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La Passion du Christ

Par Agnès Maillard
22 décembre 2004

Lors de sa sortie en salle, le film de Mel Gibson avait déclenché une vive polémique. Sa sortie en DVD offre l’occasion de voir ce film en toute quiétude et de s’en faire une opinion personnelle.

Affiche américaineSur la forme, rien à dire. La photo est particulièrement bien soignée, la lumière est magnifique. Certains esprits chagrins diront que c’est aujourd’hui le minimum pour un film ayant vocation à être un blockbuster, mais j’aime le bon boulot des directeurs photo et il convient de signaler celui-ci.
Casting de bonne tenue. Si on peine à reconnaître sous la tignasse et les croûtes de Jésus l’excellent James Caviezel, sidérant dans La ligne rouge de Terrence Malick, on ne peut qu’approuver le choix de Monica Belluci dans le rôle de Marie-Madeleine[1].
En fait, des apôtres aux soldats romains, en passant par les prêtres, la foule et la magnifique Marie, les différents acteurs sont bien choisis, totalement en harmonie avec le ton du film.

Un film ultra violent?

L’un des principaux reproches fait à Gibson, c’est l’ultra violence de son film. Effectivement, La Passion du Christ n’est pas un film familial. Loin des images d’Epinal et des livres de catéchisme, Gibson raconte la Passion du Christ en monochrome rouge sang. Du mont des Oliviers jusqu’au sommet du Golgotha, c’est la foire aux bourre-pifs, un martyr continu, de la torture, en veux-tu, en voilà et de la boucherie à tous les étages. Dès l’arrestation, Jésus se retrouve avec un cocard géant qui lui obstrue l’œil droit, tandis que du gauche il continuera à darder un regard intense et injecté de sang sur ses dernières heures qui ont du lui sembler bien longues. Ça tourne carrément au steak tartare à la scène de la flagellation, et à partir de là l’hémoglobine coulera à flot.

Mel Gibson en fait-il trop dans le côté viande?

  • D’un point de vue historique, il est tout à fait pertinent de penser que ni les soldats romains, ni les prêtres juifs n’ont eu de bonnes raisons de prendre des gants avec Jésus. Les tortures qui lui sont infligées pendant sa passion sont dans le film telles que décrites dans les Évangiles. L’être humain a toujours été un expert dans l’art de faire souffrir ses congénères et ce film le souligne. Mel Gibson, en choisissant de tourner dans les langues d’époque (araméen, hébreux et latin), prend le parti de coller le plus possible à ce qui pouvait être la réalité, loin de la légende et de l’imagerie pieuse. Il tend au docu-fiction et il est donc logique qu’il reconstitue le chemin de croix du Christ dans toute son horreur.
  • Un film, c’est un choix artistique, un point de vue. En ce sens, le parti pris de Gibson de montrer l’extrême violence, l’absolue souffrance des dernières heures du Christ se justifie. Le récit fait de récurrents allers-retours entre le présent de Jésus (sa souffrance) et son passé. Chaque flashback permet de comprendre que Jésus ne subit pas son chemin de croix, mais bien qu’il l’a prévu, qu’il a donc fait le choix de se sacrifier, avec un seul but : racheter les péchés des hommes. Il est impossible d’appréhender le film de Gibson en occultant l’aspect sacrificiel du choix de Jésus. A partir de là, on comprend bien qu’il ne pouvait racheter nos nombreux péchés par une simple promenade de santé : fallait qu’il en chie, mais qu’il en chie vraiment!

Un film antisémite?

