Sélectionner une page

Insondable incommunicabilité des êtres

Par Agnès Maillard
13 août 2009



Sortir du bled, c’est retourner immanquablement à la condition humaine moderne, celle de l’urbain cosmopolite quelque peu pressé et compressé, c’est replonger dans le maelström à la fois vivifiant et oppressant de la foule toujours en mouvement, c’est aussi se rendre chaque fois un peu plus compte que l’on n’est jamais aussi seul qu’au milieu de ses semblables. J’aime, non, j’adore me mouvoir dans le flux humain, j’adore plonger au cœur de cette vie intense et déroutante sécrétée par les grandes cités. J’aime me fondre dans le mouvement, me laisser porter par le rythme erratique de la foule, saisir des bribes de conversations au vol, des éclats de voix, l’alchimie intime et parfois vaguement écœurante des miasmes humains. J’aime me fondre dans la masse impersonnelle des passants puis, un peu à contre-courant, capturer des fragments de vie, saisir l’instant fugace, le moment presque fulgurant où tout se dit, se livre, juste dans une posture, un mouvement suspendu, un geste inachevé, une esquisse de couleur et de lumière.

Je suis une voleuse d’images, une vampire sensorielle. Je me nourris, je nourris mes mots, mes sensations en me frottant à mes congénères, en détournant des éclats de vie. J’accumule la matière brute et vivante, j’alimente mon univers sensible par cette collection sans cesse réinventée, sans but, sans ligne directrice autre que de forger ma propre humanité, ou, en tout cas, de m’en donner l’illusion.

Je suis dans la foule, je la sens et je la ressens, je traque ces instants que je restitue ensuite, en mots ou en images, comme des témoignages de ce que nous sommes, de ce que je suis. Je tisse du lien, à ma manière, je jette des passerelles arachnéennes dans le seul but de combler les distances qui nous séparent, de combler le vide qui s’écoule entre nous et finirait par nous envahir, inexorablement, si nous n’y prenions garde.

19 Commentaires

  1. Bravo …

    Réponse
  2. Bonjour Agnès, bonjour tout le monde.
    Personnellement, je n’aime guère me fondre dans une foule compacte, anonyme et imprévisible dans ses mouvement browniens. A force de trop voir de gens, on n’en voit aucun. C’est difficile à gérer. Je ne sais pas ce qu’en pensent les habitants de Tôkyô, eux qui arrivent à un niveau de compressibilité terrible.
    Les mouvements des foules font que l’on a déjà beaucoup de mal à s’orienter, à marcher dans la bonne direction quitte à remonter le flot. Pendant ce temps-là, reprendre ses esprits, observer, remarquer les signes, les mimiques et les postures n’est pas exactement facile, sauf à s’isoler légèrement.
    La foule, c’est bien, mais à condition de ne pas s’y perdre.

    Réponse
  3. Merci pour vos appréciations, ça me touche, vu le caractère expérimental du bouzin. Il s’agit pour moi de produire un contenu plus estival, c’est à dire avec moins de gros textes de fond, parce que les lecteurs sont plus rares et plus fugaces, tout en continuant à tisser du lien et à alimenter la réflexion. Je nomade rarement, en tout cas pas assez à mon goût, et pour une fois que ça m’arrive, autant en faire profiter tout le monde.

    Cette légèreté, tout au moins dans la quantité, me laisse espérer dégager assez de temps pour le projet de l’été, à savoir réussir à enfin finir ce foutu recueil de textes du Monolecte en format papier, à l’usage des technophobes et de ceux qui préfèrent lire aux chiottes. Il me faudrait aussi trouver urgemment une activité rémunératrice, sachant que mon boulot principal, graphiste, c’est mort de chez mort et qu’il faut continuer à payer le loyer.
    D’ailleurs, si quelqu’un a une idée de boulot qui paie le loyer, je prends!

    Réponse
  4. Et est-ce que la foule lit Le Figaro ?
    Référence à :
    https://blog.monolecte.fr/2009/
    😉

    Le plaisir va, à mon avis, dépendre du type de foule.
    Si c’est une foule cosmopolite, c’est agréable, voir limite jouissif…
    Mais il y a des foules où on a surtout envie de mettre un casque sur les oreilles, et mettre la musique à fond, aussi…

    Réponse
  5. Vraiment très très bien, cette nouvelle orientation de tes derniers billets, Agnès : un point de vue, une sorte de travelling avant, "au ras des gens". En plus, des photos à la hauteur des textes.

    Réponse
  6. C’est un très beau texte avec une très belle image.

    Histoire de mettre mes gros sabots pas fins dans la délicatesse d’un tel billet, j’ajoute que cette photo est une allégorie très illustrative de la disparition des petits métiers, ce pigeon voyageur déplorant certainement son remplacement par un apparel téléphonique devenu lui-même voyageur.

