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23 janvier 2009

Parce qu’il n’y a pas que la politique, la crise, les nazes, les mauvaises nouvelles, un monde qui marche à l’envers et le plus grand braquage de tous les temps qui n’en finit pas de tous nous ruiner, je me suis laissé entraîner par de drôles de fréquentations bloguesques dans une petite aventure d’écriture collective.
Pour se changer les idées, le début de mon cadavreski, rien que pour vous. Et si ça vous a plu, vous pouvez vous goinfrer tout le bouquin.

Tout d’abord, Lucien entend le claquement caractéristique des talons sur le lino et l’écho de ce pas alerte qui rebondit sur les murs verdâtres des couloirs. Il sait qu’il y a une fille en approche. Une fille et non une infirmière dont les sabots de plastique rendent l’écho de la marche plus sourd. Une fille et non une femme, qui ne marcherait pas aussi vivement, portée par l’élan de la vie encore fraîche, qui gonfle la poitrine des filles et pulse aux tempes des garçons. Une promesse de fille qui va débouler à l’angle du couloir où il est engoncé sagement dans un fauteuil trop grand pour lui. Une fille qui martèle le sol avec la vigueur d’un général de conquête, une fille qui sait tracer sa route en sandales à petit talon agressif quand d’autres se contentent du chuintement feutré des semelles de caoutchouc de leurs espadrilles informes.

Il lève à peine les yeux de la revue derrière laquelle il tente depuis un bon quart d’heure de se composer une attitude détachée et elle entre déjà dans son champ de vision, encore plus fantasmatique qu’il ne pouvait se la figurer. Des couleurs et des volumes, qui ondulent. La masse ambrée de la mousse de ses cheveux. La danse chaloupée de l’ourlet de sa robe à grosses fleurs rouge, une mousseline de crêpe vaporeuse probablement récupérée dans une friperie et qui épouse chacune de ses courbes, chacun des mouvements amples de sa chair pleine. Une peau veloutée et mate, presque ton sur ton avec les cheveux, des traits fins et gourmands, un demi-sourire rêveur qu’il entrevoit à peine. La fille est magnifique, bien que nettement plus pulpeuse que les critères de papier glacé sur lesquels il tente vainement de s’exciter depuis déjà quinze minutes. Tout est rond, tout est plein chez elle. La chair, ferme et abondante, tressaute dans la petite robe d’été à chaque pas décidé et la poitrine, opulente et incroyablement haut montée, bat la mesure de la course de la marcheuse. Tout est généreux dans cette vision, frais, voluptueux comme une pêche mûre et fraîche dont on aspire amoureusement le jus un après-midi d’août sous la ramure apaisante d’un mûrier. Tout est tapage et grâce, vigueur et féminité extrême.

Il est totalement subjugué par cette fille qui passe devant lui comme s’il était peint de la même couleur fatiguée que le mur derrière lui. Mais pas au point de ne pas remarquer le mouvement fluide de son bras gauche au moment même où elle attrape tout naturellement un stylo plume qui dépassait de la poche d’une blouse blanche pendue à une patère dans un renfoncement de porte, presque juste devant lui.

Il en a déjà vu des pickpockets dans leurs œuvres. Il connaît toutes les ficelles du métier, tous les trucs, mais là, c’est purement de l’art, une telle continuité dans le geste, un tel naturel dans la préhension que l’on pourrait penser que la main est animée d’une vie propre, totalement indépendante de sa propriétaire. Ce n’est même pas un vol, c’est une libération de l’objet, des retrouvailles, un retour dans le juste ordre des choses. Déjà, le stylo a disparu, peut-être dans son petit sac noir qui bas ses flancs en cadence. Déjà, l’apparition sublime s’éloigne, suivant son propre rythme, sa propre route dans ce qui doit être son monde à elle. Il pourrait, il devrait se lever, réduire en trois enjambées vives l’écart qui se creuse entre eux, la saisir fermement au poignet et couper net son élan en lui plantant sous le regard sa carte professionnelle. Il devrait vite saisir la chance de découvrir son visage, son regard, d’entrer dans sa sphère d’odeurs de fille. Il déboulerait dans sa vie aussi abruptement qu’elle venait de le faire dans la sienne, il marquerait son territoire, briserait ses rêveries itinérantes, mais ce serait comme vouloir capturer le parfum d’une rose au petit matin, toucher l’impalpable, emmurer le furtif. Il briserait le charme de cette rencontre qui n’en est pas une, souillerait la magie du moment. Ce serait comme vouloir boire un bon verre d’armagnac avec des doigts graisseux de frites de Mac Do. Un sacrilège.

