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Où l’on se rend compte qu’un vieux film qui a presque mon âge et qui raconte la Grande Dépression finit forcément par devenir une œuvre d’anticipation.

Boxcar BerthaLes fans de Steinbeck ou Faulkner ne sont sûrement pas passés à côté du vieux Scorcese engagé qu’est Boxcar Bertha. Librement inspiré du roman de l’anarchiste Ben Reitman, le film raconte la dérive criminogène d’une jeune fille perdue dans l’Arkansas de la Grande dépression économique qui suivit le krach de 1929.

Bertha Thompson voit son père mourir sous ses yeux, poussé à l’accident par la rapacité de son patron. Elle se retrouve donc totalement seule dans l’Amérique sinistrée des années 30 et comme nombre de travailleurs clochardisés, elle trace sa route en empruntant le dernier moyen de transport accessible au personnes de sa caste : les wagons à bestiaux[1].
Sur sa route, elle croise un syndicaliste qui tente de rassembler les ouvriers, un joueur de cartes qui tente de survivre en plumant les pigeons et un ouvrier noir qui tente de protéger tout ce gentil petit monde, lequel finit par préférer la délinquance à la misère.

Finalement, on ne se sent pas du tout anachronique en regardant ce film. On y retrouve le même chômage de masse qui paupérise des pans entiers de la classe moyenne, un patronat arrogant et revanchard, des policiers à la solde des possédants, totalement irrespectueux des lois, qui pourchassent et tabassent allègrement[2] – devinez qui? – les syndicalistes, les putes, les noirs, les clochards, les marginaux et autres étrangers en ce pays.
Le quatuor improbable, peu versé dans la soumission et la famine, décide de faire de la rapine une arme politique, ce qui, moralité oblige, s’avère un fort mauvais choix assez rapidement.

Au-dela de la petite fable très post-68, on peut toujours s’interroger sur la manière dont des millions d’emplois ont subitement disparu à cette époque-là, de quelle manière une masse énorme de gens s’est retrouvée reléguée dans la misère la plus sordide et où a bien pu passer tout ce fric qui, j’en suis à peu près sûre, ne s’est pas forcément évaporé de la sorte.
Et si la situation économique semblait si inextriquable que cela à cette époque, on peut se demander comment les Américains ont pu passer d’une telle pénurie de tout à une telle abondance pour la génération suivante, celle qui a découvert le plein-emploi et la société de consommation.

Les esprits chagrins parleront du fabuleux coup de fouet économique que fut la Seconde Guerre Mondiale, d’autres parleront du Keynésianisme. Pour ce qui est de la guerre, le bushisme irakien laisse penser que ce n’est pas forcément la clé d’une prospérité retrouvé. Quant aux orientations économiques, elles sont aujourd’hui limitées à une seule option, laquelle est loin d’avoir des effets miraculeux quant au bien-être du plus grand nombre.

En fait, plus je regardais ce film et plus l’impression de familiarité avec la situation contemporaine me rendais malade. Certes, nous n’avons pas encore des millions de personnes jetées sur les routes à la recherche du sale boulot qui leur permettra de survivre quelques jours de plus, certes, toutes les jolies femmes n’en sont pas réduites à vendre leur cul pour gagner de quoi bouffer un repas de mieux et tous les syndicalistes ne sont pas encore devenus de la viande à flics, mais on se dit qu’il n’y aurait pas besoin de pousser beaucoup plus loin dans la même direction pour que nous basculions dans ce scénario.
Chômage de masse, paupérisation de la classe laborieuse, xénophobie, spéculation outrancière, violences policières, criminalisation du syndicalisme… Ce n’est pas encore plus 1929, mais quand même, tant de similitudes, ça fout parfois un peu les jetons.

Les Français sont-ils des veaux? Réponse dans quelques mois. En espérant que tout cela ne finira pas une fois de plus dans des wagons à bestiaux!

Notes

[1] Boxcar, en VO!

[2] On peut même parler de torture!

8 Commentaires

  1. Moi, ce qui me fait peur, c’est de constater que personne ne bouge, que personne ne se révolte. Au point où on en est, chômeurs et précaires devraient tous descendre dans la rue. Mais non, rien y fait. Parce qu’aujourd’hui, on ne peut pas dire qu’on ne sait pas, qu’on n’a pas eu d’exemples. Tout ceci me paraît relever d’une servitude volontaire. Ca dénonce pourtant de partout sur la blogosphère..