Le gros de la polémique tournait autour de l’idée que Mel Gibson est un extrémiste catholique et qu’il surfe avec complaisance sur un antisémitisme religieux[2]. Certes, le portrait que fait Gibson des prêtres juifs et de la foule qui se repaissent de la mise à mort du Nazaréen, ce portrait-là n’est pas des plus flatteurs. Effectivement, Ponce Pilate passe pour un pauvre gars un peu dépassé par les évènements, il en est presque sympa, le bougre.
Mais cela est conforme aux Évangiles, où il est bien spécifié que ce sont les prêtres du temple de Jérusalem qui complotent contre le jeune rabbin, dont la renommée commence salement à leur faire de l’ombre. Il est assez bien montré comment les prêtres conservateurs paient des hommes de main pour qu’ils noyautent la foule et lui fasse réclamer la tête de Jésus plutôt que celle du serial killer Barrabas. Et cette foule mauvaise, qui s’excite à la vue du sang est plus universelle que juive : c’est la même qui va voir les exécutions en place de Grève, c’est la même qui jette des canettes de bières dans les stades de foot. La foule n’a pas d’âme, n’a pas de religion, de nationalité, c’est une entité quasi monstrueuse dont l’intelligence collective est inversement proportionnelle au nombre de personnes qui la compose!
En fait, taxer Gibson d’antisémitisme revient à dire que les Évangiles et donc la religion chrétienne qui se fonde dessus sont également d’essence antisémite[3] .
C’est aussi faire l’impasse sur un aspect du film qui, lui, a fort peu été discuté, son aspect compassionnel.

Parce que si les soldats romains avinés prennent du plaisir à torturer Jésus, si les prêtres et la foule manipulée désirent la tête de Jésus, les femmes sont présentées comme la grande figure compassionnelle du film. Marie, bien sûr, qui suit, l’œil exorbité, le long calvaire de son fils[4] et ce jusqu’à l’issue fatale. Marie-Madeleine, qui soutient sa presque belle-mère. De très nombreuses femmes, le long du chemin de croix, qui pleurent la souffrance de Jésus. La femme de Ponce Pilate, ajout de Mel Gibson, peut-être pour souligner la grande solidarité de celles qui sont mères envers celle qui est en train de perdre son fils. Mais la compassion habite aussi de nombreux autres personnages, comme le passant réquisitionné pour aider jésus à porter sa croix et qui finit par s’émouvoir de sa souffrance, ou même des soldats romains, qui finissent par douter et le légendaire larron, sur sa croix, qui obtient in extremis un billet pour le paradis.

En fait, à peu de choses près[5], Mel Gibson colle au récit évangélique tout en le dépouillant pour ne retenir que l’extrême violence des dernières heures de Jésus. Car cela sert son propos : montrer la qualité exceptionnelle du sacrifice de Jésus, montrer la beauté du choix par l’horreur des faits.

Finalement, c’est un film de bonne facture, pas un chef d’œuvre non plus, le témoignage d’un homme qui a une foi de charbonnier, ce que des athées comme moi peuvent parfaitement appréhender dans cette œuvre.

Notes

[1] Si la vraie avait été si belle, on se demande si Jésus aurait quand même choisi le prêche et la crucifixion, intéressante question que s’était d’ailleurs déjà posé Martin Scorcese en son temps et qui lui avait valu une bonne volée de bois vert de la part de ceux-là même qui ont voulu se faire la peau de Gibson!

[2] qui serait donc de l’antijudaïsme, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, mais en ces temps radicalisés, les esprits échauffés ne s’arrêtent plus à ce genre de subtilités sémantiques!

[3] Il est certain que la jeune Église chrétienne, en concurrence avec la religion mère judaïque a joué la carte de l’antijudaïsme pour se démarquer et se séculariser. Voir De la judéophobie à l’antisémitisme, réalités historiques et représentations sociales!

[4] Il y a un très bel aller-retour entre Marie qui vient épauler son fils qui marque un arrêt pendant son chemin de croix et une scène très tendre où la même mère va ramasser et consoler son tout jeune fils qui est tombé en jouant : la quintessence de la madre.

[5] Comme l’énervante et inutile figure androgyne du démon qui suit les évènements tragiques d’un œil gourmand

7 Commentaires

  1. Excellente analyse qui donne presque envie de voir le film… J’hésite, n’étant pas un fan de la violence et du sang.

    Jolies tolérance et connaissance d’une foi qui n’est pas partagée. Il y a des chrétiens qui feraient bien de s’inspirer de cette analyse, du moins, s’ils veulent être cohérents avec ce qu’ils croient et professent ordinairement.

