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]]>Je me méfie toujours de ceux qui prétendent savoir mieux que les principaux intéressés ce qui leur conviendrait le mieux. Et encore plus quand ils parlent de ce dont d’autres n’auraient pas besoin.
Dans la petite saillie de Bachelot, il y a tous les clichés possibles et imaginables sur la condition éternelle de l’artiste, cet être frugal et solitaire, vivant son art comme un sacerdoce, dans l’isolement et le dénuement. Une vision des plus charmante quand on est précisément en charge des cordons de la bourse. Un jugement de classe. Et d’exploiteur.
Le parallèle entre Starbucks qui fait mine de ne pas voir les intérêts antagonistes de ses salariés et Bachelot qui met les syndicats sur la touche depuis qu’elle est arrivée à son ministère m’a littéralement sauté aux yeux. Et ce déni de démocratie n’a pas échappé à la plus affutée des artistes de combat que je connaisse :
Que les syndicats d’artistes ne comptent pas aux yeux du ministère n’est pas pour nous une grosse surprise. En revanche, n’en déplaise à la ministre, les syndicats comptent bien évidemment pour tout professionnel, notamment pour les artistes-auteurs comme pour les artistes-interprètes.
Et puisque madame la ministre a rendu hommage hier à Jean-Paul Belmondo, voilà une réponse d’outre-tombe de Belmondo :La CGT « est un syndicat comme les autres. Je sais que vous allez penser aux vedettes, aux gros cachets… Nous sommes quoi, une dizaine peut-être ? N’en parlons pas, car là il ne s’agit plus à proprement parler de notre métier d’acteur. Nous sommes traités à ce niveau non pas comme des comédiens, mais comme des marques de pâte dentifrice. Ce n’est pas ça le spectacle. Le spectacle, ce sont les quelque vingt-mille comédiens, acteurs de cinéma, de théâtre, de télé, qui travaillent quand on veut bien leur en donner l’occasion et dont beaucoup ont bien du mal à vivre de leur métier, ce métier qu’ils ont choisi et qu’ils aiment. Et ceux-là, je vous assure, ils ont besoin d’être syndiqués et de se battre pour la vie. ».1
Il en est de même pour les AA. Comme chacun sait la précarité et les trappes de pauvreté sont pires encore pour les AA que pour les artistes-interprètes.
Qui dit syndicats dit capacité pour les créateurs et créatrices de pouvoir défendre leurs intérêts professionnels, comme peuvent le faire toutes les autres professions en France. Pour mémoire la question du financement des syndicats d’AA n’est toujours pas résolue, ni même abordée. La question du versement d’IPG aux AA qui prennent du temps sur leur travail de création pour défendre les intérêts professionnels collectifs des AA est elle aussi soigneusement repoussée aux calendes grecques.
Je souhaiterais savoir si le Cabinet2 à un commentaire à faire sur la déclaration antisyndicale de la ministre. »
Katerine Louineau, syndicat du CAAP
Bien sûr, derrière la petite phrase de Bachelot, tombée comme par inadvertance, il y a un enjeu bien plus important : celui de continuer à nier à plus de 200 000 artistes-auteurs professionnels le droit de désigner démocratiquement leurs représentants, l’une des propositions les plus importantes du rapport Racine, commandé pour trouver des réponses concrètes à la très grande précarité de la profession.
Les mesures concrètes – vingt-trois au total, dont beaucoup sont très techniques – s’articulent autour de trois grands axes, le premier étant l’établissement d’un statut professionnel des artistes-auteurs, clairement défini par des textes. Car il n’existe toujours pas, à ce jour, de définition de l’auteur, ce dernier étant reconnu comme tel uniquement si un contrat est établi avec un diffuseur. Ce statut, basé sur la pratique créative, construirait donc un corps professionnel, ouvrant potentiellement des droits aux créateurs auto-diffusés. En somme, on reconnaîtrait la « carrière artistique comme métier et pas seulement comme vocation » et, si cela semble symbolique, c’est en fait une avancée capitale qui leur permettrait notamment de peser plus face aux « acteurs de l’aval » (éditeurs, producteurs, diffuseurs…), plus puissants et mieux organisés.
Rapport Racine : pour les artistes et auteurs, 23 mesures prometteuses… qu’il faut concrétiser , par Sophie Rahal, Télérama du 24 janvier 2020
En niant notre droit fondamental à défendre précisément nos droits, en nous souhaitant divisés, éparpillés façon puzzle, Roselyne Bachelot est dans la droite lignée du gouvernement, un gouvernement qui pour se renforcer n’a de cesse que de diviser, opposer, mettre en compétition et surtout piétiner les droits fondamentaux de ceux qu’il prétend gouverner.
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]]>Pour ce qui est de la naissance, j’ai déjà donné. Quant à la mort, je la laisse à ces heures sup’ actuelles, même si nous en avons fidèlement pris notre part ces derniers temps. Reste donc l’indicible harassement de devoir compacter toute une vie en petits cartons bien alignés, dument étiquetés.
Partir, c’est mourir un peu. Rester, c’est mourir beaucoup.
Texte d’une caricature d’Ali Dilem sortie en 1994 sur l’exil des Algériens.1
Ils sont arrivés un peu à la bourre dans leur 30 m³ que l’on trouve un peu étriqué pour bouger la masse insensée de trucs qu’on n’a pas réussi à benner à la déchetterie. Presque 14 ans de vie de blédards. Près d’un quart de siècle de grande ruralité. Des compilations de sapoura qui s’oublient par strates et qui rendent fous les archéologues du quotidien que nous sommes devenus. C’est le miracle des petits pains, mais en mode malédiction : tu sors ton merdier par kilos et pendant que tu as le dos tourné, une tonne de plus a jailli du néant, en mode génération spontanée.
Au début, tu fais tout bien. Les premiers cartons ont même été numérotés et leur contenu inventorié dans un carnet. Mais au fur et à mesure que l’échéance approche et que tu vois que le merdier continue à dégueuler sans fin des recoins, tu perds un peu en précision logistique. La veille de la grande translation, on a fini en mode fouzytout2, à balancer les trucs presque en vrac, désespérés par l’implacable avancée du temps, abrutis de fatigues et de douleurs cumulées, acculés dans nos écuries d’Augias que nul Héraclès ne viendra déblayer… sauf les déménageurs, dans le petit matin frais… et pluvieux, ultime bras d’honneur de cette contrée que l’on veut fuir.
Mon premier déménagement, c’était une valoche sous le bras et en bus régional. Je ne compte pas ceux d’avant, ceux des parents auxquels je n’ai pas participé. Le suivant, déjà, il m’a fallu deux cartons et un coffre de Renault 5. Puis la camionnette et les potes. Le dernier, il y a donc 14 ans, c’était le camion du boulot et une énorme marmite de poule farcie pour réconforter les amis et soulager la fatigue. On en avait bien chié, tous ensemble et ça nous avait un peu dégoutés de recommencer. Mais voilà, la vie suit son cours et vous file des coups de pied au cul qui — étrangement — vous gueulent à l’oreille qu’il est temps de partir ailleurs découvrir ce qui nous attend derrière la prochaine moraine.
Entre le covid qui a bien pourri nos plans et le fait qu’on se retrouve à transbahuter nos vies en plein été, on a donc pour la première fois fait appel à des pros plutôt qu’aux potos. Faut dire aussi qu’eux comme nous n’ont pas vraiment rajeuni ces derniers temps et qu’on ne se voyait pas leur demander de remettre le couvert pour ce truc de forçats.
On est dans l’expectative. L’histoire de Sylviane qui avait pris l’option petite cuillère parce qu’elle est trop handicapée pour se taper cet enfer et qui s’est quand même retrouvée plantée sous la pluie avec son tas de cartons qui prenaient l’eau nous avait pas mal échaudés. Mais 100 fois, ces dernières semaines, on a regretté de ne pas avoir demandé le service complet, celui qui coute la peau du cul, mais qui fait que d’autres gèrent ton merdier. Je sais. C’est mal. Mais on n’avait pas idée d’à quel point on allait en baver.
Nous sommes un peu inquiets de ne découvrir que trois déménageurs pour charrier 120 m² de trucs qu’on aurait dû passer au napalm juste avant de donner notre préavis de départ. Surtout qu’il y en a un qui est gaulé comme un coton-tige et un autre qui n’a pas l’air bien plus jeune que nous. Mais en même temps, nous sommes un peu au bout de notre vie et le chauve plus très jeune qui a l’air d’être le chef nous dit exactement ce que nous avions besoin d’entendre :
Ne vous inquiétez pas, à partir de maintenant, c’est nous qui prenons tout en charge !
C’est tout juste si nous n’éclatons pas en sanglots de soulagement. Pour la première fois depuis des semaines, tout ce que nous devons faire, c’est se poser dans un coin et ne pas les gêner.
En fait, j’avais oublié ce que cela fait quand quelqu’un d’autre s’occupe de tout
. Je pense que c’est ça qui rend tant de gens nostalgiques de l’enfance : quand les trucs désagréables échoient aux adultes responsables. Trop longtemps que nous jouons ce rôle, toujours en mode impro, avec un bonheur discutable.
Le chauve est bien le chef. D’ailleurs, c’est lui qui conduisait le camion, manœuvrant au poil de cul sur notre chemin trop étroit. C’est surtout un pro. Un comme dans les pubs Manpower de ma jeunesse : le gus concentré, qui sait faire et qui fait bien. Il résout n’importe quel problème avec des couvertures et un rouleau de raphia. Il a une technique de malade pour faire des nœuds étranges, serrés et solides en un tour de poignet et un coup de ciseaux. Et il instruit le jeune baraqué :
— Non, si tu as un buffet avec des clés, tu ne scotches pas les clés sur la porte : elles peuvent s’arracher et se perdre. Non, tu fais une boucle [de raphia] à l’arrière et tu places les clés dans la boucle. Tu ne sais pas qui va déballer ton colis, mais tous les démés vont commencer par aller chercher les clés dans la boucle à l’arrière.