    Réponse
  7. Luis Bunuel disait avec humour et vérité : " J’aime la Solitude… à condition de pouvoir en parler à quelqu’un". Avec ton article, voilà qui est fait et joliment fait 🙂

    Réponse
  8. L’immersion sensorielle dans l’intimité des foules implique forcément l’absence de jugement de valeur. Que la foule soit souriante ou haineuse, fluide ou cahotique, les sensations sont toujours bonnes à prendre, ne serait-ce que pour comprendre la richesse de la palette émotionnelle humaine… Bien sûr, il y a des collisions qui sont douloureuses, des cohabitaions qui écorchent, qui blessent et usent, mais il y a aussi des instants de grâce, à saisir avec la délicatesse d’un voile d’ariagnée emporté par la brise.

    Réponse
  9. Agnès, madame monolecte… Des années que je vous lis. Moi je préfère les textes militants et les papiers de fond que ce dernier bousin qui plonge dans le je, quoique je le trouvasse plutot bien rédigé, comme d’hab.
    Sinon, juste pour dire, je suis chef de projet, beaucoup de com institutionnelle (si, si, l’horreur !) et je bosse très régulièrement avec des graphistes free lance, et de plus en plus à distance (je suis dans le sud mais plus à l’est que que vous, mais pas (surtout pas) en paca.
    Si je peux avoir un lien vers un portefolio pro, je veux bien regarder et prendre contact pour la rentrée, j’ai deux ou trois trucs sur le feu à designer, entre web et print…
    Ca pourrait boucher les trous de tréso…
    Amitiés
    Sylvie

    Réponse
  10. Bein le Gers, c’est peut-être la petite Toscane côté campagne, mais côté ville, c’est plutôt le désert. Evidemment, la vallée de la Dordogne et la proximité de Bordeaux aurait facilité les choses dans le domaine du tourisme. Mais enfin si tu cherches un boulot pas vraiment chiant et même intéressant, fatiguant mais pas vraiment mal payé, pour payer au moins ton loyer, moi je te conseillerais franchement et sincèrement accompagnatrice touristique (guide est un +), de mai à octobre ça devrait le faire pour toute l’année (et ça permet aussi de faire pas mal de photos à l’occasion, toi qui aimes…).
    Parce qu’enfin crise ou pas, des touristes il y en a toujours, les gens ont besoin de prendre l’air et de se changer les idées.
    Tu devrais pour cela te renseigner sur les circuits touristiques et les agences qui les proposent. Au départ de Bordeaux doivent exister des circuits dans la vallée de la Dordogne, Bordeaux est certainement une escale de croisière. Mais plus près de chez toi, en Armagnac, doivent eixter des circuits sur les caves & vignobles, et autres circuits enogastronomiques d’une journée. Ou des circuits de châteaux & bastides, églises romanes/abbayes, sûrement.
    Impératif: parler correctement anglais avec un accent pas pourri, (dans ton coin, l’espagnol est sûrement un +). Ne pas oublier que la France est le pays le + visité du monde avec ses 12 millions de touristes annuels. Et + de la moitié sont les britanniques (bien qu’ils soient dans la panade depuis la parité de la livre avec l’euro et que le change ne leur soit plus avantageux comme avant, mais enfin il en reste quand même et de toutes façons dans le sud-ouest il y a aussi bcp de hollandais, incorporés aux "anglophones" dans les circuits). Si en + plus avec le temps tu peux t’arranger avec les restau/caves etc, pour avoir un pourcentage sur les ventes, tu peux même te faire des bonnes journées sans te crever + que ça, toi qui es encore jeune. D’autant que les britanniques et les anglo-saxons en général sont habitués à laisser des tips. Enfin il faut supporter la chaleur (et d’être dehors par tous les temps d’ailleurs) et être bonne marcheuse. Etre bien équipée question vêtements (adaptés au temps, bonnes chaussures), et si tu es guide ne pas hésiter à investir dans un petit micro portatif pour ne pas s’égosiller. C’est un travail varié, on a pas le temps de s’ennuyer. Voilà voilà, une idée pas plus mauvaise qu’une autre, qui peut- d’ailleurs être aussi utile à d’autres.
    http://www.tourisme-gers.com/fr/Org

    Réponse
  11. salut, monolecte.

    lecteur assidu, c’est mon premier post.

    d’habitude, je n’ai rien à ajouter, et d’autres se chargent mieux que je ne le pourrais des éreintements ou des bravos.

    si vous traînez encore du côté de beaubourg (sauf erreur de ma part, c’est bien là qu’a été prise cette photo ? inclinaison, pavés, pigeons …), faites-moi signe, je travaille régulièrement dans les tuyaux (bibliothèque), on causera colère, fleurs, et peut-être bien … escalade.

