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Cinq particules de bonheur

Par Agnès Maillard
26 août 2008

Finalement, je vais participer à une chaîne. Je vais même faire mieux, je vais lancer la mienne, une belle chaîne libre, sans entraves, avec de belles pépites de joie dedans.


Le principe est simple : on fait ce que l’on veut! Ceux qui veulent participer peuvent librement le faire sur leur blog, inviter des potes à en faire autant en leur envoyant des mails, des pings ou des pigeons voyageurs, le faire dans les commentaires ici s’ils n’ont de pas blog à cet usage, le faire sur des forums, en IRC, voire sur un coin de nappe au resto avec des potes, voire sans écrire, juste en en parlant autour d’une bonne bière mousseuse, ou avec leur grand-mère ou avec leur chat. Vous n’êtes même pas obligés de me citer, mais si vous décidez de laisser un lien, un mot, une note ou un bouquet de fleurs, c’est sympa aussi.

Le thème de ma chaîne :

Cinq choses qui vous rendent heureux

Sunset sur les Landes

Vous pouvez vous contenter d’une liste, de cinq mots, de cinq paragraphes ou de cinq romans.
Vous pouvez aussi parler de 8 choses, s’il y en a plus ou de 2, si vraiment ce n’est pas la joie.
Le plan, c’est juste de partager 5 petits éclats de bonheur avant de se cogner le retour au turbin.

Notre fille

De toutes les choses qui ont pu m’arriver jusqu’à présent dans mon existence, la plus formidable de toutes n’a pas tant été d’avoir un enfant que de le regarder grandir. Presque chaque jour, je regarde notre fille et je suis bouleversée de voir cette créature, qui peut être absolument infernale par ailleurs, s’étirer comme une étrange guimauve vivante. Chaque fois que je repense au petit être vagissant qui est entré dans ma vie dans une grande gerbe de sang et que je vois ce qu’il est devenu en seulement cinq petites années, je ne peux m’empêcher d’être complètement admirative. Même sa petite moue boudeuse de sale gosse même pas trop gâtée est touchante. Notre fille propage les purs instants de grâce par vagues successives, entrecoupées de tempêtes de cris et de pleurs. Nous tenons le cap, fermes dans nos bottes bien droites, nous appliquant sans faille dans notre job de parents sans cesse réinventé, nous ne lâchons jamais le morceau, nous éduquons coûte que coûte, mais le soir venu, quand le petit monstre se repose enfin, ses traits relâchés laissent voir le petit ange que nous aimons tellement voir bouger, sauter, rire, babiller, pleurer, raconter des histoires, galoper prestement en agitant ses petites jambes fines qui ne cessent jamais de tricoter et de s’étirer. Je me nourris chaque jour de cet étrange ballet, de cette voix d’écureuil sous acide, j’empile avec soin toutes ces sensations dans l’attente du moment où elle partira à la conquête du monde.

Se coucher

Bouton de rose

Le fait que j’adore notre fille ne m’empêche absolument pas d’apprécier la détente qui suit immédiatement le moment où on l’a couchée, où commence le temps des adultes, du couple, le temps pour nous : films, livres, écritures, surf, c’est notre deuxième journée qui empiète largement sur la nuit, jusqu’au moment où le regard dévisse, le dos s’affaisse, la pensée se met en berne. C’est alors, à bout de course, au bout de tout, que je peux me glisser en fin dans mon lit où le corps entier se détend, s’écrase lourdement sur le matelas. Ce moment d’abandon, de jouissance dans le lâcher-prise est l’un des meilleurs de la journée, il s’exprime dans un gros soupir satisfait alors que l’esprit glisse lentement dans le sommeil. Et grâce à un usage judicieux de la sieste, ce pur moment de bonheur animal peut être répété dans la journée…
Le bonheur devient total lorsque le lit est garni de draps propres du jour, frais et très légèrement rêches.

Les yeux au ciel

Quand nous vivions à Paris, nous n’avions qu’un petit carré de ciel, souvent gris, qui se découpait très loin au-dessus de notre fenêtre. La journée, ce même ciel était sévèrement encadré par le canyon d’immeubles de la ville, quand il n’était pas tout simplement oublié au fin fond du réseau de termites que l’on appelle Métro. La nuit, l’éclairage public surabondant occultait presque totalement la voûte étoilée, ne laissant percer, ça et là, que quelques pauvres loupiotes clignotantes, les étoiles les plus brillantes du ciel. Je crois que ce monde sans horizon a été l’une des choses les plus difficiles à supporter lors de mon long séjour dans la capitale. Nous avons juste besoin de nous confronter chaque jour à l’immensité du monde, de suivre la course des nuages au-dessus de la nature changeante. Les yeux au ciel pour mesurer le temps qui passe, celui qui vient, notre insignifiance, mais aussi la grandeur et la joie d’être vivant, capable de le voir et de jouir de son intense beauté.