Un vocabulaire, des techniques, une communauté de savoir qui se comprend : la grimpeuse en moi se réjouit.
— Mais il y a une école de déménageurs pour savoir tout ça ?
— Il y a bien un CAP, mais en vrai, tout le monde s’en fout. Tout s’apprend sur le tas. Comme je le fais en ce moment.
Il y a effectivement une dynamique de petit padawan entre le jeune baraqué et le Yoda chauve à lunettes. Le coton-tige, lui, est d’une autre espèce, même s’il est inclus dans le festival de vannes. Le trio bosse dur et fort, mais passe aussi son temps à s’envoyer de petits fions qui tiennent plus de la tape d’encouragement que de l’uppercut de domination. Cela crée comme un bruit de fond qui fluidifie l’effort.
Le jeune mince est étudiant et vu que sa situation familiale s’est dégradée, il profite des vacances pour se faire de l’argent. Comme il est nouveau et sans technique, il est préposé au charriage de cartons, cornaqué par Yoda. Je pense que plutôt que de balancer ses deux années de socio pour la psycho, il gagnerait à bifurquer en psychologie sociale, surtout qu’il va passer l’été aux premières loges dans l’intimité de ses contemporains.
Je relance le chef (qui apprécie immodérément qu’on lui donne du chef avant de se marrer).
— Avec un boulot pareil, vous devez économiser sur la salle de sport.
— Vous pensez vraiment que ce métier fait du bien à nos corps ?
Pan sur mon bec.
— Ouais, bon… effectivement…
— Vous le saviez qu’ils nous ont refusé la pénibilité ?
— Sérieusement ? Mais comment c’est possible ?
— Ils ont dit qu’ils ne pouvaient pas quantifier les charges que nous portons chaque jour, et que sans quantification, on ne peut pas calculer la pénibilité3.
— Mais c’est n’importe quoi ! Là, on pèse le camion le matin, puis on le repasse à la balance une fois chargé, on divise par le nombre de gus la différence, on multiplie par deux si chargement + déchargement et on a une très bonne estimation du poids porté.
— Peut-être, mais ils ont décidé que déménageurs, ce n’est pas pénible. D’ailleurs, il n’y a que les chauffeurs qui sont concernés. Les autres ne comptent pas. Moi, j’ai calculé que je dois encore tenir 10 ans pour avoir une retraite potable de 1500 €/mois. Ce n’est pas la pénibilité, c’est un truc qu’ils appellent le Congé de Fin d’Activité et c’est un truc pour les routiers, dont je fais partie. À 58 ans, j’aurais 27 ans de conduite, j’aurais fini de payer la maison, alors 1500 €, ça devrait suffire.
— Mais avec les nouvelles réformes qui s’annoncent, ils vont peut-être vous demander de tenir plus longtemps ?
— Je ne crois pas qu’ils vont y toucher. Parce que s’ils le font, ils savent qu’on peut tout bloquer4. Alors, ils n’y toucheront pas.
— Oui, je vous le souhaite. Mais quand même, passé 50 ans, ça va être rude pour continuer à charrier des trucs.
— Surtout que depuis que j’y suis, les conditions de travail n’ont cessé de se dégrader. J’aime ce métier, mais trois personnes pour un déménagement comme le vôtre, c’est quand même juste.
— Ah, oui… on se disait aussi…
— Oui, donc moins de démés pour le même boulot, c’est aussi plus de fatigue, plus d’usure, plus de problèmes. Mais voilà, si on met plus de gens, il faudra faire payer les clients plus cher et ça, ça ne passe plus…
Sur le total de ce que l’on a réglé, je doute que la main-d’œuvre fasse le gros de la note, mais ça, je le garde pour moi. Parce que pendant tout cet échange, Yoda n’a pas cessé de bouger, d’emballer, trimbaler, aider, conseiller, ranger, nouer, charrier tout en refaisant mon éducation prolétarienne contemporaine d’une voix calme… alors qu’il n’a que deux ans de moins que moi, qu’il fait ça tous les jours et que je me traine dans son sillage, dans un corps qui doit avoir 80 ans.
Finalement, ils ne mettront que deux heures pour embarquer toute notre vie dans leur camion et Yoda me montre qu’en fait, quand c’est bien rangé, il y a encore de la place dans la remorque. Derrière, ils vont s’enquiller une heure de route, puis tout refaire à l’envers, avec un étage en plus. Monsieur Monolecte qui gère l’arrivée me racontera qu’ils n’ont pris qu’une pause sandwiches de 30 minutes avant de remettre le couvert, toujours avec gentillesse et bonne humeur, mais que Yoda lui a avoué au moment de partir qu’après une journée pareille, tout ce qu’il peut faire, c’est se trainer au lit.
Le lendemain, de mon nouveau balcon, je verrai passer le courageux petit camion vers sa nouvelle mission et je retournerai me frayer laborieusement un passage dans ma jungle de cartons.
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]]>On avise alors des barrières et des rubans qui délimitent un autre parcours, désert celui-ci. On ne comprend pas. Il y a une feuille A4 collée contre un poteau, plus loin. On approche : Noms de L à Z
…
Sérieusement ?
Nous avons pris deux rendez-vous contigus dans le temps pour passer en fin de journée et voir s’il ne resterait pas une dose à sauver de la poubelle pour le Minilecte. L’idée, c’est donner des créneaux horaires pour un passage fluide afin d’éviter les attroupements… et là, il y a deux files d’attente… par ordre alphabétique !
— Mais par où doit-on passer quand on a rendez-vous ?
Manifestement, nous ne sommes pas les seuls à être perplexes. C’est juste un coup de bol que nous soyons du même côté le l’alphabet. On suit le parcours sur le côté, puis derrière les poubelles, puis on arrive à une petite file d’attente devant une porte de service.
La porte vitrée s’ouvre sur un long couloir étroit et sombre. Un homme nous barre la route avec un énorme distributeur à pompe de GHA1. Sur le côté, à sa hauteur, il y a une femme debout devant une sorte de guéridon de bar qui parcourt une liste de nom qui s’étale sur une liasse de feuilles A4. Le couple devant nous franchit le seuil et là, la femme au guéridon retire son masque complètement en s’écriant :
— Salut [Machine], quelle bonne surprise ! Tu as vu ? Avec mon masque, tu ne m’as pas reconnue !
Le fait que [Machine] ne retire pas son masque pour répondre ne me console pas vraiment de l’inénarrable abattement qui vient de me tomber dessus.
— Nous avons rendez-vous pour 16h20…
— Non, mais ça ne compte pas, ici on prend les gens quand ils viennent, du moment qu’ils sont sur la liste.
On est sur la liste.
Le gus au GHA nous tombe sur le paletot.
— Aller, un petit coup pour passer !
Je repense au tweet de la prostituée qui racontait qu’elle détestait les distributeurs de GHA que l’on trouve dans les espace publics. Les trois quarts du temps, les mélanges sont médiocres et on se retrouve avec les mains tellement collantes qu’elle a l’impression de faire des heures sup’
. Je contourne l’obstacle et son distributeur d’inutilité pendant que ma famille se fait littéralement poisser.
— Et fermez la porte !
, poursuit le type le moins informé de l’univers.
Nous parcourons au pas de charge un couloir sombre, étroit, au bout duquel s’ouvre sur la gauche un espace bien plus vaste. Il y a déjà une petite demi-douzaine de personnes, toujours dans le couloir, qui attend de pouvoir s’installer à une table où deux volontaires prennent la température et distribuent des formulaires. Il est évident qu’on aurait pu être moins massés2 sans cette connerie de tri alphabétique.
En fait, ça bloque. Pour une raison que j’ignore, plus personne n’entre dans la grande salle. Et pendant ce temps, les gens continuent à s’entasser derrière nous. Au fond, le gus au flacon à pompe continue à gueuler de fermer la porte. Il fait chaud. Nous sommes à présent une quarantaine de gens coincés dans un couloir étriqué et moite. Dont les habituels 5% de masques sous le nez. Je suis totalement furieuse. Nous macérons littéralement dans notre jus et le seul truc qui me protège de l’haleine éventuellement chargée d’une cinquantaine d’autres personnes dans un espace totalement confiné, c’est mon masque. Nous en avons des spéciaux qui nous permettent de ne pas avoir de fuites sur les côtés. Mais ils ont l’inconvénient de leur avantage : on transpire abondamment dedans.
Bien sûr, pas de distance de sécurité, pas d’aération, les gus à nez sorti qui font les 100 pas pour montrer leur impatience et remontent la foule agglutinée peut-être dans l’espoir de gratter une place en enfer.
Finalement, l’une des volontaires revient : ils n’avaient pas imprimé assez de formulaires !!!
Les gus piquent des gens depuis un mois ou deux, les personnes viennent sur rendez-vous : il n’y a pas plus prévisible que le nombre de formulaires que l’on doit avoir sous la main pour la journée, plus la marge d’erreur de ±5%… un peu comme les pifs sortis.
Oui, je sais. Ce sont des volontaires. Des gens qui prennent de leur temps pour… pour quoi, déjà, pour pallier l’incurie de l’exécutif qui n’a en fait organisé que le désordre, l’incurie, les passe-droits, les coupe-files et le démerdez-vous généralisé ?
Je comprends tout ça. Mais soyons clairs : ce niveau d’incompétence est inexcusable. À tous les niveaux. Et surtout par ce qu’il révèle de l’indigence — organisée, elle — de nos services de santé, de nos collectivités et de notre exécutif.