D’un autre côté, s’il ne déplombe pas son cul du vieux fauteuil avachi, la fille va juste disparaître pour toujours par la porte au bout du couloir et il retournera à sa vie de merde.

À suivre…


Le Cadraveski au titre définitivement provisoire est donc une œuvre collective de vingt clavioteurs au long cours, vingt petites nouvelles qui content l’étrange cheminement d’un stylo aventureux. Le bouquin final, fruit de plus de 6 mois de boulot intense et harassant est pourtant proposé à prix coûtant aux heureux acheteurs.

J’espère que le résultat vous plaira. Critiques et coups de gueule seront les bienvenus.

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20 Commentaires

  1. Belle initiative, avec de belles plumes du web, bravo 🙂

    Réponse
  2. Merci, Chris, pour ton gentil commentaire sur Polar d’eux : ça m’a vraiment fait plaisir. Cela dit, ma nouvelle n’est pas vraiment un polar, encore qu’il y a bien le flic, la femme fatale et tout, ou alors un polar social d’anticipation 😀

    Réponse
  3. ""A partir d’aujourd’hui, il faut compter 72 heures pour la fabrication du livre commandé et 48 heures pour la livraison. ""

    çayé , j’ai commandé .
    Ce que j’ai lu ici m’a plu et je suis curieuse de lire un recueil de nouvelles rédigées par un groupe de 20 auteurs .

    Réponse
  4. Pas de probléme, kamrade Claudia ….j’édite chez Thebook et ça fonctionne nickel…

    Impression à la demande (pas de pilon) et papelard recyclé ;ben oui faut le dire !

    Bonne chance à cet ouvrage en tout cas, et surtout que ça se sache ;bordel ….

    Réponse
  5. Chouette !
    moi qui commençais à tourner en rond dans des lectures pas drôles…
    Continue, ça a déjà un petit goût de trop peu !

    (ah, juste une coquille : « sac noir qui bat ses flancs »

    Tchô !

    Réponse
  6. C’est une blague?Vous essayez de vous foutre de la tronche de qui?C’est pour voir si vos lecteurs sont con et gobent tout?C’est pas le 1er Avril?
    Je prends du catherine Millet,j’ajoute du Dashiell Hammet,un peu de F.Darc,du Devillier.

    Sur France inter ,la nuit ça se faisait,c’était d’un chiant…..
    C’est pas possible,vous n’avez pas pondu ce truc:la nana avec des gros nibars qui se tortille du troufignac.

    Ca veut dire quoi:La contrainte oulipienne de chaque auteur était donc de prendre cet objet ?

    Peut être êtes vous serieux aprés tout,ben là c’est grave docteur…..

    Réponse
  7. J’aime. J’achète.

    Il y a tout de même un truc qui m’a fait tiquer :
    "Tout est généreux dans cette vision, frais, voluptueux comme une pêche mûre et fraîche…"
    Je trouve que "fraîche" arrive trop vite sur les talons de "frais". Je préférerais quelque chose comme "… dans cette vision, frais, voluptueux comme une pêche mûre dont on …" ou bien "… comme une pêche mûre, tout juste cueillie, dont on…"

    Ceci dit, c’est juste mon opinion, et je ne suis pas écrivain. Et j’aime, dans cette même phrase, "mûre, ramure, mûrier" : je trouve que ça donne du rythme.

    Réponse
  8. Je ne vous savais pas la plume à ce point conteuse, Mâme Monolecte, mes félicitations !

    Réponse
  9. C’est qui ces mauvaises fréquentations bloguesques ? 😉
    Nota pour TontonRaoul >> la coquille a été corrigée dans le texte publié…

    Réponse
  10. Ah si je ne faisais pas autant de "fôtes d’hortografe", je vous aurais volontiers rejoint.

    Mais bon c’est pas "graf"

    Réponse
  11. Un mail qui me dit que mon bouquin est prêt.
    On va me l’envoyer , c’est rapide .
    @Chris : ne m’avais tu pas dit que ton livre était en "reécriture" ?

    Réponse
  12. @Claudia

    Que nenni, il est en vente depuis un moment ( la petite Isabelle corse natio-facho à déja déposé sa crotte à l’entrée d’ailleurs, sous le gentil prénom de Jean-Baptiste) mais à part cela , grace à des joutes forumiques endiablées et d’excellentes critiques, ça se diffuse plutot bien.