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  2. Juste une précision : je ne pense pas que l’on puisse parler de "docu-fiction" puisque la bible n’est pas un manuel d’histoire et que ce film ne décrit qu’une légende et non des faits avérés.
    Autre chose : je n’ai jamais compris où était la beauté du sacrifice de Jésus, sans vouloir blasphémer, j’ai toujours trouvé idiot que Jésus puisse se sacrifier "pour l’humanité"… donc je ne suis pas convaincu de "la beauté du choix" ni se son éventuelle valeur d’exemple.
    Etant donné le nombre de chrétiens à l’époque de Jésus face à la majorité religieuse pensante, serait-ce aussi un blasphème de comparer le Jésus de l’époque comme un gourou, et de raprocher son sacrifice de ceux de certains adeptes de sectes actuelles ?
    Sinon, n’ayant pas vu le film, je me garderai bien de le critiquer !
    Merci en tout cas Agnès pour tes articles originaux qui nous poussent à réfléchir intelligemment ! (c’est de plus en plus rare par les temps qui courent !)

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  3. La bible est un récit assez subjectif, mais aujourd’hui, on peut dire que l’homme Jésus a existé. Après, savoir s’il est le fils de Dieu, le Messie ou juste un prophète est une pure question théologique. Jésus a effectivement fondé une secte, comme il y en avait des foultitudes en ce temps. En bonne athée j’ajouterai que pour moi, une religion, c’est une secte qui a réussi, toujours.

    La religion est une question de foi. Jésus croit vraiment que s’il accepte de se faire tuer, il va libérer les hommes du péché, tout ce qu’il dit, il le croit. Dans l’absolu, on s’en fout que ce soit vrai ou pas, ce qui compte, c’est que pour Jésus, c’est vrai, et qu’il décide donc de se sacrifier. Tu dois te mettre du point de vue du croyant pour comprendre « l’incident Jésus » dont on ne peut nier qu’il a changé la face de l’humanité!
    Jésus était un rabbin discident dont l’enseignement était à contrepied de celui des prêtres officiels. Mais lui ne demandait pas de fric à ses adeptes et il entendait le sacrifice comme une démarche personnelle.

    Sinon, merci pour le compliment, c’est toujours plus sympa qu’un coup de lattes dans la tronche!

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  4. Et bien imaginons un instant que Jésus ait réellement existé (ce qui, je persiste, est loin d’être prouvé, mais le débat n’est pas là !) "l’incident Jésus" (j’aime bien cette expression !) n’est pour moi qu’un incident parmi d’autre : il semble en effet déterminant pour notre petit monde occidental, mais certainement pas pour le reste de l’humanité : Jésus n’est qu’un prophète parmi d’autres pour de nombreuses religions…

    C’est un incident parmi d’autres, pour moi, au milieu d’autres personnages qui ont changé la face de l’humanité en bien ou en mal (comme le père Noël, je ne plaisante pas, Napoléon, Hitler, Martin Luther King, Einstein, Victor Hugo… ou même l’Homme qui a découvert le feu, celui qui a inventé la roue… tous ces anonymes réels ou non qui ont beaucoup plus changé à mon avis la face du monde que Jésus…)

    N’empêche, c’est quand même un beau concept ce Jésus (même moi qui suis Athée intégriste, je le reconnais!) mais je trouve que ses paroles valent cent fois plus que ses actes : dire "aimez-vous les uns les autres " ou "pardonnez à votre prochain" il y a 2000 ans, beaucoup plus révolutionnaire pour moi que de marcher sur l’eau, multiplier des pains, ou mourir sur une croix pour sauver l’humanité… surtout qu’on peut raisonablement se demander si elle valait vraiment le coup d’être sauvée, cette humanité ! (rhooo c’est trop pessimiste comme fin ça !)

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  5. Tatata! Tu bottes en touche!