Le thermomètre refuse de marcher3, les formulaires sont pratiquement illisibles, parce que personne n’a pensé à changer le toner ou peut-être même en commander plusieurs d’avance en prévision de la surcharge d’utilisation. J’ai l’impression d’être au festival de l’improvisation au doigt mouillé. Les gens sont gentils, font de leur mieux… mais leur mieux, en l’absence d’informations, de moyens et de directives claires, est au mieux insuffisant, au pire, criminel. Je ne sais pas si nos masques ont suffi à tenir le choc pendant notre immersion dans le bouillon de culture. Cela nous ramène aux facteurs chance et probabilités.
Dans le grand hall, le festival continue. Les différentes files se rejoignent, se séparent, puis se rejoignent à nouveau de l’autre côté de la barrière de boxes improvisés. Les chaises pour attendre les 15 minutes réglementaires5 sont collées les unes aux autres. Les gens patientent au coude à coude. C’est haut de plafond, mais je ne sens pas un souffle d’air dans cette turne. Tout est fermé et immobile et en permanence, il y a plusieurs centaines de personnes qui macèrent là-dedans. Je me fais l’effet de visiter une léproserie à la fin du moyen âge.
Les allergiques gagnent 15 minutes de détention en plus dans le covidrome géant. Là aussi : pourquoi ne pas les prévenir plutôt de prendre leur antihistaminique préféré avant de venir ? Ce n’est pas comme si les allergiques n’avaient pas l’habitude d’en prendre.
Finalement, je vais passer 45 minutes dans cette pétaudière et ma famille une heure complète. En espérant qu’un super-spreader 6n’aie pas choisi de passer dans le coin ce jour-là. Et de faire un carton.
Je sais.
Ce n’est pas partout comme cela. D’autres centres sont totalement fluides et organisés, tu les traverses en quelques minutes, tout est parfaitement huilé, défini, borné… Tu le sais parce que tu as discuté avec des amis, des connaissances.
Mais ce que j’ai vécu n’est pas normal. Il n’est pas normal qu’une question de santé publique aussi importante que celle-là soit laissée à la seule bonne volonté, aux moyens financiers, à l’implication et au sens pratique à géométrie variable des collectivités locales. Il n’est pas normal que plus d’un an après le début de cette pandémie, tant de gens soient encore totalement ignorants de la dynamique du virus… et encore plus quand ces personnes sont impliquées dans la gestion d’un covidrome vaccinodrome.
Il ne s’agit pas de distribuer les bons ou les mauvais points. Tout le monde est à bout dans cette histoire : les gus qui s’en foutent, n’y croient pas et se sentent victimes d’un complot visant à les priver de leur droit fondamental à se battre les steaks de la vie des autres, les gus qui s’informent comme ils peuvent dans le monceau de conneries contradictoires, qui enragent des décisions stupides et qui désespèrent qu’on voit un jour le bout du tunnel, les soignants — quelque soit leur camp — forcément en première ligne, épuisés, souvent à la ramasse, parfois à ça de jeter l’éponge et de laisser tout le monde se dépatouiller des pénuries de tout, tout le temps. Sans compter les jeunes qui voulaient juste vivre leur jeunesse, les pauvres qui voulaient juste bouffer et/ou un peu de répit7, les premiers de corvées encensés quand il ne restait plus qu’eux pour approvisionner les riches planqués et qui depuis le début de ce merdier expérimentent pratiquement tous les jours de leur vie ce que j’ai vécu, dans leurs covidromes respectifs : le RER, le métro, le bus, la caisse à barrière plexi dérisoire, le centre de tri, la chaine de production, le guichet jamais dématérialisé, la salle de classe aux fenêtres qui ne s’ouvrent pas… et tout ça avec des masques chirurgicaux plus ou moins neufs, plus ou moins ajustés, plus ou moins aux normes, mais qu’on doit se fader 7 à 12 heures par jour.
C’est juste un peu de merdier qui vient s’ajouter à toujours plus de merdiers.
Un merdier où je ne frétille pas d’avance de devoir y retourner dans huit petites semaines.
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]]>C’est réglé comme du papier à musique et on entend presque la fanfare qui accompagne la foule en liesse.
Et on ne voit vraiment pas ce qui pourrait mal se passer.
Je vous demande d’être responsables tous ensemble et de ne céder à aucune panique, d’accepter ces contraintes, de les porter, de les expliquer, de vous les appliquer à vous-mêmes, nous nous les appliquerons tous, il n’y aura pas de passe-droit, mais, là aussi, de ne céder ni à la panique, ni au désordre. Nous gagnerons, mais cette période nous aura beaucoup appris. Beaucoup de certitudes, de convictions sont balayées, seront remises en cause. Beaucoup de choses que nous pensions impossibles adviennent. Ne nous laissons pas impressionner. Agissons avec force mais retenons cela : le jour d’après1, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant2. Nous serons plus forts moralement, nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer toutes les conséquences, toutes les conséquences.
Adresse aux Français du Président de la République Emmanuel Macron, 16 mars 2020
Rétrospectivement, le discours de confinement de Macron sonne plus comme un amoncèlement de menaces que comme un inventaire de promesses et de sortie par le haut. Et nous sommes encore loin d’en avoir réellement tiré toutes les conséquences.
Nous traversons la pandémie les yeux rivés sur l’espérance d’un monde d’après, un monde qui aura pris la mesure de la crise surmontée et surtout de toutes celles à venir, un monde qui aura appris de ses erreurs, mais surtout de ses réussites communes. À l’échelle mondiale, tous les pays ont tiré les conséquences de la pandémie et ont fait leurs choix : certains pour leur population et d’autres contre. Ces choix sont essentiellement politiques.
Il n’y aura pas de monde d’après. Quand la pandémie sera terminée, le monde sera la suite de celui qu’il aura été pendant – autrement dit, socialement mortifère et écologiquement désastreux. Les discours sur le « monde d’après » s’appuient sur la reconnaissance du coronavirus comme opérateur politique : sa seule existence serait en elle-même à l’origine de profondes reconfigurations politiques. Le virus en lui-même ne changera rien, c’est un micro-organisme dont l’action n’est pas consciente, mais seulement biologiquement réactive. En revanche, parce qu’elle s’inscrit dans un vaste et complexe système social, la pandémie est quant-à-elle bien un « moment » au sens d’Henri Lefebvre, soit une situation particulière rassemblant des conditions historiques contingentes, propices à des changements politiques65. Certains changements déjà perceptibles sont d’une faible intensité politique : peut-être le port du masque sera normalisé en hiver, saison favorisant la diffusion de nombreuses maladies communes. Le « moment » pandémique concerne lui des mutations plus profondes des sociétés contemporaines, comme l’émergence d’une raison sanitaire, qui en serait déjà un résultat important, qu’il faut ensuite rendre « irréversible ». Celle-ci représente en effet un impératif écologique/écologiste à double titre.
La naturalisation comme dépolitisation de la pandémie, 27 avril 2021, Perspectives printanière
Le sentiment d’irréalité est total. Total parce que partout et de tous les instants. Nous étions dans une guerre contre un ennemi qui ne ne voit pas, qui avance furtivement jusque dans nos maisons, qui peut s’installer des semaines sans que rien ni personne ne le détecte, puis qui se met à moissonner massivement, faisant cette fois disparaitre les gens dans les hôpitaux, dans les maisons de retraites, voire à domicile, dans la plus grande des discrétions, avant de se replier un peu plus loin, pour revenir plus fort, plus malin, laissant derrière lui des hordes de blessés graves que l’on fait mine de ne pas voir.
C’est toujours difficile de prendre la mesure d’un évènement alors que nous sommes encore en train de le vivre. C’est encore plus ardu quand — alors que le tocsin sonne encore dans toutes les campagnes —, nous faisons mine d’avoir laissé le problème derrière nous et tordons le bras à la réalité pour lui faire dire que c’est bon, c’est derrière nous et que nous devons nous empresser de nous vautrer dans une vie d’avant qu’en réalité nous n’avons jamais fait que fantasmer.
Qu’il est difficile de croire ce que l’on ne voit pas, que l’on ne comprend pas. C’est d’autant plus difficile quand le déni est, lui aussi, global, total et alimenté quotidiennement par des intérêts bien particuliers3 qui ont la main mise sur le gros des médias et l’oreille complaisante des puissants.
Qu’elle est forte la tentation d’adhérer à la rengaine lancinante des rassuristes qui promettent d’oublier toute cette merde, toute cette angoisse, là, tout de suite, ici et maintenant, pourvu que l’on produise, que l’on consomme et que l’on ferme bien fort notre gueule et les yeux sur l’autre guerre, toujours en cours, de moins en moins discrète et de plus en plus âpre, celle juste contre nous, les gueux, les riens, et nos petits magots socialisés.
Il n’y aura pas de monde d’après, parce que nous y sommes déjà. Un monde fondé sur le déni des preuves scientifiques, des inégalités sociales et des politiques mortifères, un monde où l’on va vivre avec les calamités, c’est-à-dire que nous allons en subir les conséquences pendant qu’ils en tireront les bénéfices. Un monde pas très différent de celui d’avant, en fait. Surtout nettement moins faux-cul.
La pandémie s’abat sur un monde déjà très inégalitaire et où les écarts de richesses n’ont cessé de se creuser ces dernières années. Selon les travaux du Laboratoire sur les inégalités mondiales, entre 1980 et 2016, les 1 % les plus riches ont capté 27 % de la croissance du revenu mondial, plus du double de ce qu’ont gagné les 50 % les plus pauvres.
Et ce sont les pauvres et tous les laissés-pour-compte de la croissance, plus représentés dans les catégories les plus vulnérables (les femmes, les communautés ethniques historiquement marginalisées, les migrants…) qui sont le plus durement frappés par les conséquences en cascade de la pandémie, à la fois parce qu’ils ont moins accès aux soins et parce qu’ils sont surreprésentés dans les secteurs économiques les plus éprouvés par la crise sanitaire et les plus mal rémunérés (la santé et les services à la personne, le secteur informel urbain…).