La photo

Le saut du béret

Non pas les photos, mais La photo, celle qui te fait trembler d’excitation pendant que tes doigts dansent fébrilement sur les derniers réglages. Il y a peut-être là quelque chose d’atavique, comme la fièvre du chasseur juste avant l’instant où il va capturer son dîner et celui de sa tribu. Il y a donc cette photo parfaite que tu sais que tu vas peut-être réussir : tu es au bon endroit, au bon moment, avec le bon sujet, le bon cadre, la bonne lumière et surtout, l’appareil à portée de la main. C’est l’heure magique qui teint d’ocre le paysage tiède d’une fin de journée d’été, c’est ta fille qui part dans ce grand éclat de rire, c’est ce ciel, encore et toujours lui, ce ciel de carte postale avec ces petits nuages moutonnants et réguliers que te donnent l’impression de voir jusqu’au bord de la Terre, ce ciel d’orage dont les flancs sombres palpitent de la menace d’une pluie battante, c’est une vieille bâtisse dont l’heure du jour souligne les charmes cachés, c’est la vie, tout simplement, qui ne cesse de se jouer sous tes yeux et dont tu va pouvoir capturer un instant précieux, un petit éclat de beauté, de grâce ou même de tristesse.

Vous

Mine de rien, on finit par être accro de ces petits messages qui s’égrennent derrière chaque billet publié. Ce n’est pas une question de reconnaissance, c’est une question de partage, de communauté d’esprit. Même les critiques acides sont les bienvenues : coups de gueule, interrogations, précisions, dérision, petits signes d’amitié, débats, témoignages, c’est un concentré d’humanité auquel je me branche avidement chaque jour. Avoir des nouvelles des uns, des autres, découvrir d’autres mondes, d’autres pensées, d’autres espaces d’expression, discuter, tartailler sans fin, s’empoigner, s’enflammer.
Et écrire, forcément écrire. Non pas dans une introspection narcissique et vaine, mais écrire pour partager, écrire pour lire et être lu, tisser des liens au-delà des distances, sociales ou géographique, mentales ou politiques. Et parfois, rencontrer réellement les gens, se confronter à la barrière de chair. À chaque fois que je rencontre des internautes dans le monde réel, j’ai l’impression de décevoir, de ramener le verbe qui me nourrit à cette petite créature pataude et banale que je suis réellement. La confrontation avec le réel est souvent cruelle… et nécessaire. Mais dès que je surmonte mes propres limites, c’est toujours une joie immense que d’appartenir au magma humain, de se mêler à la foule qui vibre, s’interpelle, qui se cogne, se bouscule, s’embrasse, se retrouve et se déchire, qui vit, tout simplement.

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33 Commentaires

  1. Je trouve ton article très émouvant.
    Enfin une chaîne qui a vraiment du sens
    Bonne journée

    yoda
    http://www.ubest1.com

    Réponse
  2. ces joies, je les partage aussi !

    quelle jolie chaîne cela va faire, cela nous changera d’égrener nos petits bonheurs

    Réponse
  3. C’est "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules" de Philippe DELERM ?

    Réponse
  4. Nous aussi, tu es notre rayon de colère, et on t’aime

    Réponse
  5. 5 choses qui me rendent heureuse:
    – un peuple humilié, exploité qui redresse la tête
    – le sourire d’un enfant
    – l’homme que j’aime qui me prend dans ses bras en dormant
    – nager dans la mer en regardant au loin un rocher que je rêve d’atteindre, ou la vague qui me roule
    – un livre qui m’ouvre le coeur et l’esprit

    Réponse
  6. Si c’est la photo de ta fille .. il faut absolument lui donner petit frère ou petite soeur ! Une petite merveille pareille il faut la dupliquer ! :o)

    Capable de jouir de l’"intense beauté" oh oui !!

    Et se coucher pareil que toi : c’est délectable ! surtout si la chambre est belle et accueillante !

