souhaiter, cette explosion ? Parce que quelle autre solution ?"
    Oui, alors moi j’ai de plus en plus peur que ladite explosion, elle soit encadrée par les armoires à glace au crâne rasé d’en face. Parce que ceux qui sont le plus à bout tendent sérieusement à trouver que bon, les arabes, quoi. Et que en face, justement, ils se préparent bien plus que nous à l’éventualité de la violence physique, pour dire ça comme ça.
    Donc, en l’état d’inorganisation actuelle des forces progressistes, comme on disait naguère, je souhaite pas trop d’explosion, va falloir trouver d’autres expédients.
    Très bon texte, au fait. Il en dit beaucoup avec une grande économie de mots.

    Réponse
  18. Les mots me manquent pour commenter. Vous êtes le complément idéal de "les pieds sur terre".
    Bravo.

    Réponse
  19. Sur la révolution qui monte, on y croit à fond :
    – crise financière : qq morts chez les spéculateurs comme à chaque crise, aucun bankster en prison, aucun trader en prison, Kerviel en sursis
    – crise industrielle : aucun mort, sauf à FT ! qq primes de licenciement pour calmer les foules, pas mal de chômeurs en plus
    – crise en Grèce : 3 morts, des sous-fifres employés de banque
    – crise en Roumanie (quasi du niveau de la Grèce) : aucun mort

    Bilan général de la "crise" après 3 ans : qq morts à tout casser, soit à peine plus que pour un match du PSG, et les révolutionnaires du NPA et de LO à 2%.

    Réponse
  20. Eh oui c’est un beau témoignage, témoignage de l’impuissance qui se met en délire de puissance.

    Le gars, il est mal en point, pas de sa faute, c’est ça le pire.

    Les problèmes sont chiants car organisationnels au fond et sur la forme aussi, techniques, chirurgicaux presque, à savoir s’abstraire du pathos en l’ayant reconnu pour aller faire un mieux réel. La tragédie c’est que les tragédies individuelles n’y changent rien, elles sont la démonstration de l’échec, la photo de l’écrabouillement des gus mal placés par une forme de hasard biaisé, ce qui est déjà pas mal en tant que valeur de témoignage. Sauf que sans prendre le pouvoir rien n’y changera, à part photocopier ce type de parcours à l’infini, malgré la noblesse que cela peut revêtir au coin du feu en se relisant satisfait de son bel ouvrage littérateur.

    Réponse
  21. Je ne juge rien, c’est toi qui le fait. Je ne dis pas ce qui est bien ou mal, je suis là, j’écoute et je retranscris. Non, je n’ai ni sympathie, ni pitié, ni colère, ni rancœur, ni mépris pour ce mec, j’ai juste saisi cet instantané, comme une photo prise à l’arrachée. C’est toi qui balance des jugements de valeur. Je ne me pose pas dans une optique morale, j’observe, je vois, j’écoute, je ressens le fond de l’air. Je passe le monde à la moulinette de la compréhension. Comprendre ce qui fait que cet homme s’arrête et me parle, ce qui nourrit ses paroles, ce qui le fait lever le matin. Ne pas ignorer qu’il existe, avec sa vie, ses mots, sa merde, ses idées. Un parmi tous les autres, un parmi nous tous.

    C’est parce que ces gens, personne n’en a rien à foutre, personne ne les écoute, personne ne les voit, qu’un beau jour, ça va partir en couille et que les gens qui savent auront l’air tout étonnés, comme d’habitude.

    Réponse
  22. Ah, et pour les mêmes raisons, je peux faire part de mes nombreuses conversations spontanées à l’initiative de voisins, de mecs paumés et autres clients habituels de troquets qui avaient le même contenu et la forme de celle que vous nous narrez.
    Ce genre de personnes a, contrairement à ce que vous insinuez, une facilité à se confier désormais tout à fait déconcertante, d’autant que dans le même temps elles ignorent à qui elles s’adressent.

    Réponse
  23. Pour habiter à Bordeaux depuis dix ans, je suis surprise de lire autant d’activités à l’aube dans cette ville morte jusqu’à huit heures, et complètement active pas avant dix heures… A part les bus et les poubelles…

    Réponse
  24. C’est que ce que je dis : pour que les boutiques, terrasses, journaux et autres soient prêts pour 9-10h, faut plein de monde qui bosse en coulisses dès potron-minet : le pain ne se fait pas tout seul, ni les croissants, ni les cafés. La ville est prête pour accueillir son public favori parce que des larbins ont des nuits sans sommeil.

