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Vu d’en haut, les humains se comportent comme des liquides. Vases communicants, membranes poreuses, tout concourt à ce que le vide se remplisse et que les déséquilibres se résorbent.

Il y a quelques semaines, dans le cadre de l’année du Brésil, France 5 a diffusé la série La Cité des Hommes, prolongation télévisuelle du fabuleux film La Cité de Dieu, film brésilien percutant qui raconte l’enfance dans une favela de Rio d’un apprenti photographe. La Cité des Hommes a cela de bien qu’elle évite tous les écueils du genre, loin d’un misérabilisme malsain ou d’un angélisme mal venu et s’attache plutôt, à travers des moments de vie de ses deux héros, à scruter le fonctionnement intime de la société brésilienne.
Dans le premier épisode, Acerola (le petit au cheveux courts) compare narquoisement les niveaux de sécurité entre sa favela et les beaux quartiers en contre-bas, le fossé entre ceux qui n’ont rien ou pas grand chose et ceux qui ont tout et plus encore. Si la favela est dirigée par des gangs de trafiquants, il y existe une sorte de sens communautaire et une forme de loi qui permet une relative paix sociale au coeur de ses ruelles tortueuses. Par contre, en bas, c’est la peur qui domine et comme le fait remarquer astucieusement Acerola, l’argent qu’il ne mettent pas dans l’amélioration de la condition des pauvres, ils le mettent encore plus dans des systèmes de sécurité, des vigiles, des grilles, des murs, des caméras, des grosses voitures dans lesquelles ils se font régulièrement braquer aux feux rouges. Et de ce point de vue-là, il a l’air finalement très inconfortable d’être un îlot de riches dans un océan de pauvreté.

La nature a horreur du vide, et l’humanité aussi.

Plus les inégalités se creusent à l’échelle de la planète, mais aussi au cœur même de chaque pays, et plus la masse des nécessiteux a tendance à peser sur le confort des nantis. C’est pour cela que la tendance actuelle est à la bunkerisation des bâtiments, des quartiers, des pays, voire même de continents entiers.
Ce que je possède, celui qui n’a rien le convoite forcément.
Pourquoi devrais-je manquer de tout quand d’autres n’ont besoin de rien?

Les fossés inégalitaires sont forcément les creusets de la violence et de l’insécurité. Et il est naïf de penser que la hauteur des murs dont s’entourent certains va calmer de quelque manière que ce soit la nécessité de survivre de tous les autres. Le manque crée l’urgence, la nécessité, le désespoir et dire que l’on ne peut accueillir la misère du monde entier[1] n’y changera rien. Quand 80% de l’humanité est invitée à regarder le ventre creux les 20% qui restent se goinfrer dans un grand banquet obscène, il ne faut pas trop s’étonner que certains finissent par vouloir ramasser un peu plus que les miettes.

Pendant que l’Europe riche et prospère exclue de plus en plus de ses propres citoyens, elle tente de rendre chaque jour plus étanches ses frontières, toujours dans le souci de ne pas être envahie par cette fameuse misère du monde. Les pays riches se referment de plus en plus derrière des lois restrictives et des hauts murs. Et voilà que l’on s’étonne lorsque les ressortissants des pays moins bien lotis que les nôtres tentent tout pour arriver chez nous, au risque de leur vie. Les incidents qui se succèdent aux frontières hispano-marocaines montrent seulement que derrière nos barrières, de l’autre côté des hauts murs, le désespoir grandit et la nécessité se fait impérieuse.

L’équilibre des membranes osmotiques

Soit deux liquides séparés par une membrane osmotique[2] : de l’eau de mer et de l’eau douce. L’eau douce va avoir tendance à passer la membrane pour réduire la salinité de l’eau mer et tendre vers l’équilibre entre les deux liquides : il s’agit de la pression osmotique. C’est le même principe qui est à l’œuvre dans la circulation d’eau entre l’intérieur et l’extérieur des cellules vivantes.

