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La sixième heure

Par Agnès Maillard
11 mai 2005

On peut mesurer le degré de civilisation d’une société à la place qu’elle accorde à la pratique divine de la sieste!

SIESTE, subst. fém.
Temps de repos, avec ou sans sommeil, qui se prend après le repas de midi, principalement dans les pays chauds.
Issu p. ell. du lat. hora sexta : la sixième heure du jour, c’est-à-dire la sixième des heures canoniales qui correspondait à l’heure de midi, donc l’heure la plus chaude.
TLFI

Ainsi donc, la sieste accompagne bien le cagnard. Voilà qui expliquerait en partie la réputation d’indolence des populations les plus méridionales. On comprend d’ailleurs fort bien qu’un Finnois disposant de 4 ou 6 heures de jour en hiver ait mieux à faire que de les passer à roupiller[1]. Cependant, ma physiologie, à l’heure de la digestion, me rappelle souvent que la sieste est probablement le propre de l’homme (et de la femme!).

D’ailleurs, tout le monde s’accorde sur l’importance de la sieste des tout petits. Jusqu’à la fin de la maternelle, les marmots doivent se reposer l’après-midi, manu militari, si nécessaire. Parce qu’à l’âge des découvertes, la sieste passe souvent pour une intolérable perte de temps. Mais tout ceux qui côtoient les gamins savent que zapper la sieste est une erreur grave : le petit ange se transforme en fin de journée en petit monstre exténué et rageur.
Pourtant, vers l’âge de 6 ou 7 ans, le rituel de la sieste est éliminé dans la vie des enfants et on peut se demander si c’est une bonne chose.

Éloge de la sieste

Bref, la sieste est bien considérée, voire obligatoire pour les jeunes enfants, et brutalement, vers l’âge de raison, perd toute légitimité. Le siestard est automatiquement assimilé à une feignasse invétérée. Siester est une activité de looser, de doux rêveur, d’asocial dont l’image la plus connue est celle de l’incroyable capacité de repos de Gaston Lagaffe, le nonchalant personnage de Franquin.
La dominance du modèle d’hyper-performance de la société libérale n’est sans doute pas pour aider à la réhabilitation de la sieste. Il faut travailler toujours plus, plus vite, plus fort, aussi, celui qui prend le temps de se reposer se disqualifie de fait. Et pourtant, si l’on se souciait réellement de performance, nul doute que la sieste deviendrait obligatoire en entreprise. Quoi de plus inutile et contre-productif qu’un salarié léthargique, luttant contre une douce torpeur sur le coup de la digestion? Quand j’étais salariée, je me souviens des cauchemars de début d’après-midi où il ne fallait programmer que des activités à très faibles implications intellectuelles. Alors que 30 petites minutes d’assoupissement ouvrent la perspective d’une deuxième demi-journée aussi productive que la matinée…

J’ai redécouvert la sieste avec ma fille, et du coup, cette intolérable fatigue que je me suis traînée des années durant a disparu. Je n’ai plus besoin que de 6 à 7 heures de sommeil réparateur par nuit, plus une petite sieste, et je suis opérationnelle tout le reste du temps. Avant, j’étais tout le temps fatiguée, et quand, le week-end, je tentais de rattraper le sommeil en retard, je sortais de mes grasses matinées encore plus crevée et abattue.
En plus, quand vous êtes vraiment fatigué et que vous tirez sur la corde, le soir venu, vous êtes tellement tendu par l’effort que vous avez du fournir pour rester éveillé selon la norme, que le sommeil vous fuit. Il est probable qu’un bon usage de la sieste aurait des effets particulièrement visibles sur la sur-consommation d’hypnotiques et psychotropes dont nous sommes de grands adeptes. Réhabiliter la sieste, c’est probablement aider durablement au rétablissement des comptes de la Sécu.

Et il ne faut pas penser que réussissent mieux ceux qui dorment le moins. Je vous invite à lire l’avis du premier d’entre nous sur la question de la sieste!

Une société qui ne sait pas se reposer, ne sait pas travailler

Notes

[1] Sommeiller à demi

3 Commentaires

  1. J’aime beaucoup cet article. A chaque fois que je défends la sieste, l’incrédulité se lit sur les visages de mes interlocuteurs. Comme toi, le fait de faire une petite sieste (le week-end ou en vacances, car mon entreprise n’a pas encore compris son intérêt) d’un quart d’heure ou d’une demi heure me permet de me contenter d’une nuit de 6 heures.

    Enfin il est assez comique de voir que celui qui se moque de ceux qui évoquent la « prétendue paresse des latins » est le même qui fustigeait « le bruit et l’odeur » des familles d’immigrés. Chacun a ses clichés, Jacques.

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  2. Absolumment d’accord !!! La sieste m’a aidé à sortir de ces périodes d’insomnies terribles, où on lutte pour s’endormir, et où les journées se traînent dans un semi-coma !!! Qu’est-ce que j’ai pu piquer du nez sur mon clavier, quand j’étais salariée ! Vive le télétravail, vive l’indépendance, et vive la sieste !!! D’ailleurs, mon grand-père, chef d’entreprise émérite, a toujours pratiqué une petite sieste d’1/2 h entre midi et 2, et celà lui a gardé le teint frais et la joue rose bien après l’âge légal de la retraite !

    Réponse
  3. Les temps changent Perso j’étais considéré (par les plus crétins il est vrai) comme un gros branleur parce que je faisais, de temps à autre et sans me cacher, des petites siestes au boulot après le repas . La plupart de mes collègues prenait ça à la rigolade et mettait ça sur le compte de ma paresse. J’ai vainement tenté de leur expliquer (et pas qu’au boulot d’ailleurs) les innombrables interets de la sieste, le fait que c’était tout à fait naturel, etc Rien à faire, le complexe de la flemingite refaisait toujours bêtement surface. Alors j’ai fais autrement, je me suis borné à leur dire d’essayer, que cela soit au boulot ou non, et j’ai laissé fermenté. Et depuis tous ceux qui ont tenté l’expérience m’en sont reconnaissant parce que j’ai « révolutionné » leurs journées (et leurs nuits), que maintenant ils se sentent mieux, plus reposés (sans blague), plus serein, moins stressé, tout ça. Cela n’aurait pas été possible il y a quelques années mais les gens sont beaucoup plus réceptif à cela maintenant, surtout qu’on leur impose de plus en plus de la mauvaise fatigue.

    Mais courage, ce n’est qu’une question de temps. La sieste ayant un effet certain sur la productivité nos chers managers et autres maniaques mercantiles trouverons bien un peu d’argent et de temps pour creer des espaces de repos.

    Réponse

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