    Réponse
  25. Raciste le monsieur ? Oui, mais il faut l’excuser, c’est un travailleur qui se lève tôt. Et comme il se lève tôt, il est forcément beau. Pas beau les autres racistes par contre, ceux qui ont un peu plus d’argent, car c’est ce petit plus qui fait la différence.
    Que connaissez-vous tous de ce gars ? C’est peut-être le dernier des connards. Arrêtez avec vos envolées à la noix qui ne sont là que pour justifier votre pseudo-tolérance. Et je le précise, je suis de gauche.
    Regardez les gens tels qu’ils sont et non comme vous voudriez qu’ils soient. Quel est le message exactement ? Les étrangers, des victimes collatérales pour ce si bel homme ? Ce texte, un beau témoignage de l’impuissance. Non mais je rêve. De quoi parlez-vous ? Il n’est pas au chômage que je sache, il gagne sa croûte. Alors oui, il n’est pas heureux dans sa vie, mais que connaissez-vous de sa vie, d son passé ? C’est ce genre de préjugés qui rend la société malade. Tout comme cette dernière phrase : "le monde appartient à ceux qui ont des salariés qui se lèvent tôt". Je connais plein de petits patrons qui se lèvent aussi tôt que leurs salariés et qui finissent leur boulot lorsque ces mêmes salariés ne sont pas loin du lit. Arrêtez les raccourcis.

    Réponse
  26. J’écoute aussi les gens riches, à l’occasion, c’est juste que j’ai moins souvent l’occasion d’en croiser…

    Réponse
  27. @22
    Oui, je juge les politiques, les médias, l’Éducation nationale, la société dans son ensemble, je juge ceux qui rendent les gens idiots et/ou fachos, je juge également ceux qui le sont (idiots et fachos), je juge les gens de gauche qui sous prétexte de compassion et de tolérance écoutent ou lisent quelqu’un balancer des conneries sans le critiquer tout cela parce qu’il est apparemment pauvre.
    Je juge de plus en plus d’ailleurs depuis que les gens de gauche me cassent (presque) autant les noix que ceux de droite, à quelques exceptions près.
    Mais il m’arrive aussi de me juger, et cela très souvent.
    Et ce sont toujours des jugements de valeur… jugements d’ailleurs dont ce blog ne manque pas, même si apparemment ce n’est pas le cas dans ce papier.

    Réponse
  28. D’autant que les riches sont souvent d’anciens pauvres, parfois pire…

    En fait, peut-être que les riches, il ne suffit pas de les écouter, encore faut-t-il savoir leur parler avec des arguments très persuasifs.

    Réponse
  29. Hélas , cette colère est vieille comme la nuit . . Que les puissants se rassurent , le jour l’étouffera une fois encore pour l’emporter vers de nouveaux jusques à quand . .?

    Réponse
  30. @ parhasardetparhumour (26)

    Ça avait l’air d’être une "rupture de digue" : il n’y a rien à répondre ! C’est juste le besoin de parler, que ça sorte, de mettre des mots… Ce genre de situation, ce n’est pas tellement l’occasion d’argumenter ou de débattre.

    D’ailleurs… où, et quand, est-ce qu’on a l’occasion ? C’est vrai, ça. Si on ne se sent pas concerné, on a jamais l’occasion d’y réfléchir, d’en parler, etc. ! À la limite, il y a les discours des politiciens. Mais autrement, pour une très grande majorité (j’imagine), c’est le grand vide… et c’est (justement) la porte ouverte à tous les préjugés, tous les clichés, etc. !

    Quand tout va bien, il n’y a pas de problèmes. C’est quand ça va mal que chacun a son avis sur la question, chacun sait ce qu’il faut faire, etc. et ce, quelles que soient leurs compétences sur le sujet. (Est-ce que c’est ce qu’on appelle l’effet Dunning-Kruger ?)

    Réponse
  31. Encore un texte magnifique. Plutot sombre, mais vraiment beau. Merci d avoir autant de talent. C est vraiment un grand plaisir de te lire.

    Réponse
  32. C’est rare, ce que tu fais, écrire sur un vécu sans tenter de l’instrumentaliser. On a envie de juger, d’expliquer, de théoriser et tutti quanti. Simplement parce que ça fait peur, quand même, cette tristesse, ce désespoir.

    Dur de résister à la tentation de fuir, de rationaliser tout ça pour se sentir mieux, ou plutôt moins mal.

    Réponse
  33. Votre récit comme un coup de poing à l’estomac. Montre un grand talent. Sans rire, on dirait du Zola.
    Merci.

    Réponse
    • Quand ma prof de français me disait que j’écrivais du Zola, ce n’était pas forcément un compliment… ????

      Réponse

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