Au Brésil, les personnes afro-descendantes ont 40 % de chances en plus de mourir du Covid que les personnes blanches, rapporte Oxfam. De même, aux Etats-Unis, le taux d’hospitalisation des personnes atteintes par le virus était cinq fois plus élevé chez les noirs, les hispaniques et les natifs que chez les blancs. Comme les personnes, ce sont aussi les Etats les plus fragiles qui trinquent le plus, avec la chute des transferts des migrants, des investissements étrangers, des recettes fiscales et l’explosion de la dette publique non pas allégée, mais différée pour une part minime de l’encours total.
Le coronavirus fait exploser les inégalités partout dans le monde alerte Oxfam, par Antoine de Ravignan, 28 janvier 2021, Alternatives économiques
Nous vivons déjà dans un monde où il y a des gens qui ne sont rien, qui ne comptent pas vraiment, des quantités négligeables de gens négligés, des surnuméraires que l’on peut sacrifier sur l’autel du confort, des loisirs et de la croissance infinie par pack de 300… par jour. Un monde où l’on s’habitue à des taux de perte conséquents. Pourvu que l’on puisse retourner s’amuser, profiter de la vie, celle des méritants et surtout des bien-nés. Un monde où le pandémicide est devenu un mode de gestion tout à fait acceptable et assumé.
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]]>Qu’ils aillent bien se faire cuire leurs précieuses couilles avec leur minable manœuvre de diversion !
Ma grosseur m’a exclue de la sororité implicite, celle qu’on partage autour des soucis de l’adolescence, des histoires de cœur, des fringues, du corps qui devient désirant et désiré. J’ai longtemps couru après l’idée que je me faisais de la femme grosse idéale. Je me suis faite “jolie”, j’ai pris soin de ma peau, de mes ongles, j’ai déployé une énergie folle à trouver des vêtements qui mettaient mes seins en valeur, car j’ai compris que seule ma poitrine me permettait de sortir du brouillard du genre orchestré par mon poids. J’ai ainsi négocié ma place chez les femmes, adopté leurs signes distinctifs, je me suis rendue reconnaissable comme telle aux autres. Je ne me suis vraiment reconnue femme que dans la violence de mes relations aux hommes cisgenres, que dans une hétérosexualité obligatoire. Comme le négatif d’une pellicule, me confronter à leurs corps, à leurs désirs, à leur violence, me permettait de créer un espace où j’étais sûr.e de ne pas être un homme, j’étais donc rassurée, à ma place. J’ai accepté de me déguiser, de me faire pénétrer, de me faire violence, de nier toute forme d’identité propre à mon histoire, à mon esprit, pour participer à la course à la validation.
8 mars 2021, par Daria Marx
Cela fait des années que je lis Daria. Je pourrais broder sur son talent, sur sa puissance, son intelligence, son acuité, son écriture incisive. Parce qu’elle a tout ça, bien sûr. Mais en vrai, j’ai besoin de lire Daria pour continuer à cheminer dans ma tête et plus particulièrement pour m’éduquer. Parce que, comme tout le monde, j’ai été dressée à repousser les grosses, à leur reprocher de prendre plus de place qu’on ne nous en accorde habituellement, c’est-à-dire : que dalle.
Et dans cette guerre aux femmes, dans cette négation à les laisser exister dans quelque espace que ce soit, les grosses sont encore plus mal traitées, parce que débordant systématiquement des (toutes) petites boites où l’on s’entend à les faire disparaitre.
Mais dans la course à l’invisibilisation des femmes, de leurs luttes et de leurs achèvements, il y a compet’
. Et même dans un magazine dit féminin
qui consacre ses Unes aux femmes différentes, on se rend compte qu’il y a des différences plus présentables que d’autres.
Mon attention est attirée alors par Looping MacGyver qui a eu un mal de chien à trouver la huitième couverture1.
Encore une femme qui prend trop de place, y compris au milieu de ses sœurs.
En tant que femme, si vous avez de la personnalité, direct, on va vous dire : « Tu es dure, autoritaire. » Si vous êtes une femme handicapée, encore plus, vous devriez doublement la fermer. Votre personnalité ne colle pas avec ce que vous êtes supposée être. Plus jeune, je me disais : « Les femmes doivent être douces, moi, je n’ai pas ce truc-là. » Je voyais ça comme un problème.
Maintenant, j’assume. J’ai du caractère. Ça a le grand mérite d’éloigner les gens inintéressants. Petite, j’adorais les personnages de méchantes, de reines machiavéliques.
Elles me donnaient envie de leur ressembler, j’aurais aimé être aussi impitoyable. Je m’identifiais plus à ces femmes diaboliques qu’aux princesses nulles. Elles incarnaient la mauvaise féminité, celles qui veulent le pouvoir. Ce sont des mecs qui créent ces personnages : ils leur prêtent l’ambition de contrôler le monde alors qu’en fait, elles veulent juste contrôler leur vie.
C’est ce qu’on reproche aux féministes, finalement. Vraiment, j’adore ces personnages. C’est pour ça que je me dessine des sourcils de méchante. Pour rigoler, jouer avec ce type de codes.
Élisa Rojas, l’avocate activiste « l’intime est un enjeu politique », Marie-Claire, 4 mars 2021
Ce sur quoi toutes deux s’accordent2 — chacune du fond de la singularité de son parcours —, c’est que la voie de l’émancipation de toutes les femmes passe par la fin de la validation de ce qu’elles sont, de ce qu’elles pensent ou de ce qu’elles font par les hommes.
Je me fous totalement de la façon dont les hommes me considèrent. Je pense d’ailleurs que les femmes hétéros perdent trop de temps à essayer de savoir si elles plaisent ou pas aux hommes. Il faut n’en avoir juste rien à secouer.
Idem
Mais en fait, ignorer leurs regards, leurs jugements3, leur agenda, leurs priorités, leurs critères ne suffira pas. Si nous ne voulons pas crever de leur sollicitude, il va falloir aussi les priver de notre propre assentiment, notre propre validation de dominées. Et c’est cette affirmation qu’Alice Coffin paye aussi cher.
Je sais qu’ils veulent qu’on crève.
Je ne sais pas comment cela va finir.
S’ils auront la peau de l’humanité avant qu’on ait la leur, si l’on va sortir les couteaux.
Ou, à défaut de prendre les armes, organiser un blocus féministe. Ne plus coucher avec eux, ne plus vivre avec eux en est une forme. Ne plus lire leurs livres, ne plus voir leurs films, une autre. À chacune ses méthodes.
Nous avons le pouvoir, sans les éliminer physiquement, de priver les hommes de leur oxygène : les yeux et les oreilles du reste du monde. « Une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette », dit le slogan féministe. L’inverse n’est pas vrai. Nos regards béats, attendris et indulgents sont l’air dont se gonfle la masculinité. Cessons d’admirer les exploits et colères des petits garçons, les œuvres, les corps et les discours des hommes, et ils cesseront d’exister.Le génie lesbien, Alice Coffin, Grasset, 2020
Et pour finir :
Je ne dis jamais que les hommes, aussi, ont tout à gagner au féminisme. C’est faux. Ils ont tout à perdre. Leurs privilèges, leurs monopoles, leur pouvoir. C’est un combat, nous ne le menons pas ensemble. Ce sera le cas lorsque les hommes quitteront un à un leurs postes pour les laisser aux femmes, accepteront d’entendre les souffrances qu’ils causent et paieront. Il faut qu’ils paient. Ce n’est pas un cri de vengeance, je n’aspire à faire souffrir personne, c’est une nécessité. Il n’y a pas d’autre moyen d’arrêter l’hécatombe. Les hommes vont perdre, beaucoup, si l’on veut qu’elle cesse.
Idem
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]]>À quoi bon lire une histoire dont on connait déjà la fin ? Le plus marrant, dans l’affaire, c’est que je ne lui ai jamais posé la question, me contentant de désapprouver la méthode d’un reniflement bruyant et indigné.
Ma grand-mère lisait aussi le journal à partir de la fin. Elle commençait par le plus intéressant : l’éphéméride, la météo, l’horoscope, la recette de cuisine du jour, la citation en patois, puis elle remontait le courant vers son deuxième grand centre d’intérêt quotidien, la rubrique nécrologique. Encore des histoires dont elle prenait connaissance par la fin inéluctable.
Quand j’étais gosse, c’était son Perdu de vue personnel. Elle y retrouvait d’anciens amis de jeunesse qui avaient construit leur vie au bled pendant qu’elle s’exilait laborieusement dans la capitale. Je trouvais ça morbide. C’était son agenda des sorties. Avec le temps, les nécros parlaient moins des gens qu’elle connaissait. Vers la fin, c’était plus comme si Highlander compulsait le Guiness book des records, histoire de vérifier qu’elle était bien la dernière de son espèce.
J’ai donc raté le sens de la vie tel que le voyait ma grand-mère, parce que je n’ai jamais réellement eu la curiosité de comprendre un fonctionnement qui me semblait juste aberrant. Et maintenant que j’ai réussi à me dire qu’il y avait quelque chose à creuser dans l’histoire, elle ne peut plus me répondre. Je me demande à présent ce que son habitude révélait de son rapport au temps et même à la vie, au récit de nos vies.
Je lis comme on part en exploration : j’aime ne rien savoir de ce qui m’attend, j’aime me perdre dans les méandres de narrations qui s’entrecroisent et plus le livre est gros, plus je suis contente de savoir que le voyage va durer. J’adore les sagas interminables, les auteurs capables de rester toute leur œuvre dans le même univers, capables de repartir d’un personnage secondaire pour bâtir une nouvelle digression et relancer la machine pour un tour. Quand j’apprécie un auteur, je suis capable de m’enfiler toute son œuvre à la queue leu leu, comme une balade interminable à ces côtés, une randonnée de l’esprit qui peut durer plusieurs mois et dont je ressortirai potentiellement transformée. Et rien n’est plus frustrant pour moi que d’arriver au mot fin. Rien n’est plus triste que d’achever le voyage, de dire adieu à l’auteur et ses personnages. J’ai parfois même besoin d’une pause à lire un essai ou un truc un peu aride pour ne pas perdre tout de suite la saveur de cette rencontre, pouvoir poursuivre encore un peu l’aventure dans mon cinéma intérieur.