    D’autant que dans un mois , il devrait sortir en plus, sous une édition plus aboutie( un éditeur associatif ).

    Et du coup ,,j’en ai deux autres sous le coude, ""Rip Deal " et ""Le soleil se léve à l’est"…..

    Pis ensuite, si je suis encore vivant : ""sociale délinquance " ….une sorte de …..

    Mais pour l’instant, c’ est bientot l’heure de la manif !

    Réponse
  13. Merci Claudia! Par contre, faut lire les nouvelles dans l’ordre : elles se suivent. Enfin, les situations s’enchaînent de l’une à l’autre. Je conseille vraiment de suivre l’ordre, puisque chaque auteur a reçu la fin de la nouvelle précédente comme point de départ de la sienne.

    Réponse
  14. çayé , j’ai reçu mon livre .
    Présentation sobre , agréable , un vrai livre , le couverture est sympa .
    Je vais prendre le temps de lire quelques nouvelles ce week-end et commencerai par "la seiche" de Mme Monolecte .

    Réponse
  15. Arghh! Je n’ai pas résisté , curieuse comme une puce et j’ai lu "la seiche" que je viens de terminer .
    Pour la suite , je lirai donc les nouvelles dans l’ordre .
    Pour "la seiche" mon commentaire à chaud :
    C’est bien foutu , cela se lit comme on boit du petit lait .
    Une description probablement à peine caricaturale du harcèlement moral en entreprise , un personnage féminin qui distille une force mentale et une sensualité folles , une chute pleine de fraicheur . Surprenante dans le bon sens . Un clin d’œil , du moins je l’ai ressenti ainsi .
    Un récit pétulant , bien écrit , bien construit , complètement contemporain (cela pourrait se passer dans l’immeuble d’à coté ) et que je recommande .
    Mme Monolecte , je vous adresse mes très humbles félicitations .

    Réponse
  16. Voilà , j’ai refermé "cadavreski" .
    Je l’ai lu d’une traite aujourd’hui .
    Une réalisation passionnante , je suis trés agréablement surprise .
    Cette juxtaposition de tranches de vie joliment reliées entre elles par le bel objet mystérieux , fait de ce cadavre exquis un cadavre bien vivant qui ressuscite inlassablement l’interêt en ne lui laissant que peu de temps de s’assoupir lors des diverses chutes .
    Ce livre abrite une pépinière d’authentiques auteurs , doués pour le registre de la nouvelle et pour la langue française .
    Ce fut un moment de lecture très agréable , autant pour le fond des histoires (que je ne vais pas dévoiler ) que pour leur forme souvent magistrale au niveau de la construction des récits et de l’écriture .
    Merci à vous tous et mes sincères compliments .
    Bonne continuation sur les fantasques chemins scintillants de la Plume .
    Nous savons tous depuis l’enfance que la Terre est une orange bleue .
    Veillons à ne jamais l’oublier et protégeons jalousement nos rêves .
    Dans le partage .
    Merci d’avoir partagé .

    Réponse
  17. Merci Claudia pour ta participation à l’œuvre commune (le lecteur ne participe-t-il pas à la vie du livre?). Je suis contente que l’ensemble t’ai bien plu, mais je te soupçonne d’être un chouia trop indulgente sur ma contribution. Je ne suis pas très satisfaite de ma fin, mais je ne suis pas parvenue exactement au point où je voulais amener mes personnages. Je voulais une note de légèreté, mais pour le coup, je trouve que ma légèreté a chaussé des semelles de plomb.

    Quoi qu’il en soit, il s’agissait là d’un galop d’essai pour ma part (je soupçonne mes co-auteurs d’être plus aguerris que cela) et tes encouragements me pousseront probablement à persévérer, à travailler la fiction pour m’améliorer, encore et toujours, comme les lecteurs de ce blog m’ont toujours poussée au cul! 🙂

    Réponse
  18. Pour ta contribution , je persiste et je signe , elle est excellente , tout comme ta chute .
    Pense ….le plume érigée en arme de défense !
    N’est-elle pas celà aussi ?:-o)
    Relis ton blog , ta plume est étincelante .
    Une épée .
    Et on rejoint la chute de ta nouvelle .
    Voilà Madame 🙂

    Réponse

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