    Très peu de personnes ont eu autant d’impact que Jésus sur le monde. Sans Jésus, pas de Très Sainte Eglise Chrétienne et donc pas de cathos et pas de protestants. Sans les cathos, pas de croisades et probablement pas de colonisation, ou en tout cas, celle qu’on a connu. Effectivement, dans la cosmologie chrétienne, il n’y avait pas de place pour l’indien ou le noir, donc, on en a déduit qu’ils étaient inférieurs et nous nous sommes vautrés dans l’esclavage et l’exploitation forcenée des territoires annexés.
    Sans Jésus, pas de protestants non plus, et comme le dirait Max Weber, pas d’éthique protestante, pas d’esprit capitaliste. En fait, sans Jésus, c’est l’ensemble de notre civilisation occidentale qui serait radicalement différente. Et notre civilisation a contaminé l’ensemble de l’humanité comme modèle de développement. Donc l’impact de Jésus est phénoménal, même 2000 ans plus tard! Le père Noël n’a même pas un siècle d’existence, et les autres que tu cites doivent encore subir l’épreuve du temps. A la limite, Alexandre le Grand, le reste, ce sont plus des civilisations que des hommes : Grecs, Romains, Egyptiens, Chinois…
    Sinon, tu as les autres grands fondateurs de religion : Muhammad et le prince Siddhârta.

    L’erreur serait d’ignorer la puissance des religions dans l’histoire de l’humanité sous prétexte qu’on est athées. Les régimes politiques durent quelques décennies, un ou deux siècles, au mieux. Les utopies supportent mal l’exposition à l’air et à la lumière. Alors que les religions balaient des civilisations, conquièrent des continents, et modèlent l’histoire des hommes pendant des millénaires. La puissance mobilisatrice des religions est dantesque. C’est leur existence même qui fait que la foi soulève les montagnes. Et l’actualité ne cesse de nous rappeler la préhéminence de la pensée religieuse sur toute autre considération!

    Moi aussi, je pense que Jésus aurait mieux fait de sculpter des berceaux pour les gamins qu’il aurait fait à Marie-Madeleine, mais difficile de créer un courant religieux sans un acte symbolique fort…

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  6. Je viens de voir La Passion du Christ en dvd. Tous ces messages sont anciens, mais j’ai envie d’y réagir. Concernant la figure androgyne, je ne vois pas d’autre possibilité qu’un symbole du dualisme que vit Jésus. Je pense que lorsque cette figure est là, elle peut signifier son désir de se soustraire à son supplice (certains passages de la Bible le montrent dans le Sinaï tentant de résister à SAtan, donc sa peur et son doute). Jésus reste un mystère car son existence historique se vérifie notamment par les chroniques de Flavius Josèphe. Mais s’il accepte son essence divine, ça ne va pas sans combat intérieur. Je me revendique chrétienne, attachée à Jésus et à son message universel, intemporel qui met la femme et l’homme au centre de ce que devraient être nos préoccupations. On peut faire une lecture ouverte et tolérante des Evangiles. Je pense que l’enseignement de Jésus l’était et était révolutionnaire. Il remettait en cause la Loi, donc le pouvoir temporel et politique des prêtres dont Caïphe. Caîphe lui reproche de se dire de la lignée de David, c’est là le crime qui remet potentiellement en cause la légitimité des grands prêtres. Et qui vaut la crucifixion à Jésus. De ce qui précède, l’église devrait s’interroger sur ses propres turpitudes au cours des siècles. On ne peut tenir Jésus pour responsable des cathos colonisateurs par exemple, ou de toutes les âneries débitées à propos des femmes. Rien ne permet non plus de dire que Jésus ait voulu un système clérical. Il voulait que son message se diffuse. D’un point de vue tout personnel, je pense aussi que la religion en se l’appropriant de manière frénétique et en justifiant tout perturbe le message initial (qui finalement disparait derrière le dogme et les dites vérités de Foi) simple au fond, car reposant sur la liberté, la considération que l’on devrait avoir pour l’autre, sur la lutte de nos préjugés, sur le sens de la responsabilité et de l’engagement (pas forcément familial du reste, politique aussi) bref tout ce qui améliorerait le monde. Sur le film, je pense qu’il choque par sa violence, mais qu’il a le mérite de montrer une version qu’on peut supposer tendre vers le réalisme. Enfin, concernant les Evangiles, il en est fait parfois une lecture caricaturale car nourrie de préjugés : lorsqu’on oublie des petits mots de coordinations tels « comme » le texte perd directement de son sens. Après que signifie Dieu ? Comment un vocable connoté fait écho en nous ? Que signifie fils de l’homme ? La Foi n’empêche pas le questionnement et la recherche, et le doute aussi.

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  7. Je suis daccords avc agnes

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