En fait, dans la vie comme dans la lecture, je préfère le trajet à la destination. Et même quand je suis arrivée, j’enchaine souvent avec l’exploration des environs, une poursuite du voyage, une sorte de refus inconscient de poser mes valoches ou de m’amarrer au port. Et rien n’est plus terrible pour moi que la sensation d’avoir fait le tour d’un lieu, d’une aventure, d’une personne, d’être arrivée à la fin d’une époque ou d’une histoire. À ce moment-là, je me remets en quête… d’une autre quête, d’un autre mouvement. Je suis une nomade dans ma propre vie.
Alors que ma grand-mère avait bien l’air de savoir que tout cela finissait toujours de la même manière, quels que soient les raccourcis ou sentiers buissonniers que l’on puisse choisir en cours de route. Finalement, ma grand-mère savait que la vie ne chemine que dans un seul sens : celui qui va du berceau au tombeau et que tout ce qu’il y a au milieu, finalement, n’est que littérature. Elle n’attendait finalement pas grand-chose de la vie, si ce n’est que quelques déceptions de plus et je pense qu’elle avait une secrète jouissance à penser qu’au bout du chemin, c’était la même conclusion pour tout le monde, que le riche qui méprise comme le pauvre qui supplie, les petites haines quotidiennes comme les grandes histoires d’amour éperdu, tout cela se termine assez mal, en général.
Dans la famille de monsieur Monolecte, il y a eu longtemps une tradition de grandes randonnées familiales. En tant que pièce rapportée j’ai eu le droit d’intégrer ce rituel déambulatoire, généralement commis à flanc de montagne avec au moins un bivouac au milieu pour marquer la pause nocturne. L’idée générale était de reproduire la progression erratique de la tribu primitive, avec, au bout du chemin, la promesse du point de vue unique et insaisissable. Tout comptait : le choix du trajet, la compagnie, l’effort, la souffrance, la joie et la récompense suprême du sommet. L’errance de la vie, mais avec un but, une destination, et toujours l’aiguillon de la curiosité :
— C’est encore loin, l’arrivée ?
— Non, c’est juste derrière la prochaine moraine.
Depuis, j’ai appris que derrière chaque moraine s’en cache une autre et qu’il n’y a de pause qu’arrivé·e au sommet. Derrière la prochaine moraine
est même devenu un gimmick familial pour exprimer le leurre du but proche qui cache une destination inatteignable. C’est le moteur de la vie, ce qui fait qu’on décide de tenir le coup, de serrer les dents et de continuer à avancer malgré la lassitude, malgré nous, malgré l’adversité, le temps qui passe et nous lamine, malgré la vie, malgré tout.
Je ne saurai jamais pour quelle raison ma grand-mère commençait tous ses livres par la fin. Comment — à la lecture de quelques phrases jetées au terme du parcours de personnages qu’elle ne connaissait même pas — pouvait-elle décider que, finalement, cette histoire méritait d’être lue ? Peut-être qu’elle était comme un archéologue patient qui reconstitue une civilisation à partir de quelques rognures d’os roulées dans la poussière. Peut-être aussi qu’elle voulait se rappeler qu’en cette vie, elle n’entretenait l’illusion d’aucun espoir. Peut-être que c’est de cette manière que se déroule l’existence des croyants : tendue dans l’attente du point final, qui les délivrera de cette vallée de larmes. Peut-être n’était-elle qu’impatiente et avide de passer à la moraine suivante.
Toujours est-il qu’elle a déroulé le plus longtemps possible son propre récit, pas plus avide de sa conclusion qu’une autre.
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]]>Cette idée m’a frappée l’autre matin alors que je m’échinais à justifier un acte de modération sur un groupe Facebook. C’est quelque chose que je fais depuis des années, pratiquement depuis la fin des années 90, d’une manière ou d’une autre. J’ai administré des forums, animé des équipes de rédaction et quand les réseaux sociaux se sont développés, tout naturellement, je me suis retrouvée à modérer et administrer des pages et des forums. À l’œil bien sûr, dans l’élan, un petit tour le matin en sirotant mon thé, un dernier le soir, avant d’aller me coucher, ça s’est fait tranquillement, ancré dans mes routines et la fluidité de l’expérience.
C’est comme cela que je me suis retrouvée l’autre soir à élaguer du troll pendant près d’une heure au lieu d’aller me coucher comme tout mon organisme m’en intimait l’ordre.
Soyons clairs, la plupart du temps, les administrateurs et modérateurs, nous sommes juste les gardiens du temple. On vérifie en passant que tout le monde respecte les règles (ce qui est en fait très généralement le cas) et reste dans les limites du groupe. Parfois — mais vraiment pas souvent — des utilisateurs signalent un problème, mais la plupart du temps, ils ont appuyé sur le mauvais bouton. Et quand il y a une prise de bec, c’est l’affaire d’une petite intervention, un petit rappel à la loi
, comme pourrait encore le faire une maréchaussée bienveillante, tout le monde se calme et reprend une activité normale… si l’on peut considérer que clavioter jusqu’au bout de la nuit est une activité normale.
Ce qui est devenu le cas.
Je donne donc de mon temps (mais pas trop, quand même), pour assurer le bon fonctionnement de communautés d’entraide virtuelles… de pas moins de 12 800 membres pour la plus importante, mais aussi 7 000 pour une autre sur le même principe intraprofessionnel, 4 200 pour un groupe d’intérêt départemental, etc. Comme je ne vois pratiquement jamais personne, je n’ai pas réellement conscience du nombre, d’autant plus que — comme je l’ai déjà dit — toutes ces communautés ont de très bonnes facultés d’autogestion et roulent pratiquement toutes seules… la plupart du temps.
Pour vous donner une idée, mon microbled, c’est 227 habitants, le bled, 2 000, le bassin d’habitation, entre 5 000 et 8 000 blédards, selon le découpage.
Je suis donc là à fulminer, parce qu’un membre de la communauté a encore voulu jouer au mâle alpha, assénant ses conseils comme des vérités absolues et surtout, ne supportant absolument aucune contradiction, quand bien même il a totalement tort, qu’il est en train d’envoyer chier tout le monde en gueulant au martyr tout en s’empressant de gerber sur tout ce qui lui déplait.
Oui, le gus est en train de troller.
Je suis là parce que plusieurs utilisateurs ont appuyé sur un bouton d’alerte qui avertit les admins que quelqu’un fout le bazar. Croyez-moi ou pas, sur l’ensemble des communautés que je cogère1, ça n’arrive pas si souvent que cela, une ou deux fois par mois. Mais les trolls font toujours mine de penser que je leur en veux personnellement et que je passe mon temps à les traquer. Je pense que tous ceux qui font de la modération en ligne se retrouvent parfaitement dans ce que je suis en train de raconter.
Je suis là en train de rater mon train de sommeil parce qu’il y a un conflit en ligne et que je dois le gérer. Parce que personne d’autre n’a relevé les alertes, parce que c’est le soir, parce qu’au-delà des pseudos, il y a des gens.
Et c’est bien tout le problème.
Sur internet, il n’y a personne et en même temps, il y a tout le monde. Tu peux éclater la gueule de quelqu’un à grands coups d’insultes ou de rhétorique tordue, tu peux harceler ou invisibiliser, tu peux démolir systématiquement une personne, son œuvre, sa pensée, sa vie, comme ça, bien tranquille derrière ton clavier, sans aucune espèce de conscience, sans ne jamais être exposé aux conséquences. Tu peux décharger ta frustration, ta colère, ta haine, ton trop-plein de merditude, sans l’impact sourd du gnon dans la bidoche, sans les cris qui pètent le tympan, sans le sang et les ratiches qui te sautent à la gueule. Tu peux boxer sans te niquer les jointures et sans risquer de te faire éclater la tronche ou réajuster le portrait.
Sauf que ce n’est pas aussi simple que ça.
De mon côté, je peux aussi gagner du temps, du calme et de la tranquillité en appuyant sur un simple bouton et en bannissant à vie le rustre et son refus borné d’accepter d’être logé à la même enseigne que les autres, de laisser tomber son petit numéro de distributeur de bons et mauvais points.
Mais ça aussi, ce serait trop facile.
Et c’est aussi vrai que derrière nos claviers, la tentation de la facilité est immense.
Et c’est encore plus vrai que depuis des mois et des mois, interminablement, beaucoup de notre capacité de faire société s’est réduite à nos écrans.
Ce qui fait que c’est encore moins simple et facile que d’habitude et qu’à aucun moment il ne faut perdre de vue que derrière les pseudos et les chiffres, il y a des personnes, des vies, des histoires… et probablement d’infinis besoins de continuer à interagir avec ses congénères.
Alors oui, je vais consacrer du temps à ce qui a l’air dérisoire. Je vais intervenir pour rappeler les règles de courtoisie qui s’appliquent en fait au quotidien à l’ensemble de nos confrontations, que ce soit au boulot, dans la rue, en famille, entre amis et partout où nous sommes plus d’une personne.
Je vais devoir préciser qu’on ne peut pas donner un conseil au doigt mouillé, sans se préoccuper de ses conséquences. Ici, le troll conseillait dans un conflit de location de cesser de payer le loyer. Ce qui est vraiment un très mauvais conseil tant cela peut se retourner très sévèrement contre les locataires et les placer dans une situation vraiment très défavorable. Et surtout, le troll n’a pas supporté que de nombreux autres membres puissent le contredire et s’est mis automatiquement en mode attaques personnelles2
contre ses détracteurs3. Donc, répondre à la question première, avec des preuves et des arguments, supprimer les commentaires qui ne sont qu’agression, répondre à ceux qui donnent des infos non étayées, mais ne pas tout virer pour que les autres membres puissent tirer profit du contrexemple. Ne pas laisser trainer, car ce genre du pugilat dégénère très rapidement. Ne pas se précipiter, parce que le modo non plus ne doit pas se laisser aller à la tentation de la facilité de la force, surtout quand elle se drape de légitimité.