    Réponse
  2. personne n’est jamais descendu dans la rue de façon spontanée ,pour la simple raison qu’il faut une autorisation ..et ouai ,on est en democratie avançée !

    donc sans approbation d’un grand syndicat dont on sait tout le mal que j’en pense personnellement et bien ya point de manifs ..because une manif faut une caution ,un service d’ordre !

    la blogosphere ,c’est pareil ,voir les sujets sur la censure et le club des potes , revolutionnaires si affinités of course !

    alors dans ce contexe ,je crois point que les français soient des veaux …..au bout du liberalisme et cela a ete le cas en amerique latine ou les gens ont ete a un moment demandeur de dictature plutot que de democratie …quand le feu couve a ce point ,tout est possible et quand il n’y a plus aucune alternative , on choisit souvent le pire ,n’ayant plus rien a perdre !

    ce sera probablement une des plus grandes fautes de la gauche actuelle ,comme puisqu’on parle de fourgon a bestiaux ..la grande faute d’Allende !

    de meme que son film le fait pour Agnes ,mon enfance a ete baignée par Jack London et pourtant ,j’ai fait un reve , un cauchemar pardon, y a pas longtemps …terrible !!!

    on etait en mai ,Lepen etait passé et les purges commençait ,je m’etais enrolé dans des brigades populaires chargées d’arrestationné tout les collabos de l’ancien systeme …des deputés UMP et socialistes accusés de hautes trahisons ,des agents de l’ANPE accusés de deportation de chomeurs …..je les convoyais dans des stades et il me disait :

    pourquoi ,faites vous ca –

    et tel un guerillo de la FARC ,je repondais inlassablement :

    et toi ,lorsque tu etais en poste ,tu t’inquietais des consequences de tes actes ,pourquoi aurais je les etats d’ames que tu n’as pas eu lorsqu’il etait encore temps –

    et puis dans mon reve -cauchemard , non ils ne furent ni torturés ,ni fusillés parce que nous n’etions plus a l’epoque de Pinochet mais a celle de Chavez !

    on les relacha en leur disant ,votre seule punition sera d’aller chercher du travail ,de fonctionnaire ,devenez chauffeur de taxi comme au venezuela !

    putain de reve quand meme ,cauchemard de Dhimmi !

    Réponse
  3. @ Anabiose et chris:

    Zavez au moins signé pour Bové?
    http://www.unisavecbove.org
    Serez pas tout seuls, même si c’est virtuel (pour l’instant)

    Réponse
  4. En complément voir également "il était une fois l’Amérique" de Scorcese, je l’ai revu dernièrement, ça m’a fait un peu le même effet…cette période un peu pourrie, ou certains tentent de se battre et se font, malgré tout, rattraper par l’économique

    Réponse
  5. Agnès, tu as oublié la stérilisation forcée de tous ces gens, pour les empêcher de se reproduire. C’était une pratique systématique aux US dans les années 30.
    Concernant la disparition du pognon issu de la spéculation qui a mené au fameux "jeudi noir", on dit dans les manuels d’histoire (mais je n’ai pas vérifié cette information personnellement) que pour endiguer l’inflation galopante, Roosevelt, dans son programme le "New Deal", a mis en circulation dès 1933 une nouvelle monnaie (toujours nommée "dollar"), l’ancienne devise n’ayant dès lors plus cours.
    By the way, on attribue la montée du NSDAP en Allemagne aux conséquences dévastatrices de ce krach boursier sur l’économie nationale, très soumise aux capitaux US depuis la fin de la 1ère GM. C’est peut-être çà qui nous pend au nez aux prochaines présidentielles…:-(

    Réponse
  6. Agnès, tu as oublié la stérilisation forcée de tous ces gens, pour les empêcher de se reproduire. C’était une pratique systématique aux US dans les années 30.
    Concernant la disparition du pognon issu de la spéculation qui a mené au fameux "jeudi noir", on dit dans les manuels d’histoire (mais je n’ai pas vérifié cette information personnellement) que pour endiguer l’inflation galopante, Roosevelt, dans son programme le "New Deal", a mis en circulation dès 1933 une nouvelle monnaie (toujours nommée "dollar"), l’ancienne devise n’ayant dès lors plus cours.
    By the way, on attribue la montée du NSDAP en Allemagne aux conséquences dévastatrices de ce krach boursier sur l’économie nationale, très soumise aux capitaux US depuis la fin de la 1ère GM. C’est peut-être çà qui nous pend au nez aux prochaines présidentielles…:-(

    Réponse
  7. Anabiose > Moi, ce qui me fait peur, c’est de constater que personne ne bouge, que personne ne se révolte.

    Faudrait demander à un psychologue la mécanique du truc, mais l’explication est sans doute à trouver dans le fait qu’on manifeste rarement lorsqu’on est dans une situation jugée honteuse. On voit ainsi rarement des chômeurs ou des célibataires revendiquer cette situation subie. Quand on est dans cet état, on préfère se cacher en attendant d’enfin en sortir, même s’il est évident que le seul moyen de faire vraiment bouger les choses et changer les politiques serait que les millions de chômeurs et précaires descendent dans la rue et bloquent le pays.

    Au lieu de ça, on continue la politique de la virgule, comme dit très justement l’économiste Frédéric Lordon.

    Réponse
  8. plus de 4 ans après….
    meuh, oui.
    des veaux.

    Réponse

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