Autrement dit, quand on place un mur entre des très riches et des très pauvres, il existe au niveau de cette séparation une pression très forte qui fait que quelque soit le nombre de mitraillettes ou de barbelés que l’on placera pour défendre ce mur, il ne pourra pas rester étanche. Plus la différence est grande, plus la pression est forte. Et la violence augmente. Le Mur de Berlin, la Grande Muraille de Chine, la Ligne Maginot[3], les montagnes, les rivières, les océans ou même la gravitation terrestre[4] n’ont pas pu arrêter les gens déterminés ou les hordes d’envahisseurs, pas plus que les frontières américano-mexicaines ou hispano-marocaines n’arrêteront les flux de migrants en quête de vie meilleure. Pas plus que les contrôles frontières, les plans Vigi-machin ou le mur israëlo-palestinien n’arrêteront les terroristes. L’humanité est un flux permanent que nulle digue, nul barrage ne peut contenir.

La pauvreté n’est pas une fatalité

… pas plus que les famines ne sont généralement dues aux aléas climatiques. La répartition des ressources sur la planète était le fruit du hasard. La manière dont elles sont exploitées et accumulées par certains au détriment de tous les autres n’est que le produit de nos organisations sociales et de nos systèmes politico-économiques, pilotés par des hommes et non par des entités supra-humaines comme des Dieux ou des mains invisibles.
Actuellement, nos responsables ne parlent plus que de durcir les lois de l’immigration, des contrôles à la frontière, de rehausser les barbelés. Mais qui parle de ce qui poussent de plus en plus de gens à tenter la mort plutôt que de rester sur la terre qui les a vu naître? Qui parle de répartitions des richesses terrestres? Qui parle d’amélioration des conditions de vie de l’ensemble des êtres humains de cette planète? Qui parlent de ces gosses que nous laissons crever chaque jour par manque de traitement médical, de nourriture, de soins, de sécurité?

Et si c’était ton gosse que tu devrais regarder mourir sous tes yeux parce que 2 €, c’est décidément trop cher pour le sauver? Et si c’était ta femme que les soldats violeraient? Et si c’était ta mère qui mourrait de faim sous tes yeux? Et si c’était ton mari qui se tuerait à faire un boulot dangereux sans pouvoir vous nourrir correctement?

Ne crois-tu pas alors qu’aucun mur ne serait assez haut pour t’empêcher d’aller chercher ailleurs une vie meilleure?

Le mur

Notes

[1] C’est le vieux sophisme marqué au coin du bon sens que la plupart des hommes politiques, de Rocard à Le Pen, ressortent régulièrement de derrière les fagots pour justifier toutes les politiques anti-immigration, les plus dures et les plus injustes

[2] PHYS., BIOL. Qui est relatif à l’osmose. Phénomènes osmotiques; équilibre osmotique; membrane osmotique. Sous l’influence d’une acidité croissante, les capacités d’imbibition du gel protoplasmique augmentent. D’autre part, sa concentration osmotique s’élève. La cellule absorbe de l’eau (POLICARD, Histol. physiol., 1922, p.142). Le système circulatoire, en effet, n’est pas un vase clos, sans échanges osmotiques avec les tissus (LANGLOIS ds Nouv. Traité Méd. fasc. 7 1924, p.214). Pression, tension osmotique. Pression qui détermine le phénomène d’osmose et qui correspond à la différence des pressions exercées de part et d’autre d’une membrane semi-perméable par deux liquides de concentration différente. Les reins séparent du sang les produits qui doivent être éliminés et règlent la quantité des sels qui sont indispensables au plasma pour que sa tension osmotique reste constante (CARREL, L’Homme, 1935, p.98). D’importantes variations de la pression osmotique amènent les manifestations bien connues de gonflement et d’éclatement en milieu hypotonique et de ratatinement en milieu hypertonique (J. VERNE, Vie cellul., 1937, p.7). -> le trésor de la langue française informatisé

[3] Heuh, non, ça, ce n’est peut-être pas le bon exemple

[4] … dans le cadre de la conquête spatiale

18 Commentaires

  1. Zorglub?

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  2. Remarquons que la hauteur des murs érigés pour « contenir » les gens est inversément proportionnelle à la hauteur des ridicules barrières autorisées pour contrôler très médiocrement les flux de capitaux.

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  3. jcd -> bien vu!

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  4. Je me permets de signaler une coquille :

    « ta femme que les sodats violeraient? »

    (Parle-t-on des canettes de coca, là ? Si oui, il faut enlever le « t » 🙂 )

    Réponse
  5. Drame de la sous-traitance au Maroc

    Et voilà : on externalise, on sous-traite, on réduit les coûts, et on se retrouve avec des sous-traitants mal équipés qui font de la mauvaise publicité : ce ouiquende le Maroc a inventé le camp sans barbelés, sans gardes, mais avec de vrais morts.