Avoir immédiatement le troll sur le paletot qui hurle à la censure, à la kabbale et à l’acharnement… au cas où l’on serait passé à côté du fait qu’il agit purement et simplement en troll.
Soupirer en se rendant compte que c’est bien sûr un habitué. Qu’à lui tout seul, il pèse plus en actions de modération que les bientôt 13 000 autres membres de la communauté. Qu’il a déjà eu des tas d’avertissements. Qu’il fait gravement chier, à force, à foutre la merde régulièrement. Que je ne suis même pas payée pour être emmerdée à ce point-là. Que c’est vraiment un sale boulot que personne n’a envie de faire, qui est usant à force4, mais qui doit absolument être fait sous peine de voir les communautés imploser et les services d’entraide qui y sont attachés disparaitre.
Et cette entraide est nécessaire. Indispensable. Fondamentale.
Y compris pour les gus obsédés par la domination. Y compris pour les trolls. Mais aussi pour tous les autres qui pourraient être poussés vers la sortie par les outrageurs/outragés du clavier.
Cet espace de solidarité, tout virtuel qu’il soit, aide réellement des tas de gens à faire face à des embrouilles administratives, financières, fiscales, professionnelles. Il existe d’autres communautés, mais celle-ci est ancienne, vaste, regroupe aussi des experts dans différents domaines, dispose d’une énorme base de connaissances. Même derrière un clavier, même au cul des vaches et sans pratiquement ne jamais croiser personne, cela reste une énorme responsabilité que de faire en sorte que tous ces isolés puissent continuer à faire société, qu’ils soient ensemble, solidaires, plutôt qu’isolés, perdus, sans ressources et sans défense.
Parce que c’est aussi ça, les réseaux sociaux.
Et encore plus depuis la pandémie.
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]]>Je suis surprise et ravie à la fois. Cela fait plusieurs années que je ne l’ai pas croisée, mais c’est ce qui arrive souvent avec les gosses de la brousse : ils grandissent, ont besoin d’un enseignement que la cité scolaire du bled ne peut pas fournir et ils partent, engloutis par la grande ville. C’est une bonne chose qu’ils puissent échapper au manque de perspectives des bleds, mais c’est aussi une joie d’arriver parfois à avoir de leurs nouvelles, de savoir qu’ils vont bien, qu’ils ont construit quelque chose, ailleurs. En mieux.
Elle fait partie des gens avec qui je m’entends bien : pas quelqu’un de facile, un caractère bien trempé — même quand elle était haute comme trois merdes écrasées —, mais aussi une belle vivacité d’esprit, une personnalité rugueuse et attachante, quelqu’un qui va bouffer la vie avec entrain.
Je suis contente et touchée qu’elle ait choisi directement de s’assoir à côté de moi et de me saluer. Je ne me fais aucune illusion : de son point de vue, j’appartiens au clan des daronnes, je suis née vieille et même si l’on peut — en se forçant très fort — imaginer que j’ai été jeune, je vivais surement en noir et blanc avec mon pote le T-Rex.
Mon intérêt très réel quant à sa vie et ses satisfactions doit se lire sur mon visage, parce qu’elle ne se contente pas de me balancer que tout va bien avant de se jeter sur son téléphone pour pianoter sans fin des pixels à ramification lointaine.
Donc oui, elle est partie étudier ailleurs quelque chose que je ne connais pas, mais qui l’emplit de satisfactions, ce qui est clairement la chose la plus importante à mes yeux, elle aime sa nouvelle vie, elle aime aussi quelqu’un en particulier et oui, on peut dire qu’elle est heureuse dans ses baskets, elle est juste en visite dans la famille et elle est bien contente que le grand-père ait dégagé.
Là, c’est le moment où mon visage exprime un abime d’étonnement sans fin… parce que de toute la tribu, c’est bien le gus que je connais le moins et qui vient de tomber comme le cheveu dans la soupe.
— Ah, je vois que je ne te l’avais pas dit.
— Dit quoi ?
— Que mon grand-père me tripotait quand j’étais petite !
— Oh putain, non. Non, désolée, je ne savais pas.
Il faut dire à ma décharge que j’ai toujours fui les ragodromes blédards avec leur fabrique exponentielle de bullshit qui va de pair avec leur capacité de plomb à taire ce que tout le monde chuchote sous le boisseau.
— Faut dire qu’on ne l’a dit à personne.
— Oh, je suis trop désolée pour toi.
— Non, ça va, t’inquiète. C’est loin tout ça, maintenant.
Cette déclaration venant d’une personne qui n’a pas encore contemplé une vingtaine de floraisons de rosiers me laisse assez dubitative.
— Mais tu as pu en parler ? Tu as été aidée ?
— Oui, ma mère m’a tout de suite crue et ma grand-mère l’a foutu dehors. On a lavé le linge sale en famille.
— Tu as eu de la chance que ta famille te soutienne…
Là, c’est elle qui m’a regardée bizarrement. J’ai l’impression qu’elle n’avait jamais pensé que ça aurait pu éventuellement lui retomber sur le coin de la gueule.
— En tout cas, je te remercie d’avoir partagé ça avec moi, tu sais. Ta confiance me touche.
Là-dessus, mon toubib arrive et je me lève à sa suite.
— Je suis vraiment contente d’avoir eu la chance de te revoir et de savoir que tu as une bonne vie à présent. Continue comme ça. Et bonne chance.
Je ne l’ai jamais revue au bled et c’est une bonne chose pour elle. J’ai souvent repensé à cette petite conversation et à sa manière aigüe de me parler de ça, du mot interdit, du truc dont on ne parle pas, de ces petits crimes en famille. Je me demande encore ce qui l’a poussée à m’en parler, comme ça. C’est comme si elle me testait. Comme si elle testait l’état du monde dans lequel elle allait se faire une place. Elle voulait voir comment j’allais réagir.
J’ai été hantée par cette histoire. Je le suis encore. Je sais que la règle d’airain est on n’en parle pas
. Je sais que ce n’est probablement pas par hasard que sa mère et sa grand-mère ont réagi aussi vite et aussi bien. Je sais que cela a probablement participé à lui permettre de grandir et d’aller bien, d’aller vers une vie heureuse.
Depuis quelques jours, la parole des victimes est en train de se libérer une fois de plus sur les réseaux sociaux. C’est tristement énorme, massif, endémique. En quelques mots douloureux, dans des récits ressassés dans l’ombre depuis des années, voire des décennies, les anciens enfants parlent.
Bien sûr, personne n’est prêt à recevoir ce genre de parole. On fait avec ce que l’on est, sa propre histoire, ses limites. Je ne savais pas dans cette salle d’attente déserte s’il y avait de bonne ou de mauvaise réaction. Je ne le sais toujours pas. Elle m’a confié ce jour-là quelque chose d’énorme et a attendu de voir ce que j’allais en faire. Je l’ai écoutée. Je l’ai crue. Je ne sais pas si ça a suffi, mais au moment où je quittais la salle d’attente, elle m’a rendu le plus beau sourire du monde.
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]]>— Ah quand même, demain tu as un demi-siècle, ça doit te faire quelque chose.
— Bah, probablement moins qu’à toi qui viens de te rendre compte que ton gosse est vieux, à présent…
Pourtant, depuis le temps, il devrait savoir qu’il ne risque pas de gagner au jeu des vannes plaquées au sol.
De mon côté, je m’apprête précisément à avoir un gosse qui est majeur, à quelques jours près. Oui, le Minilecte va avoir 18 ans. Je dis ça surtout pour tous ceux qui trainent par ici depuis le début et pour qui la naine ressemble à jamais à ça :
Je sais que ça fait toujours un petit choc aux habitués de se rendre compte que cet endroit existe depuis assez longtemps pour qu’un bébé ait eu le temps de se transformer en adulte.
Bizarrement, autant je me suis toujours préparée à l’implacable écoulement du temps sur nos corps et à la lente érosion de mon existence, jamais je n’avais envisagé que je puisse à mon tour assister au vieillissement de ma progéniture.
Je vais totalement disparaitre de la face du monde productiviste en cessant d’être la très courtisée ménagère de moins de 50 ans tout en devenant probablement la cible privilégiée des rappels de campagnes de prévention d’Ameli et des dealers de convention obsèques. Et pendant ce temps, le fruit de mes entrailles va conquérir le monde… enfin, dès qu’on aura réglé quelques petits détails fâcheux comme la foutue pandémie qui moissonne comme jamais et nous a révélé la profonde vacuité criminelle de l’ensemble de la classe dirigeante occidentale.
L’autre jour, Saxo se demandait pourquoi je n’écrivais plus (ici). Le fait est que je ne pensais pas que nous puissions collectivement nous entêter de la sorte dans la mauvaise direction. Le gros de ce qui était nécessaire de savoir sur le covid-19 pour se sentir du merdier était connu depuis au moins le mois de juillet dernier… et nous n’avons rien fait d’autre que de compter les victimes1.
Quand j’ai écrit fin septembre mon papier sur l’aérosolisation du virus, je pensais encore que c’était une question de temps avant que les gens très bien payés pour être aux manettes ne comprennent les enjeux et réagissent enfin correctement.
Et il ne s’est rien passé.
Aussi inconcevable que cela puisse paraitre, les gus n’en ont eu rigoureusement rien à battre des preuves scientifiques qui annonçaient le second épisode du désastre et n’ont rien changé à leur doctrine stupide même quand les cadavres se sont remis à s’empiler. Ils ont juste continué à mentir comme des arracheurs de dents, à mouliner dans le vide, à gérer une crise sanitaire majeure avec toujours plus de de flics, de mépris… et de mesures totalement idiotes, comme l’ont remarqué nos voisins allemands.