    Il y a un autre bonheur que je mettrais bien dans ta chaîne : cuillir les fruits de son jardin, si on a cette immense chance !

    Réponse
  7. Le chant des oiseaux à l’aube.
    Le bruit du vent dans les feuilles du ficus contre la maison.
    La petite pluie matinale.
    Le vide de ma boîte à lettres (pas de nouvelles, bonnes nouvelles).
    Le moment où je finis mon travail de la journée, si intéressant qu’il puisse être.
    La sieste
    Le coucher

    Réponse
  8. Je regarde le ciel, il est gris et il fait froid en plein mois d’ Aôut…

    Vos petits bonheurs m’ ont réchauffée et je veux bien de la petite fille et + si possible…

    En tout cas : merci.

    Je voudrais aussi vous dire que votre texte m’ a fait penser au poême de Mahmoud Darwiche qui vient de partir pour un très long voyage :

    A ma mère

    je me languis du pain de ma mère
    du café de ma mère
    des caresses de ma mère
    jour après jour
    l’enfance grandit en moi
    j’aime mon âge
    car si je meurs
    j’aurai honte des larmes de ma mère

    …/…

    Réponse
  9. Sous le charme de cette lecture (et de cette écriture) et du coup happé par la chaîne. Bravo pour ce partage et merci, surtout !

    Réponse
  10. Les cuisses de Silvana Mangano. (Putaing cong, les

    érections! Enfin, y’a longtemps…)…

    Le mois d’avril. (Tchernobyl, le putsch d’Alger, le

    Titanic, la première guerre du golf, l’Amoco Cadiz, le

    discours de Giscard sur l’Euro, ma naissance… Un

    chouette mois où y s’passe kèkchoz.)….

    Le vélo. (Le vélo et pas la bicyclette!).

    Les "polas" de Diane Arbus. (Pas que des polas

    d’ailleurs..)

    Les "Nus et les Morts". (Merdre! Y sont tous clamsés!).

    Ouais! OK! La famille et les potes… Bon, oualà, c’est

    fait.

    Réponse
  11. Quel talent…

    Réponse
  12. Je n’ai pas trouvé sur Youtube l’avant-dernière scène de "Manhattan" de Woody Allen, où il parle dans un magnéto pour lister ce qui fait que selon lui la vie vaut la peine d’être vécue… avant de citer le visage de Tracy et de courir plusieurs blocks jusqu’à son appart.

    Jolie scène.

    Réponse
  13. Et le sexe ?

    Réponse
  14. Dire cinq choses que j’apprécie et qui égayent ma journée :
    – Les promenades en bord de mer en Bretagne où toutes les perceptions sont chatouillées,
    – les temps partagés avec mon compagnon où la sérénité est le sentiment qui prime,
    – de bons repas à deux ou plus,
    – lorsque je réussis à finir un projet entrepris,
    – des discussions sympas avec mes voisins ou un quidam dans la rue, ou même parfois sur internet.

    Réponse
  15. Tiens, c’est drôle, je viens juste de me fendre d’un petit billet qui pourrait presque figurer en petit maillon de ta chaîne, Agnès. Je te l’offre bien volontiers : c’est intitulé "La pêche à la mouche" (http://www.yetiblog.org/index.php?2…).

    Réponse
  16. Pour l’instant, on voit surtout se dégager l’éloge des choses simples. Étrangement, pousser un caddie le dimanche ou avoir un Iphone ne semble rendre personne heureux : ark, ark, ark.

    Le bonheur est-il… non marchand? Quelle horreur! 😀

    Réponse
  17. @ Agnès

    Outre la pêche à la mouche, manquent (me dis-tu sur mon site) 4 autres bonheurs à ma liste. Je te laisse le soin de les choisir parmi tous ceux figurant ici : Quelques instants de plaisirs (http://www.yetiblog.org/index.php?2…) 😉

    Oui mais (me diras-tu peut-être), n’y a-t-il pas une petite différence entre le "bonheur" et le "plaisir" ?
    "Il me semble (écrit Henri Laborit dans son "Éloge de la fuite") que le bonheur […] enferme dans ses bras la succession répétée du désir, du plaisir et du bien-être."
    Répétons-les donc et multiplions-les à l’envie sans autres précautions.

    Réponse
  18. Penser à dire une connerie,
    penser la connerie que je vais dire,
    dire la connerie,
    redire la connerie,
    rire de ma connerie.