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  6. Désolé de te contredire mais il me semble que la grande muraille de chine et le mur de Berlin ont plutôt bien fonctionné, non ? (plusieurs siècles de protection des invasions pour l’une, plusieurs décennies sans émigration de masse pour l’autre, qui s’est effondré de l’intérieur) je peux aussi citer le mur d’Hadrien qui a parfaitement rempli son office.

    Je sais c’est moche, mais les murs fonctionnent, (c’est ce que souligne Van Creweld une grande autorité en matière de stratégie à lire par là

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  7. Peut-être que ça marche un temps, mais ce n’est pas une solution durable. Il n’existe pas de forteresse inexpugnable. Tout système de sécurité a sa faille. Ce n’est qu’une question de temps. Et de motivation, pour ceux qui veulent entrer.

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  8. Mais que préconises-tu, pour remédier à ce problème ?

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  9. Ben, faut bien tout relire le billet, sinon, la pulpe, elle reste en bas.

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  10. Enfin, le fameux « il faut partager les richesses », il est facile à dire (ces salauds de riches pourraient partager), moins à faire (en l’appliquant à son propre cas). Tiens, si au lieu d’aller manger dans ton joli restaurant à 12 euros lors de ton excursion détaillée dans un autre post, tu étais aller manger au mcdo comme tu l’évoquais, à 5.90 euros, tu aurais pu reverser 6.10 euros aux pays d’afrique…

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  11. Pffff… Tu sais que l’Afrique a déjà remboursé plusieurs fois sa dette? C’est un peu comme pour les familles indiennes qui se retrouvent coincées avec un taux d’usure à 60% : tu es sûr de ne jamais pouvoir rembourser ta dette, même si c’était pour 10 balles. Tu paies, puis tes enfants et les enfants de tes enfants. De la même manière, beaucoup de pays pauvres ont les fesses sur de gigantesques richesses. Seulement, au lieu de les exploiter eux-mêmes, des gouvernements corrompus filent des contrats de cession et d’exploitation à des entreprises du Nord, toute la valeur ajoutée allant dans notre poche. La corruption, ce sont les pays du Nord qui l’entretiennent à grand coups de comissions occultes et valses de valises à biftons. Et à ce jeux-là, la France n’a de leçon à prendre de personne.
    En gros, les pays du Sud sont pauvres parce que nous sommes sur leur dos à nous goinfrer de leurs richesses comme un gros tas de vampires. Les gouvernements incompétents, dispendieux et autoritaires de ces pays sont maintenus en place par les pays du Nord, au service de nos seuls intérêts (politique africaine française, entre autres). Donc, puisque nous sommes si riches, lâchons-leur la grappe, laissons-les se gérer eux-mêmes, remercions-les d’avoir rembourser plusieurs fois leur dette, libérons-les de ce servage financier et achetons leurs matières premières et l’ensembles de produits qu’ils offrent à leur juste prix et pas au tarif des aumônes que nous fixons unilatéralement. Nous serons peut-être collectivement un tout petit peu moins riches, mais eux le deviendront nettement plus d’un coup… et nous pourrions avoir des partenaires commerciaux intéressants, si on veut juste parler de business…

    Pour ce qui est du restau, la différence de prix, c’est celle du travail, de la qualité et de la relocalisation. D’un côté, une bouffe inintéressante dans un système qui utilise des salariés au sifflet, de l’autre, une nourriture délicieuse qui fait du bien, des produits du jardin et des alentours immédiat (donc pas de transports, d’emballages merdiques, de pillage de ressources, de production indistrielle polluante et d’actionnaires avides), une conception de la vie respectueuse de l’environnement, du travail, des personnes et des produits… et de ma santé. C’était bien le meilleur choix!