Le grand hebdomadaire allemand Die Zeit, qui tire à 500 000 exemplaires par numéro, dresse un portrait de la France aussi réaliste que cauchemardesque. Derrière le titre « Absurdistan autoritaire », le journal allemand décrit de façon détaillée un Régime de privation de liberté incohérent, stupide et inquiétant. Attestations et amendes, mesures contre-productives, décisions « monarchiques », extrême droite, tout y passe. Quelques extraits2 :
« Attestations pour quitter la maison ou courir devant chez soi, vigiles pour surveiller les jouets : le verrouillage de la France est tellement répressif que même les règles sensées sont déconsidérées.
Autoritäres Absurdistan, Die Zeit3, 12 novembre 2020
Parfois, on arrive à un tel niveau de bêtise qu’il en devient insurmontable, inconcevable, indépassable… voire indicible. C’est comme avoir la charge mentale du monde entier… conjuguée avec une force de poussin. Une absolue impuissance dont l’incrédulité est nourrie jour après jour dans un état écrasant de sidération. Qui bloque toute réflexion. Qui paralyse toute parole.
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]]>Bien sûr, dit comme cela, je ne vous aide en rien : qu’est-ce que cela veut dire, quelles en sont les conséquences pratiques ?
Simplifier n’est pas forcément caricaturer, c’est aussi rendre simplement compréhensible et facile à visualiser sans forcément disposer d’un grand bagage intellectuel ou scientifique. Les Allemands y sont tellement bien parvenus que vous pouvez appréhender le concept sans même parler un mot de la langue de Goethe.
En langage profane, un virus qui se diffuse par aérosolisation est un virus qui peut se comparer à la fumée expirée par un fumeur de tabac. La fumée de tabac est pratique comme support de comparaison, parce que contrairement au sars-cov-21 qui survit dans les micros gouttelettes expirées par la simple respiration d’une personne infectée dans la plus parfaite discrétion, la fumée de tabac se voit bien et se sent bien.
Ce qui revient à dire pour simplifier la question de la prévention du covid, que chaque fois qu’un fumeur est susceptible de vous incommoder, vous êtes potentiellement en train d’inhaler le virus.
Présenté comme cela, je trouve qu’il est tout de suite beaucoup plus facile de comprendre comment le virus circule et comment on peut s’en protéger. Il est facile de comprendre pourquoi le virus contamine très peu à l’extérieur, à moins de littéralement vous expectorer à la gueule, pourquoi il moissonne dans les pièces fermées et mal aérées.
Ce seul savoir permet de définir facilement et simplement les mesures à prendre pour protéger la population du covid et freiner sa propagation jusqu’au point où l’on pourrait le faire régresser jusqu’à sa disparition complète.
Mais bien sûr, ce n’est pas du tout ce qui se passe et les mesures sanitaires — et surtout coercitives — s’empilent dans la plus parfaite incohérence provoquant la confusion, la colère, voire même leur rejet dans une part grandissante de la population.
La question est pourquoi ? Pourquoi cette timidité à parler de cet aspect précis et essentiel de la maladie, d’où ça sort et pourquoi c’est moi qui en parle, moi qui ne suis rien, ni toubib, ni virologue, ni épidémiologiste, ni même pilier de comptoir sur une des innombrables chaines — dites — d’info qui vous racontent à peu près tout et son contraire depuis le début, ce qui n’est pas de nature à vous aider à vous y retrouver, à avoir une vision claire de la situation et de votre place dans cette histoire.
En ce moment, la principale préoccupation de l’OMS devrait être la lutte contre le covid-19, la maladie qui a déjà tué plus d’un million d’êtres humains et qui ne cesse de s’étendre et de moissonner toujours plus de vies. Mais en ce moment, l’OMS déploie une bonne partie de ses ressources contre un mal qui est le complice objectif de la pandémie : l’infodémie.
La maladie à coronavirus (COVID-19) est la première pandémie de l’histoire dans laquelle la technologie et les réseaux sociaux sont utilisés à grande échelle pour permettre aux individus d’être en sécurité, informés, productifs et connectés. Dans le même temps, la technologie sur laquelle nous nous appuyons pour rester connectés et informés permet et amplifie une infodémie qui continue à affaiblir la riposte mondiale et compromet les mesures de lutte contre la pandémie.
Une infodémie est une surabondance d’informations, tant en ligne que hors ligne. Elle se caractérise par des tentatives délibérées de diffuser des informations erronées afin de saper la riposte de santé publique et de promouvoir les objectifs différents de certains groupes ou individus. Les informations fausses et trompeuses ainsi diffusées peuvent nuire à la santé physique et mentale des individus, accroître la stigmatisation, menacer de précieux acquis en matière de santé et conduire à un non-respect des mesures de santé publique, réduisant par là-même leur efficacité et compromettant la capacité des pays à enrayer la pandémie.
La diffusion d’informations fausses coûte des vies. S’il n’existe pas un climat de confiance et si l’on ne diffuse pas des informations justes, la population n’utilisera pas les tests de diagnostic, les campagnes de vaccination (ou de promotion de vaccins efficaces) n’atteindront pas leurs objectifs et le virus continuera à se propager.
Gestion de l’infodémie sur la COVID-19 : Promouvoir des comportements sains et atténuer les effets néfastes de la diffusion d’informations fausses et trompeuses, déclaration de l’OMS, 23 septembre 2020.
Personnellement, je suis atterrée de voir que le covid ou le port du masque sont devenus de simples opinions. Et cela même parmi ceux dont c’est le métier, ce qui rajoute encore plus de confusion au bordel intersidéral qu’est devenue la gestion de l’épidémie, tout particulièrement en France, mais pas seulement. Cette incohérence a des conséquences pratiques et bien tangibles : la propension de la population à consentir aux efforts de lutte contre la maladie est plus ou moins tombée à zéro.
Actuellement, nous sommes tout simplement devenus le contremodèle de la lutte contre le covid, le sale gosse du fond de la classe, l’exemple à ne surtout pas suivre.
Interrogée le 7 septembre par la présentatrice Jackie Long sur la chaîne de télévision britannique publique Channel 4, l’épidémiologiste Catherine Hill est catégorique : « Ne faites pas ce que les Français sont en train de faire ! » Connue pour le rôle important qu’elle a joué dans l’émergence du scandale du Mediator, la chercheuse multiplie depuis plusieurs semaines les interventions médiatiques, mettant à chaque fois en garde contre une stratégie de lutte contre la Covid-19 qu’elle juge « inefficace » dans l’Hexagone. Un constat qui semble, désormais, de plus en plus partagé.
Car avec 5 000 à 10 000 nouveaux cas recensés quotidiennement, la France doit actuellement faire face à un rebond de l’épidémie que d’autres pays européens mais pas seulement, ont réussi à éviter. Un bref coup d’œil sur certaines statistiques permet d’ailleurs de se rendre compte que la situation sanitaire française est désormais comparable, à certains points de vue, à celle des États-Unis, pourtant considéré comme l’un des pays éprouvant le plus de difficultés face à la crise. Au 15 septembre, le pays dirigé par Donald Trump comptait ainsi, en moyenne, 111,6 nouveaux cas de contaminations par million d’habitants, contre 126,9 pour la France (même si le nombre de décès causés par le virus reste largement supérieur côté américain).
Covid-19 : la stratégie française est-elle vouée à l’échec ?, Usbek & Rica, 19 septembre 2019
Bien sûr, ce n’est pas ce genre d’information qui est repris en boucle et commenté à longueur d’antenne sur les médias grand public français. Et pas seulement parce que cela revient mettre en cause la doctrine sanitaire officielle de l’État, laquelle confine surtout à l’absurde, voire au surréalisme :
Les cantines scolaires restent ouvertes, ce n’est pas la même chose qu’un bar, c’est le midi, pas le soirJean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, France Info, 25 septembre 2020
Face à cette gestion épidémique en mode tartufe, la résistance s’organise assez péniblement, comme si la voix de la raison et de la science était devenue inaudible.
Nous, citoyennes et citoyens, parents d’enfants scolarisés en France, enseignant(e)s et personnels intervenant dans les établissements scolaires, demandons que le gouvernement respecte pour l’École le principe de précaution concernant l’épidémie de Covid-19.
Nous demandons ainsi la mise à jour du protocole sanitaire, prenant en compte les plus récentes conclusions scientifiques internationales qui démontrent le rôle des enfants et de l’école dans les chaines de transmission de Covid-19. Nous demandons l’intégration de mesures basées sur les conclusions tirées des expériences d’autres pays (Israël, Allemagne, États-Unis, etc.), les recommandations de l’OMS, des CDC américains et européen et de nombreuses sociétés savantes ou collectifs (tels que l’American Association of Pediatrics, la Société de Virologie allemande, le collectif Stop-Postillons en France, etc.).
Pétition pour la mise à jour du protocole sanitaire des établissements scolaires
Car effectivement, sorti de notre très étouffant huis clos hexagonal et malgré les tâtonnements tout à fait compréhensibles de la recherche scientifique, il est évident que la France est en train de se fourvoyer quant à la gestion de la crise, ayant adopté la stratégie de l’immunité collective sans prendre la peine d’en informer les principaux intéressés, c’est-à-dire nous.
Les responsables de l’OMS ont également mis en garde contre les appels à réduire le temps pendant lequel les travailleurs sont légalement autorisés à s’isoler une fois exposés au virus. Jusqu’à 14 jours sont nécessaires pour qu’une personne infectée présente des symptômes. Toutefois, les responsables français réduisent les quarantaines à sept jours seulement et les responsables britanniques à dix jours seulement. L’Espagne peut réduire la quarantaine à sept ou dix jours. Cela garantirait que les patients contagieux reprennent leurs activités normales et propagent le virus avant de tomber finalement malades.