    Me dire :"ah la belle connerie".
    Mater la tête de ceux qui n’ont pas compris ma connerie.
    Mater la tête de ceux qui ont compris ma connerie,
    Rire comme des cons, imbéciles,
    heureux !

    Réponse
  19. Notre fille (hé hé, moi j’en ai deux) : idem
    Se coucher : aussi.
    Un auteur : Neal Stephenson (donc plusieurs livres …)
    Une bonne bière en fin de journée.
    Quelques heures sans mes filles, aussi, des fois …

    Réponse
  20. Voilà, c’est fait, il a fallu sélectionner, parce que tout de même, malgré l’environnement politique et social actuel, ces moments sont finalement assez nombreux … ou alors, c’est ma nature qui relativise les évènements.
    Toujours est-il que c’est là : http://abracadablog.canalblog.com/a… avec un petit bouquet pour toi

    Réponse
  21. -ne plus s’habiller en rose
    -ne plus s’habiller en bleu
    -être de toutes les couleurs
    -être pluriel
    -et plus encore

    Réponse
  22. c’est une trajectoire le bonheur non un but à atteindre, parait-il 😉

    Réponse
  23. Bah oui j’lai dit avec des fleurs 🙂
    Je suis un peu étonnée qu’on en soit (revenu ? )encore là.
    J’ai pas trop de place dans ce grand bouquet rose et bleu.
    Depuis quelques années on ne plante plus que ça en France.
    Je commence à faire partie d’un micro système.

    Voilà j’ai ramené ma trogne pour planter une petite graine de diversité.
    C’est mon plus grand souhait.

    Réponse
  24. Les couleurs : dégradé de jaune au rouge, rompu par le vert des plantes pour mon cocon. Le bleu seulement pour le ciel et la mer.

    Le bonheur : éclatant soudainement, parfois, de certains . Frisson.

    L’amour : de mes enfants, et réciproquement.

    La suggestion : je le mérite, aussi !

    La rencontre : rare, de personnes généreuses, dans le réel ou à travers leur art, quel qu’il soit, en tomber "amoureuse", en quelque sorte.

    Réponse
  25. 5 petits bonheurs inédits (du moins pas encore cité ici) :
    – manger dehors à la première belle journée de l’été
    – un bon repas accompagné d’un bon vin
    – un musée le dimanche matin
    – les plantes qui pointent dans le jardin au printemps
    – l’odeur de la forêt après l’averse

    Réponse
  26. Encore une chaine!!!!
    Quand est-ce qu’on se déchaine?

    5 particules de bonheur pour se déchainer?

    -L’amour..
    -La priére.
    -La méditation.
    -La contemplation.
    -L’action (sportive, ludique, festive…etc)/

    Réponse
  27. Des particules de bonheur

    Je prends la chaîne au bond : dame Monolecte a lancé une chaîne qui libère, quoi de mieux ? Pas de contrainte, pas à refiler le bébé aux amis embarrassés, que du bonheur à transmettre, pour prolonger un peu cet air de vacances qui tarde à nous…

    Réponse
  28. Hello, en me baladant chez toi je tombe sur cette chaîne. Vais-je trouver cinq choses?

    – Avoir du temps.
    – Le chat de mon voisin ronronnant sur mon ventre la nuit, et moi bien calé dans ma chaise-longe matant un bon film, une bière fraiche à portée de main
    – dormir
    -la fatigue après un effort physique
    – le chocolat

    Réponse
  29. Haha… maintenant je sais pourquoi mon chat découche parfois… 😉

    Réponse
  30. La tête dans les étoiles la nuit, à la campagne, je confirme. On se sent tout petit face à l’immensité du ciel, bercé par les bruits de ceux qui vivent après le coucher du soleil. Ça suffit pas à rendre forcément plus intelligent mais au moins, dans ce moment de bonheur et de contemplation, on se sera posé quelques questions, on garde aussi au cœur de belles choses, de jolis moments d’harmonie.

    Après, c’est que du classique, même si ça rend pas heureux en soit, au moins ça y contribue. Le chocolat, obligé. Un dîner romantique (ben ouais), les livres, l’amour, un petit déjeuner au lit, le désir, la beauté, la musique, la grâce, l’Ode à la joie, la joie de vivre, les plaisirs de la table, le sexe, prendre le temps même si on n’a pas trop le temps, une grasse matinée sous la couette et tant d’autres choses.

    Merci à toi. C’est vraiment très bon de (re)lire ce genre de choses.

    Réponse

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