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  12. Attention : je te rejoins mille fois sur la fameuse « annulation de la dette » : je suis pour ! Autant je suis sans doute inhumain à tes yeux en souhaitant bel et bien bloqué l’immigration à la frontière marocaine/espagnol, autant sur l’annulation de la dette, je suis pour. Et en effet, il y a un vrai historique d’exploitation de leur richesse, dont on n’a pas à être fier. Ceci dit, annuler la dette ne suffira pas à éviter la problematique de ce sujet du blog : il faudrait aller loin, beaucoup plus loin, tellement loin, que c’est impossible sans remettre en cause un nombre enorme de chose.. tiens, avant de penser à conserver notre sécu, on pourrait partager pour soigner aussi les africains ? Bref, c’est impossible.

    Pour le restau, le but de l’exemple était juste de montrer qu’il faudrait faire d’énorme sacrifice. Que tu me dise que ca valait tes 12 euros, j’en doute pas. Mais avec les 6.10 euros économisés, tu donnais à manger à une famille malienne pendant 1 semaine..

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  13. C’est toujours un petit plaisir de te lire agnès. Allez, un peu de douceur dans ce monde de brute: RY COODER : 3 cool cats ( http://www.tv-radio.com/ondemand/france_inter/MUSIQUE/MUSIQUE.ram ) et vive le flux audio!

    3 Heuh, non, ça, ce n’est peut-être pas le bon exemple

    ben, pour quoi pas sous l’angle de la nationalité par le sol ou par le sang au travers d’une approche de la spatialité?

    4 … dans le cadre de la conquête spatiale

    Là je trouve ça un peu tiré par les cheveux. Il me semble que La conquête spatiale n’existe pas, à moins de considérer que de mettre un pied en dehors du berceau soit une conquête. L’existence d’une telle conquête suppose l’acte, le pied en dehors, puis l’intégration de son acte, j’ai un pied dehors à l’intérieur c’est une boule bleu où nous vivons tous en interdépendance.

    Le vendredi 7 octobre 2005 à 17:15, par nathalie

       Zardoz !!!!

    2. Le vendredi 7 octobre 2005 à 18:40, par Agnès Maillard

       Zorglub?
    ah ah ah! rah les fans de spirou!! ;)
    Réponse
  14. En fait, je ne comprend toujours pas ce qu’a bien voulu dire Nathalie avec son Zardoz, car là, comme ça, rien dans le film m’évoque le contenu du billet!

    Réponse
  15. c’est un beau billet, que j’ai bien apprécié.
    il est d’autant plus beau que j’en partage le point de vue. il d’autant plus beau qu’il est amer et nous renvoie à une implacable réalité : soit le lecteur à une fibre humaniste et apprécie, soit ce n’est pas le cas, et rien ne pourra le faire changer.
    je suis pessismiste dans cette belle ambition, et ça durera tant que je ne verrai pas un homme ou une femme d’état d’un pays riche préché en ce sens.
    inutile d’aborder la conscience de nos grands patrons, desmarest le 1er. je pense que lui est d’autres ont passé le rubicon, et soudoient allègrement nos élites, sûrement plus chers que celles misent en place au gabon, en birmanie, ou n’importe quelle terre propice à leur vampirisation.
    alors vivement bové président…

    Réponse
  16. Qur le post suivant, tu as fait référence à un texte « la banalisation du mal » synthétisant (compliqué mais bon) une pensée élaborée par hannah arendt. Dans ce texte est dit que l’une des étapes c’est de réduire l’être humain dont on ne veut plus voir l’existence, à l’état biologique, et d’être essentiel (lement humain) : hier midi, dans le journal de 13 h de france 2, la rédaction a écrit/permis l’expression médiatique de « gangrène », parlant ainsi des immigrés sans papiers qui cherchent (et trouvent) des travaux mal payés à Mayotte.

    Réponse
  17. Effectivement la déshumanisation d’alter est maintenant un processus bien connu. On assimile l’autre à de la vernime grouillante, des rats, des cloportes, une forme de menace répugnante et non humaine. Ce n’est pas que par mesure d’économie que les nazis tondaient et dévêtaient les Juifs à l’entrée des camps. Cela fait partie parti du processus de déhumanisation : il ne s’agit plus de personnes, d’êtres humains, tous différents, avec une vie, des histoires, mais d’une masse indifférenciée, informe, infra-humaine.
    Nous sommes plus civilisés : nous réduisons les gens dont nous voulons ignorer la souffrance en chiffres, en statistiques, en catégories, en sigle, l’essentiel étant de ne pas voir l’humain, alter ego, l’autre moi-même!

    Réponse

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