« Connaissant l’immense impact individuel et sociétal que peut avoir une réduction même minime de la durée de la quarantaine… j’encourage les pays de la région à suivre une procédure scientifique régulière en consultation avec leurs experts », a déclaré Kluge.
La responsable de l’OMS, Catherine Smallwood, a déclaré que l’OMS ne change pas la durée de quarantaine recommandée. Elle a indiqué que les propositions française et britannique n’ont aucun fondement scientifique : « Notre recommandation d’une quarantaine de 14 jours se base sur notre compréhension de la période d’incubation et de la transmission de la maladie. Nous ne la réviserions que sur la base d’un changement de notre compréhension de la science ».
Kluge a déclaré qu’une action « rapide et résolue » est nécessaire pour empêcher une résurgence massive de COVID-19. En avertissant que
le virus a été impitoyable chaque fois que la partisanerie et la désinformation ont régné, il a déclaré : « La direction que prendra la pandémie est entre nos mains. Nous l’avons déjà combattue par le passé et nous pouvons la combattre à nouveau ».Le principal obstacle à l’adoption d’une politique rationnelle et scientifiquement fondée pour lutter contre la pandémie est l’hostilité consciente des gouvernements et de l’aristocratie financière de l’Europe. Tous se font l’écho des positions du président français et banquier d’affaires Emmanuel Macron. Ce dernier a exclu de nouveaux confinements le mois dernier, en déclarant à Paris Match : « Nous ne pouvons pas arrêter le pays tout entier ».
L’Organisation mondiale de la santé met en garde contre la résurgence « alarmante » de COVID-19 en Europe, WSWS, 19 septembre 2020
L’isolationnisme scientifique et politique français est d’autant plus étonnant que la pandémie, par la diversité des populations touchées et des réponses apportées, a apporté de nombreux enseignements aux communautés scientifiques internationales. Nous disposons déjà d’un bel inventaire2 des stratégies qui fonctionnent et de celles qui échouent.
The COVID-19 pandemic is an unprecedented global crisis. Many countries have implemented restrictions on population movement to slow the spread of severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 and prevent health systems from becoming overwhelmed; some have instituted full or partial lockdowns. However, lockdowns and other extreme restrictions cannot be sustained for the long term in the hope that there will be an effective vaccine or treatment for COVID-19. Governments worldwide now face the common challenge of easing lockdowns and restrictions while balancing various health, social, and economic concerns. To facilitate cross-country learning, this Health Policy paper uses an adapted framework to examine the approaches taken by nine high-income countries and regions that have started to ease COVID-19 restrictions: five in the Asia Pacific region (ie, Hong Kong [Special Administrative Region], Japan, New Zealand, Singapore, and South Korea) and four in Europe (ie, Germany, Norway, Spain, and the UK). This comparative analysis presents important lessons to be learnt from the experiences of these countries and regions. Although the future of the virus is unknown at present, countries should continue to share their experiences, shield populations who are at risk, and suppress transmission to save lives.
Lessons learnt from easing COVID-19 restrictions: an analysis of countries and regions in Asia Pacific and Europe, The Lancet, 24 septembre 20203
Nous n’avons pas encore tout à fait un an de recul sur le covid-19, mais nous avons beaucoup appris, même s’il nous reste encore à découvrir l’essentiel : se sortir de cette pandémie.
Il est essentiel d’agir vite contre une épidémie à croissance exponentielle et les atermoiements ou le négationnisme ou la stratégie de la tête dans le sable ne fonctionnent pas du tout. Il est fondamental de suivre les progrès réalisés à l’international, d’apprendre de nos erreurs et de ne surtout pas s’enferrer dans des positions fausses.
Les premiers protocoles sanitaires se construisaient au fil de l’eau et nous ont finalement probablement permis de sauver de très nombreuses vies, aussi fort que puissent brailler les négationnistes. Les Italiens sont aujourd’hui cités en exemple pour leur gestion de la seconde phase, eux qui regardaient au printemps les militaires évacuer les cercueils dans la région de Bergame.
Nous avons lavé nos mains, évité nos vieux, respecté la distanciation physique et même désinfecté nos emballages de courses. Toutes ces mesures n’étaient pas nécessaires, mais pour beaucoup, elles ont contribué à limiter la diffusion du virus et nous ont tout de même rappelé quelques notions pourtant élémentaires d’hygiène. Nous avons appris que le virus ne se diffuse pratiquement pas par fomites et pas autant par les gouttelettes que nous le pensions. Cependant, le lavage des mains et le port du masque restent centraux dans les stratégies, même s’il va falloir intégrer de nouvelles données comme la prééminence des contaminations par aérosols ou le fait que les jeunes et les enfants peuvent développer et transmettre le virus, données intégrées dans le protocole italien et totalement ignorées par nos pouvoirs publics qui font de la résistance, peut-être bien pour des motifs peu avouables, comme ne pas contrarier la finance et le patronat.
Nous mettons en garde contre l’idée que les enfants ne sont pas impliqués dans la pandémie et la transmission. De telles idées ne sont pas conformes aux connaissances scientifiques. Un manque de mesures de prévention et de contrôle pourrait rapidement conduire à des flambées, qui obligeraient alors les écoles à fermer à nouveau. Sous-estimer le risque de transmission dans les écoles serait contre-productif pour le bien-être de l’enfant et la reprise économique.
Les taux d’infection chez les enfants et leur rôle dans la pandémie n’ont été jusqu’ici que partiellement recensés dans les études scientifiques. Des publications scientifiques plus récentes et des observations concrètes dans certains pays indiquent que le rôle minime des enfants, comme supposé initialement, doit être remis en question. La majorité des premières études ont été menées dans les conditions (exceptionnelles) de réduction des contacts (« lockdown ») avec des fermetures d’écoles ou pendant une période de faible incidence, comme immédiatement après la levée du lockdown en Allemagne. La décision s’est fondée sur une information limitée quant à la situation prévisible à court terme en Allemagne. Dans certaines circonstances, il se peut que les enfants représentent une part non négligeable des infections par le SRAS-CoV-2. Le pourcentage d’enfants dans le nombre total de nouvelles infections en Allemagne se situe désormais dans une fourchette qui correspond au pourcentage d’enfants dans la population totale.
[…]
L’une des dernières découvertes importantes concernant le SRAS-CoV-2, qui doit être prise en compte lors de l’ouverture de l’école, concerne la possibilité désormais reconnue de transmission par aérosol, c’est-à-dire la transmission par l’air, en particulier à l’intérieur lorsque la circulation de l’air est insuffisante (17). Plus il y a de personnes dans un espace clos et plus le temps passé là-dedans est long, plus le risque de transmission est grand.
En ce qui concerne l’ouverture des écoles à l’automne, cela signifie que des mesures supplémentaires doivent être prises pour y minimiser le risque de transmission. Cela comprend, par exemple, la réduction de la taille des classes en fonction du nombre de nouvelles infections, l’utilisation des ressources spatiales et la recherche de solutions pragmatiques pour améliorer l’échange d’air dans les bâtiments publics tels que les écoles. La mise en œuvre de mesures techniques pour assurer un renouvellement suffisant de l’air ambiant ne relève pas de la compétence de l’infectiologie. L’intégration d’une expertise technique est urgente. En ce qui concerne la classe, d’un point de vue virologique, de petits groupes fixes comprenant le personnel enseignant devraient être définis avec le moins de mélange possible des groupes au quotidien. Les cours pourraient être dispensés aussi souvent que possible en petits groupes à différents moments de la journée et de la semaine. Des solutions numériques combinant des unités d’enseignement en face à face et de travail à domicile pourraient offrir d’autres possibilités de soulager les capacités spatiales.
Rentrée scolaire : prise de position de la société de virologie, 6 aout 2020, traduction du podcast de Christian Drosten.
Les efforts quotidiens et les contraintes nés de la nécessité de lutter contre cette pandémie sont terriblement difficiles à supporter dans la durée. La lassitude est grande, l’envie de passer à autre chose se fait pressante et il convient de ne pas traiter ces comportements si humains par le mépris. On ne voit pas la fin de ce merdier et c’est d’autant plus vrai que le relâchement et le jemenfoutisme ont été délibérément instillés à la population tout l’été tant par les politiques que par leurs obligés médiatiques. Alors que les Asiatiques se claquemuraient pour plaquer le virus au sol, l’industrie du tourisme a joui d’une oreille complaisante du gouvernement pour inciter la population à faire fi du virus pour consommer abondamment des vacances, des voyages, des restos, des barbecs et autres apéros entre potes.
Il était terriblement malaisant de suivre l’actualité de la pandémie dans les supports étrangers et voir en même temps dans quelle insouciance se prélassait une grande partie de la population française, de plus en plus confortée dans l’idée que l’épidémie était finie, qu’elle ne concernait que les faibles4 et que toute cette histoire était grandement exagérée.
Oui, nous avions aussi envie de sortir, de bouger, de voir les amis si longtemps négligés. Oui, nous comprenions la défiance face à des pouvoirs publics qui nous ont menti de la pire des façons et au pire moment et qui continuent encore et toujours à le faire, au gré de leurs seuls intérêts particuliers et immédiats. Mais voilà, en plus de leur incurie, nous nous sommes aussi retrouvés pris en otages par vos comportements irresponsables. Et à l’heure de la rentrée scolaire, il nous a été intimé l’ordre d’envoyer nos gosses bien se mélanger avec les vôtres, dans un protocole tellement allégé qu’il est devenu totalement ridicule et dérisoire.
Oui, l’éducation est importante, la socialisation est importante, mais non, la mort n’est pas la seule sanction de ce putain de covid. En ce moment, il festoie dans les cantines et les salles de cours bondées et bientôt, il vous présentera sa facture, dans votre chair et dans la chair de votre chair.
L’article Covid et aérosolisation est apparu en premier sur Le Monolecte.
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