    (vu flickr)

    claudio

    Réponse
  12. Bonjour,

    moi non plus je poste jamais bien que lectrice assidue depuis lgtps. Et comme le dit claudio, d’autres sont plus à même de commenter mieux que je ne le ferais.
    Par contre, si je peux me permettre juste un petit conseil, une petite idée. Comme tu es dans la comm, tu peux contacter des agences de presse ou de com de ta région pour des piges qui te permettraient de travailler de chez toi. Je reconnais que ca n’est pas facile en ce moment mais il faut exploiter toutes les possiblités. C’est tout ce que j’ai trouvé en ce qui me concerne pour le moment et je m’en contente faute de mieux. Et je n’ai plus envie de me défoncer comme avant… Certes c’est pas la panacée mais si tu arrives à fidéliser tes collaborations, ca permet de mettre du beurre dans les épinards voire plus si la chance te sourit.

    Réponse
  13. Bonjour et merci pour ce billet tout en perceptions pleines de vie..
    "capturer des fragments de vie" je pense que c’est ainsi que persiste de l’humanité contagieuse , même dans la foule…
    ëtre capable de se sentir seul(e) pour être capable d’être ensemble, avec "des esquisses de couleurs et de lumières"antidote aux inconvénients et risques sommeillant dans chaque foule

    MERCI

    Réponse
  14. A vrai dire, je cumule déjà plusieurs boulots comme pigiste et graphiste, mais plus rien ne paie. Comme j’aime à le répéter ces derniers temps, ce n’est pas le boulot qui manque mais la rémunération qui allait habituellement avec…

    Réponse
  15. Que dire, la foule il vaut mieux en faire son sel que de la rejeter.

    Pour le boulot, plusieurs boulots est une solution, pigiste, graphiste, guide touristique…

    Pour ma part, j’ai toujours privilégié de faire ce qui m’amuse, inventer des trucs plus ou moins abracadabrants ou baroques, l’impression de perdre mon temps autrement, ça ne m’a valu que des déconvenues en France, maintenant je continue à m’amuser en Allemagne. Là j’y suis bien payé et tout le reste, sans compter l’intéressement au chiffre d’affaire sur mes inventions, comme quoi le nomadisme a du bon même si il est difficile.

    Morale, il faut trouver le moyen de faire ce qui nous plait, sinon ça sonne faux.

    Réponse
  16. C’est vrai, comme disait Fernand Raynaud, qui était loin d’être un saint, ça a eu payer mais ça paye plus. De mon côté ça tourne, mais j’ai eu pas mal de galères et de déménagements avant de m’expatrier, avec plutôt de la réussite désormais, mais le chemin fut long et n’est pas fini.

    Vouloir innover en France c’est trop souvent peine perdue, trop de hobereaux prétentieux et crétins, pourtant je suis pas vraiment politiquement à droite. En Allemagne, même si ils y sont aussi des humains imparfaits, je les trouve nettement moins bornés et agressifs. Le fameux système D ou ENA français m’a l’air en panne, bien qu’il se prenne pour un beau paon.

    Bonne chance pour vous en sortir, il le faut bien, il m’en a bien fallut et il m’en faudra encore : " noch ein mal ".

    Réponse
  17. Tu vois Agnès, ce que tu décris fais aussi partie du "sentiment amoureux". On a la capacité d’aimer ou on ne l’a pas. Tu aimes écrire, et on aime ce que tu écris. Surtout parce que la gentillesse est passée de mode et passe pour de la niaiserie.

    En ce qui concerne le boulot (@17), je n’ai pas de conseil sauf celui de prendre des décisions, de bouger. Tu as vraiment un talent d’écriture. Tu devrais écrire un livre, ou travailler sur le livre d’un photographe ou d’un artiste. Beaucoup de ces gens-là ne savent pas se mettre en valeur.

    En fait, le temps que tu passes à écrire ici, pour te distraire ou pour "sentir" l’humanité, est peut-être du temps perdu pour t’investir dans un projet. Je me demande si tu n’as pas peur de sauter l’obstacle et que tu attends des autres l’encouragement à le faire.

    En ce qui me concerne, n’hésites pas. Moi, tu me bluffes !!

    Pierre Meur,
    Belgique

    Réponse

Trackbacks/Pingbacks

  1. La société de l’entre-soi | Le Monolecte - […] c’est exactement ce que le monde a raconté ensuite : l’incommunicabilité, l’absolue conviction que nous avons chacun d’avoir raison plus…

Laissez une réponse à Romane Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Merci de votre soutien

Soutenir Le Monolecte, concrètement!

Mon dernier livre

Comprendre l'antisémitisme
Version papier : 13€HT

Crédit photo couverture : ©Beth Jusino

Version numérique

Livre numérique Comprendre l'antisémitisme
Agnès Maillard
Le Monolecte
6,49 €

Commentaires récents

Mes réseaux sociaux

  • Mastodon
  • Seenthis
  • BlueSky
  • Sens Critique
  • Diaspora
  • Flickr
  • Instagram
  • LinkedIn
  • Page Facebook
  • Profil Facebook

Catégories

Archives

août 2009
L M M J V S D
 12
3456789
10111213141516
17181920212223
24252627282930
31